Sperme humain : erreurs au delà de l’Atlantique, vérités en deçà

Où il est démontré, tout bien pesé, que les spermatozoïdes humains ne sont décidemment pas des cellules comme les autres. Où l’on découvre l’existence d’incestes involontaires. Et où l’on en vient à penser que toutes ces pratiques émergentes à visée plus ou moins thérapeutiques mériteraient décidemment de meilleurs éclairages et analyses médiatiques.   

Vous vous piquez d’écrire? Pire, vous aimeriez être lus ? Il suffit, pour cela, d’un peu d’imagination, de quelques réflexes et d’une solide méthode. Ne pas ignorer, par exemple, cette règle non écrite qui veut que le sexe (imprimé sur papier) augmente  immanquablement le nombre des lecteurs. Corollaire nullement négligeable,  il fait vendre. L’affaire n’est pas certes nouvelle. Sans doute est-elle aussi vieille que Johannes Gutenberg (vers 1400-1468). On peut aussi la faire remonter  à Théophraste Renaudot (1586-1653) ce médecin qui, au-delà du journalisme, inventa les premiers réseaux sociaux.

Certains se souviennent encore, en France, de cette déclinaison  médiatique consistant à faire figurer sur papier journal des photographies de femmes; mannequins d’un jour  plus ou moins dénudée en position tenues pour lascives. C’était chaque jour en page 3 d’un France-Soir en noir et blanc déjà déclinant. Notre France-Soir est aujourd’hui en couleurs et au bord du gouffre ; sa direction annonce vouloir abandonner l’ère Gutenberg et les rotatives antiques pour ne plus vivre que sur la Toile. Symptôme éclairant, pronostic réservé.

Pour l’heure observons que la règle non écrite qui valait pour le papier vaut aussi pour la Toile et ses surfs. Ainsi en retrouve-t-on la traduction récurrente jusque dans les blogs se piquant officiellement de vulgariser les sciences dures mais qui – tartufferie –  ne cessent de lorgner sur les audiences obtenues par les sujets ayant trait aux corps humains. Ou plus précisément ayant trait à l’humaine fonction de reproduction, ses cellules et ses attributs comme aux différents usages que l’on peut en faire. Bien vaste territoire qui va du citrate de sildénafil   (et de ses concurrents priapiques) à l’assuétude sexuelle et harceleuse ; sans oublier les  manipulations de gamètes à des fins de procréations plus ou moins médicalement assistées. Or c’est ici que le bât vulgarisateur blesse. Pourquoi l’appétit médiatique contemporain est-il  à ce point au droit allergique au droit comparé de certaines nouvelles pratiques thérapeutiques ?

Gutenberg ou pas il semble que l’on se pâme plus aujourd’hui avec les génies de l’autofiction qu’avec  Blaise Pascal (1623-1662) et ses Pensées hier encore incontournables. Peut-être, école publique oblige, certains se souviennent-ils  encore de l’énigme janséniste de Port-Royal, de l’humain et pensant roseau, de l’effrayant silence retentissant dans les espaces infinis succédant à l’univers clos de la chrétienté. Où l’on voit par là que certaines métaphores ont la vie dure. Peut-être garde-t-on aussi en mémoire cette observation pascalienne fondamentale concernant les coutumes et les préjugés qui marquent la justice des hommes. Pascal : « Trois degrés d’élévation du pôle renversent toute la jurisprudence, un méridien décide de la vérité (…) Plaisante justice qu’une rivière borne ! Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà. »

Cette troublante relativité, cette absence planétaire d’invariants valent aussi pour l’éthique, morale en marche qui n’a que rarement force de loi; sauf en France. En témoignent aujourd’hui ces dépêches d’agences de presse mandées depuis Montréal. Fil conducteur de l’ « actu »: plusieurs spécialistes s’inquiètent depuis peu du recours, selon eux « excessif », au sperme de certains donneurs au Canada et aux Etats-Unis ; recours qui augmente le risque de transmission de maladies génétiques et d’incestes involontaires entre demi-frères et sœurs. 
 

Extraits: « Vedettes anonymes des catalogues de donneurs de sperme, certains Américains ou Canadiens peuvent se retrouver pères de fratries de plusieurs dizaines d’enfants, un phénomène qui semble relever de la science-fiction mais qui inquiète réellement les spécialistes (…) Débattu depuis plusieurs années, le sujet a récemment inspiré un film à succès québécois, Starbuck, contant les aventures d’un donneur qui part à la rencontre de ses 533 enfants. Cette histoire, est un peu celle de Barry Stevens, réalisateur de documentaires sur la recherche de son père biologique.


Né en Grande-Bretagne grâce à un don, le cinéaste de Toronto s’est découvert des dizaines de demi-frères et demi-sœurs, au Canada, aux Etats-Unis et en Europe. Et il estime que sa fratrie compte entre 500 et 1.000 membres à travers le monde.
Si son cas est particulièrement frappant, il semble loin de constituer une exception en Amérique du nord. Car cette problématique dépasse les frontières du Canada. « La grande majorité du sperme utilisé ici est importée des Etats-Unis, » explique Simon Phillips, directeur de laboratoire à la
clinique Ovo de Montréal.


