Sexe et sida : le « grand contaminateur » ne fait plus recette

 Où l’on observe que des questions médicolégales et sexuelles il y a peu encore perçues comme de première importance ne font plus l’objet de débats publics. Où l’on confirme d’autre part que les personnes infectées demeurent souvent, en France, socialement stigmatisées

 Les « titreurs » ont beau y avoir mis du zèle, l’affaire semble comme inaudible. Nous sommes pourtant sous les ors de la plus célèbre des cours d’assises, celle de Paris.  Depuis le 24 octobre, face à ceux qui rendront la justice au nom du peuple français, on trouve Hicheim Gharsallah. Cet homme de 34 ans est accusé d’avoir délibérément transmis à plusieurs femmes (par voie sexuelle) le VIH. Ce virus aujourd’hui  planétaire fut découvert il y aura bientôt trente ans à quelques stations de métro du Palais de Justice, sous les marronniers pastoriens de la rue du Dr Roux. Découverte hors norme par une improbable équipe de chercheurs aujourd’hui atomisée. Le Nobel est pour partie passé par là. Les pages se tournent, et c’est souvent tant mieux.

« Sida: ouverture à Paris du procès d’un « serial contaminateur » » a titré l’Agence France Presse (AFP) en respectant les guillemets, cet outil typographique qui peut, à l’occasion, faire office de pincettes. Un tel titre aurait jadis fait la Une de bien des quotidiens. Ce n’est plus le cas. Ainsi donc l’affaire fait suite à une plainte de l’ancienne compagne de l’accusé. En juillet 2004 elle découvre qu’elle est séropositive vis-à-vis du VIH. Elle entretenait  alors une relation depuis environ neuf mois avec celui qui était devenu son concubin. Une relation partagée donc. Etait-elle équilibrée ?

« Alors qu’il se sait séropositif depuis quatre ans, Hicheim Gharsallah s’est bien gardé de l’avertir et lui a imposé des rapports sexuels non protégés, une à deux fois par jour, rapporte l’AFP. La plaignante affirme en outre que lorsqu’elle exigeait qu’il utilise un préservatif, il la pénétrait de force, sans protection. Le jeune homme qui, après les avoir niés, a reconnu les faits, est également poursuivi pour avoir imposé des rapports non protégés à deux autres de ses compagnes, en 2005, puis 2008. « J’ai rarement vu des victimes qui se sentaient aussi coupables, alors que bien sûr, elles ne le sont pas. On a trahi leur confiance », déplore l’un des avocats des parties civiles. »

 Quant au conseil de l’accusé,  il dit espérer que l’audience permettra à son client de montrer à quel point il a évolué en prison. « Il veut vraiment dire que son état d’esprit a changé, qu’il n’est absolument plus dans le déni et qu’il se sent tout à fait responsable des actes qu’il a commis »  a-t-il notamment confié à l’AFP. L’accusé est détenu depuis trois ans et le verdict attendu pour le 28 octobre. (1)

N’attirant pas les médias des grands jours l’affaire continue de passionner ceux qui scrutent les rapports complexes entre la justice, les comportements et la médecine, le droit et la santé publique. Intérêt d’autant plus marqué que ce type d’affaire impose de s’interroger sur la notion de volonté en matière de sexualité.  Ou, pour parler à l’ancienne, des secrets d’alcôve. Avec cet élément supplémentaire qu’il faut ici compter avec un agent viral pathogène dont la transmission par voie sexuelle peut être aisément établie par des méthodes de biologie moléculaire.

Ce n’est pas la première fois que la justice française a affaire à ce genre de dossier et l’on dispose ici d’une jurisprudence convergente. En janvier 2005, la cour d’appel de Colmar condamnait  un homme à six ans de prison ferme pour avoir contaminé deux de ses partenaires par le VIH. La cour d’appel de Fort-de-France a quant à elle condamné en 2007 à dix ans ferme un homme ayant contaminé cinq mineures. Puis en 2009  la cour d’appel d’Aix-en-Provence condamnait à trois ans fermes un homme accusé d’avoir contaminé sa compagne. Enfin en 2010, à Rennes, en appel, six mois ferme. Où l’on voit ici que sur des faits apparemment similaires souvent justice varie.

Revenons un instant à Paris. «  » Il connaissait les risques. Pour moi, c’est un serial contaminateur. » Agnès, la trentaine, n’a pas de mots assez durs, au premier jour du procès d’assises, pour décrire son ancien compagnon rapporte Dorothée Moisan, de l’AFP. « Il le savait très bien » qu’il était porteur du VIH, a assuré  en marge de l’audience la jeune musulmane, voilée, qui préfère conserver l’anonymat. « C’était un jeu pour lui. Pour moi, c’est un assassin. Un serial contaminateur. Je sais qu’il y en a eu d’autres avant moi », mais « combien? » s’interroge la plaignante. (…) Lorsqu’elle lui a demandé s’il se rendait compte qu’il l’avait contaminée en se sachant déjà séropositif, il lui aurait répondu: « Quoi, et alors? Moi aussi, on m’a baisé. » »

En France la justice et les médias ont commencé à traiter de ce type d’affaire en février 1993, près de dix ans après la découverte de VIH. « La sexualité empoisonnée »  surtitrait alors Le Monde, en posant la question  inédite de savoir si  le fait de transmettre le virus du sida par une relation sexuelle constituait ou non  un geste criminel. On venait d’apprendre qu’un juge d’instruction de Metz, avait inculpé (c’était la formule) d’empoisonnement une jeune femme qui, se sachant séropositive, avait eu des relations sexuelles durant plusieurs années sans informer son compagnon de cet état. Le couple était alors séparé et l’homme séropositif.

Au même moment, ou presque, à Kalamazoo (Michigan), un juge fédéral américain décidait de rejeter  -partiellement-  la demande d’une jeune femme séropositive qui accusait le célèbre basketteur  Magic  Johnson de l’avoir infectée par le virus du sida, lors d’un rapport sexuel datant de  juin 1990. Elle réclamait une indemnité de deux millions de dollars à l’ancienne vedette des Los Angeles Lakers, lui reprochant son silence sur le fait que, se sachant séropositif, il pouvait être un partenaire à rique. Dans sa décision de rejet, le juge américain avait notamment fait valoir qu’une personne  « ayant eu des rapports sexuels sans protection avec beaucoup de partenaires » n’était pas légalement tenue de signaler ce fait avant d’avoir des relations intimes avec une personne donnée.

En France la publicité faite à l’inculpation pour empoisonnement de la jeune femme séropositive avait suscité diverses réactions. M. Bernard Kouchner, ministre de la santé et de l’action humanitaire, avait aussitôt réagi, déclarant, dans un entretien au Parisien qu’une telle inculpation « ouvrait  une brèche vers la délation et la discrimination. »

Ces deux affaires venaient alors témoigner  à quel point l’épidémie de sida, du fait même de son mode de transmission sexuelle, soulevait de délicates questions de droit; des  questions qui devaient être resitués dans le cadre de l’évolution de la législation française sur les maladies sexuellement transmissibles dont l’élaboration avait  été progressive à partir de la première guerre mondiale, avant de prendre la forme d’une législation d’ensemble en 1942.

La législation sanitaire sur les maladies sexuellement transmissibles s’était ensuite retrouvée dans le livre 3 du code de la santé consacré aux fléaux sociaux avec la tuberculose, les maladies mentales, l’alcoolisme, la toxicomanie et le cancer. Toutes les pathologies classées parmi les fléaux sociaux faisaient  l’objet d’une législation contraignante pour les malades et les médecins. « Mais  le catalogue de ces contraintes n’est nulle part aussi développé que pour les maladies sexuellement transmissibles, faisait alors observer au Monde  le docteur Jean-Baptiste Brunet, alors directeur du centre collaborateur européen de l’OMS sur le sida. Quarante-deux articles les regroupent. Il n’en existe que trente-sept pour les maladies mentales, vingt-huit pour la tuberculose, quatorze pour le cancer, douze pour l’alcoolisme et sept pour la toxicomanie. Toute personne atteinte d’accident vénérien contagieux est tenue de se faire examiner et traiter par un médecin jusqu’à la disparition de la contagiosité. Or  il n’existe pas d’autre exemple en dehors de la toxicomanie où l’existence de la maladie suffise, à elle seule, à définir une contrainte s’appliquant à tous les malades. »

Les questions qui dérangeaient en 1993 valent-elles encore pour 2011 du fait de avec l’émergence, depuis le milieu des années 1990, des thérapies antirétrovirales ?

« En fait, les textes de la loi de 1942 ne sont plus appliqués. Et, faute d’une thérapeutique efficace, on ne peut aujourd’hui avec le sida imaginer d’en revenir aux soins imposés sous la contrainte, pour le bénéfice du malade et de la société, écrivions-nous en 1993 dans les colonnes du Monde. Pourtant, parallèlement au courant qui, grâce à la thérapeutique antibiotique, a, de fait sinon dans la loi, conduit à remettre les ‘ maladies honteuses ‘ dans le droit commun, on assiste aujourd’hui à la tentation de faire de la personne se sachant séropositive un agent contaminateur qui doit être puni, dès lors qu’il aura contaminé. Ainsi, lors du débat sur la réforme du code pénal, les sénateurs avaient-ils souhaité introduire une incrimination visant la ‘ dissémination d’une maladie transmissible et épidémique ‘ par des personnes ‘ conscientes et averties ‘. Cet amendement a été supprimé en 1992 par les députés, et les sénateurs ne l’avaient pas rétabli en seconde lecture ».