Depuis 2004, les donneurs ne sont plus rémunérés au Canada, d’où une baisse significative des stocks et le recours massif à l’importation. Et la popularité de certains donneurs a des répercussions bien réelles. Sur le site américain « Donor sibling registry« , qui met en relation les enfants de donneurs (anonymes, mais identifiés par un numéro communiqué aux familles), les témoignages se multiplient.
« Nous avons un groupe qui réunit près de 150 enfants d’un même donneur, et ce nombre ne cesse de grandir, » raconte Wendy Kramer, créatrice du site en 2000 et mère d’un enfant né d’un don. Une autre fratrie rassemble environ 75 enfants, dont des Canadiens.


Reste que cette situation augmente le risque de transmission de maladies génétiques et d’incestes involontaires entre demi-frères et demi-sœurs, s’inquiètent plusieurs spécialistes. Et les conséquences peuvent être graves : « Le risque de voir apparaître des maladies génétiques comme la mucoviscidose et l’hémochromatose est beaucoup plus important chez ces enfants que pour deux personnes non apparentées », avertit François Rousseau, professeur de biologie moléculaire à l’université de Laval, interrogé sur les conséquences potentielles d’un inceste.


Pour Juliet Guichon, professeure de bioéthique à l’université canadienne de Calgary, cela arriverait plus fréquemment qu’on ne le pense : « On pourrait croire que, statistiquement, c’est improbable. Mais les gens qui ont recours au don de sperme sont souvent issus des mêmes milieux économiques et sociaux. Ils se connaissent, se conseillent des docteurs, habitent dans les mêmes quartiers. »


Interrogée sur le nombre d’enfants nés d’un don de sperme au Canada, elle déplore qu’il n’existe « aucune donnée précise. Nous n’en savons rien, » reconnaît-elle. A terme, elle estime que la solution réside dans l’abandon pur et simple de l’anonymat, ce qui permettrait une plus grande transparence et un meilleur contrôle du don de sperme. »

 Longue et passionnante dépêche, bien peu reprise par toutes celles et ceux à qui elle était adressée. Tout y est dit, ou presque, des conséquences de la dérégulation d’un système ; système qui fut fondé il y aura bientôt quarante ans à Paris par le Pr Georges David sur la base de ce triptyque éthique « à la française » réunissant anonymat, bénévolat et gratuité. On peut ajouter cette autre dépêche elle aussi mandée il y a peu depuis Montréal par l’Agence France Presse (AFP) :

« Le ministère canadien de la Santé a mis en garde mardi contre les achats de sperme « frais » sur internet à des fins de procréation assistée, rappelant qu’il pouvait présenter des risques de maladies infectieuses. « Santé Canada rappelle aux Canadiens les risques sanitaires graves associés à l’utilisation de sperme de donneur obtenu de sources douteuses, comme Internet, pour les fins de procréation médicalement assistée », indique un communiqué. Si elle n’est pas sélectionnée et analysée correctement, la semence pourrait transmettre à la mère et à l’enfant le virus du sida, l’hépatite B ou C, la syphilis, la chlamydia ou la gonorrhée, précise Santé Canada. L’avertissement – le deuxième en deux ans – a été lancé sans que de tels cas de contamination n’aient été observés, a indiqué à l’AFP Gary Holub, porte-parole de l’agence fédérale. La mise en garde suit la publication d’informations de presse sur des publicités invitant les Canadiens à se procurer du sperme de donneur sur internet. « Nous prenons tout simplement nos précautions », a dit M. Holub. »

 Une nouvelle fois tout est dit, ou presque. Et point n’est besoin d’être de l’un ou l’autre sérail (le médical ou le journalistique) pour prendre la mesure de la particulière gravité des questions qui sont ici soulevées ; ou pour pressentir  le nombre et la pertinence des angles qui permettraient d’éclairer l’opinion publique. Mais sur un tel sujet on n’approfondit guère. Pourquoi –ce n’est qu’un exemple- ne pas se pencher sur les raisons qui font qu’au delà de l’Atlantique on ne s’est pas doté d’un encadrement  équivalent à celui de la France ou du Royaume-Uni qui limite  le nombre des enfants pouvant être conçus à partir du sperme d’un seul et même donneur  ?

Quelles sont les raisons profondes qui font que dans ce domaine il n’existe aucune norme édictée à l’échelon international, du moins une norme  ayant une valeur contraignante ? Pourquoi la plupart des banques se sont-elle dotées de  leur propre cahier des charges ? Qui se penchera sur les conséquences de la pratique de plus en plus répandue qui voient des couples (hétéro ou homosexuels) ou des femmes seules choisir sur la Toile les caractéristiques  phénotypiques et socio-économiques (couleur des yeux et des cheveux, taille, niveau d’études, etc.) de donneurs plus ou moins rémunérés ?  Cette situation conduit immanquablement –dans cette jungle moderne- à faire que les paillettes de sperme de certains étalons sont plus demandées que d’autres ;  avec tous les risques  qui commencent à émerger chez l’homme comme chez les mammifères qu’il élève et dont il a industrialisé la reproduction à des fins marchandes.