Le code pénal était-il, dans un tel domaine, explicite ? Plusieurs qualifications avaient alors  déjà été évoquées à propos de la transmission sexuelle (mais aussi sanguine) du virus du sida, sans pour autant que l’on perçoive une jurisprudence sur ce point. On avait  ainsi discuté de la qualification d’empoisonnement, de celle d’homicide involontaire ou encore de celle de coups et blessures volontaires. L’empoisonnement (‘ Tout attentat à la vie d’une personne par l’effet de substances qui peuvent donner la mort plus ou moins promptement, de quelque manière que ces substances aient été employées et quelles qu’en aient été les suites ‘, article 301 du code pénal) semblait imposer que l’on distingue ici les moyens violents de contamination par voie sexuelle (le viol) des relations sexuelles d’une personne infectée qui, ‘ par négligence, imprudence ou légèreté ‘, aurait contaminé son, sa ou ses partenaires. Certains juristes estimaient que cette dernière situation ne pouvait correspondre aux qualifications d’homicide involontaire ou de coups et blessures volontaires, dès lors que le statut sérologique était ignoré du  « contaminateur ».

En 1993, outre Bernard Kouchner, beaucoup de responsables médicaux estimaient qu’il fallait, coûte que coûte et quel que soit le degré d’extension de l’épidémie, s’en tenir à la conception traditionnelle du secret médical. « Il serait proprement ahurissant que l’on en vienne à faire porter au médecin et à lui seul la responsabilité de ce qui est de l’ordre de la relation intime du couple, estimait le docteur Brunet. Il serait tout aussi grave d’en arriver à des situations où, invoquant l’intérêt de la santé publique, on aboutirait à une forme de délation médicale. De nombreux exemples historiques démontrent l’inefficacité de telles politiques. »

En d’autres termes, violer le secret médical, tout comme poursuivre par voie de justice celui que l’on soupçonne d’être à l’origine d’une contamination sexuelle, serait hautement préjudiciable en termes de santé publique, conduisant à la dissimulation de la possible contamination et s’opposant à la prise en charge médicale de celui qui est le malade avant d’être un possible agent contaminateur.

Depuis différentes institutions et associations, comme Act-Up Paris , ont régulièrement pris  positions sur la question de la judiciarisation de la transmission sexuelle de la contamination par le VIH.

Act-Up Paris : « Les personnes sont condamnées parce qu’elles connaissaient leur statut sérologique. Le message qu’envoie la justice est donc : « Ne vous faites pas dépister, vous ne serez pas condamné ». Une telle logique est incompatible avec les impératifs de santé et de prise en charge.  Ces condamnations font peser sur les seules personnes séropositives la responsabilité de la prévention, alors que celle-ci devrait être pleinement partagée. Pourquoi les partenaires des condamnéEs ont-ils/elles refuséE le préservatif, ou décidéE de l’abandonner avant d’avoir fait un dépistage commun ? Où sont, depuis le début de l’épidémie, les campagnes de prévention abordant les questions de fidélité à l’intérieur d’un couple, plus ou moins ancien, les questions de confiance afin de lutter contre les fausses représentations qui aboutissent à ce type de drame ? Peut-on se dire que, même si parler de sa séropositivité devrait être une étape nécessaire avant de retirer le préservatif, les rejets et discriminations dont sont victimes les personnes vivant avec le VIH encouragent le silence et le déni, et conduisent à ces situations ? » 

Stigmatisation ? Tout a été scellé dans le marbre et de limpide façon par la Chambre criminelle de la Cour de cassation en 2006. Un document exemplaire en ce qu’il s’impose peu ou prou à l’ensemble des juridictions concernées. 

 Stigmatisation et VIH ? Alors que s’ouvrait le procès devant la cour d’assises de Paris, cette information, elle aussi diffusée par l’AFP sans pour autant rencontrer beaucoup d’échos médiatiques : « En France, où 152.000 personnes vivent avec le VIH-sida, moins de la moitié des séropositifs ont un emploi, selon une enquête de l’association Aides communiquée mardi, à l’occasion d’un colloque de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur le sida au travail. Selon cette enquête biannuelle, réalisée en octobre 2010, 46% des personnes séropositives exercent une activité professionnelle et une personne sur six est privée d’activité alors même qu’elle voudrait travailler. L’enquête montre que l’arrivée des trithérapies a considérablement amélioré l’accès à l’emploi des personnes contaminées par le virus du sida, en même temps que leur espérance de vie. Selon l’enquête, seuls 22% de ceux qui ont un emploi ont la reconnaissance de travailleur handicapé et 9,2% des personnes vivant avec le VIH ont recours à un temps partiel thérapeutique. En terme de revenus, 39,5% des séropositifs et/ou atteints d’une Hépatite B ou C ont touché moins de 950 euros par mois en moyenne sur l’année écoulée, le seuil de pauvreté. »

 Aujourd’hui, en France, on estime qu’environ 152.000 personnes  sont infectées par la VIH et que parmi elles environ 50.000 ne le sauraient pas. En 2009, 6.700 nouveaux cas ont été diagnostiqués, le plus souvent chez des personnes âgées de moins de 40 ans.

(1) Le 28 octobre Hicheim Gharsallah a été condamné à neuf ans de prison. Dans la matinée l’avocat général avait fustigé « un comportement social inqualifiable ». A ses yeux, l’accusé « a bouleversé, fracassé les règles du vivre ensemble dans une société ». Le représentant du ministère public a aussi qualifié les quatre jours de procès, « lourds émotionnellement », comme « une apnée au coeur d’un salaud ordinaire ».

 

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