 Pourquoi ne pas porter ces questions sur la place publique ?  Mieux encore : qui (et quand) traitera de cette tragédie moderne qui verra –pour d’évidentes raisons statistiques – des demi-frères et des demi-sœurs qui s’ignorent avoir malgré eux des relations incestueuses ? Pourquoi ne pas expliquer les raisons qui  font qu’en France le législateur a décidé que l’insémination artificielle avec sperme de donneur (dans laquelle certains ne veulent voir qu’un adultère biologique) était une pratique qui engageait le législateur et la santé publique ? De ce  fait elle est réservée aux Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme (Cecos) et le Code de la santé prévoit que le recours aux gamètes d’un même donneur ne peut délibérément  conduire à la naissance de plus de dix enfants.

 « Si aux Etats-Unis, la motivation du don repose sur l’argent, en France, le principe de gratuité, qui s’applique à tout don d’organes, donne lieu à une philosophie différente, c’est souvent un acte réfléchi et altruiste », explique Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice générale de l’Agence de la biomédecine. Le mal contre le bien, le sale argent contre la raison altruiste autant que désintéressée  ? Serait-ce vraiment si simple ? Citoyens et citoyennes ont-ils été consultés sur ce sujet ? Est-ce une affaire de morale individuelle ou, du fait du risque de consanguinité, une question de santé publique ?  

On pourrait aussi aller plus loin,  s’interroger sur les raisons profondes et véritables qui ont progressivement poussé les responsables des Cecos à retenir des critères d’appariement  entre les caractéristiques du donneur et celles de l’homme membre couple demandeur : couleur de la peau, des yeux, des cheveux, taille, poids… Avec cette justification éclairante : il ne s’agit pas de trouver un sosie, mais de choisir en secret un donneur qui n’introduise pas des caractéristiques étrangères à celles du couple ; faire en sorte qu’un enfant ne soit pas identifié comme ne pouvant être issu d’un autre père que le sien. Comme si, paradoxalement, cette situation n’existait pas dans la vraie vie.  Faute d’être traitées, avec ou sans passion, dans les médias français  d’information générale ces questions sont captées par les institutions spécialisées. Et ce sont elles qui fournissent  les réponses,  la marche à suivre et la conduite à tenir. Pour l’heure l’Agence de la biomédecine convoque la presse le vendredi 4 novembre (09h30; Eurosites Liège;
7 rue de Liège – 75009 Paris) pour qu’elle fasse la publicité de sa future campagne sur le don de gamètes. Elément de langage: « Sensibiliser le grand public pour mieux répondre aux besoins des couples ».

On redira à cette occasion, sans sourciller, que le don de sperme est en France réservé à des couples stériles ou hypofertiles composés d’un homme et d’une femme et en âge de procréer (nul ne sait s’il ne s’agit, ici, que de la femme et nul ne pose jamais la question).  Le donneur (bénévole et assuré de son anonymat) doit être majeur, âgé de moins de 45 ans, être déjà père, avoir l’accord de son conjoint (s’il en a un) et être apparemment en bonne santé. On lui demandera son groupe sanguin et d’accepter la pratique de différents tests sérologiques (pour prévenir la transmission de certaines infections) et génétiques.  Proposant des services voisins les banques privées fleurissent dans de nombreux pays et, via la Toile, proposent leurs paillettes spermatiques à l’échelon planétaire. Pour l’heure elles sont (les banques), officiellement, interdites en France.

Faut-il libérer le marché et aller plus loin encore dans la réification de l’humain ? Pourquoi la question ne fait-elle pas débat public ? L’agence de presse Reuters rapportait il y a peu que dans la pragmatique  Grande Bretagne une loterie offrirait bientôt la possibilité de gagner des fécondations in vitro dans les meilleures cliniques spécialisées ; ce que les médias ont immédiatement traduit par « Gagnez un bébé ! ». Dans ce pays la Commission nationale des jeux a autorisé l’organisation caritative To Hatch  à gérer cette loterie qui permettra aux vainqueurs de gagner 25.000 livres (28.000 euros) pour bénéficier de soins personnalisés dans l’un des cinq meilleurs centres de traitement de la fertilité britanniques. Le jeu est ouvert aux célibataires, aux homosexuels et aux personnes âgées ainsi qu’aux couples hétérosexuels rencontrant des difficultés pour fonder une famille.

On connaît la position hors-commerce de l’Agence française de la biomédecine. Rien n’indique que La Française des Jeux ne soit pas, elle,  intéressée par ce nouveau marché.

Nota bene : Toutes celles et ceux qui sont intéressé(e)s par -ou inquiet(e)s de- l’avenir des livres (imprimés sur papier) confrontés aux développements multiformes de la Toile  se reporteront avec le plus grand intérêt au dernier ouvrage de François Bon : Bon F. Après le livre. Paris : Editions du Seuil, 2011. ISBN : 978-2-02105534-4. Le contenu de ce non-livre est aussi – en toute logique – accessible sur www.publie.net

 

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s