Les « malades d’Alzheimer » ne sont plus ; mots sur maux

Pathologies, sigles et autres métaphores

Comment les médias, écrits ou pas, gobent-ils leurs sujets ? Comment les digèrent-ils avant, parfois, de les oublier ? On peut poser la question avec la maladie d’Alzheimer; elle qui n’est décidemment plus aujourd’hui ce qu’elle était hier encore. Seul ou presque demeure (pour la désigner) le patronyme d’Aloysius (1864-1915). Il entre en médecine en 1888 et s’oriente vite vers les nerfs et la psyché. Au mi-temps de sa vie il décrit (à partir du cas devenu célèbre d’Auguste D. prise en charge en 1901 à l’âge de 51 ans) une « maladie particulière du cortex cérébral » ; entité qu’il présente publiquement pour la première fois le 4 novembre 1906 à Tübingen lors de la 37ème Conférence des psychiatres allemands.

Auguste D. est morte le 8 avril de la même année. Sept mois entre l’autopsie, les lames histologiques, la corrélation entre l’anatomopathologique et la clinique, la rédaction de la présentation faite aux pairs ; on travaille vite, déjà, outre-Rhin. Et c’’est ainsi que l’entrée dans le XXème siècle voit la neuropsychiatrie allemande triomphante décréter que la démence peut ne plus être une fatalité. Peu auparavant un futur dément avait déjà  annoncé par écrit (Gott ist tot) la mort de Dieu. Les triomphes d’outre-Rhin allaient perdre de leur superbe. Alzheimer demeure.

C’est un signe qui ne trompe guère, pas pathognomonique mais presque. Comme avec Parkinson le nom propre prend à lui seule la place de la pathologie. Il y a  le chirurgien qui ne peut que prendre possession du corps son patient. Il y a le médecin hospitalier qui fait (parfois/souvent) de même en réduisant son malade à sa pathologie (« Il en est où, l’Addison de la 12 ? »). Et il y a la presse d’information générale qui emboîte le pas à la médecine.

Du moins le fait-elle dès lors qu’un seuil est franchi ; le seuil étrange, à la fois invisible mais bien palpable, qui voit le sujet traité tomber dans le domaine public – de la marque déposée au générique en quelque sorte. La chose était bien établie pour les (grandes) affaires criminelles. Vint ainsi un jour où le docteur (Marcel André Henri Felix) Petiot (1897 -1946),  Marie Besnard (1896-1980) et Gaston Dominici (1877-1965) ne s’appartinrent médiatiquement plus. Il en va de même aujourd’hui avec certaines personnalités condamnées à errer à perpétuité en lisière de procédures judiciaires toujours pendantes ou d’assuétudes évoquées, parfois revendiquées.

Alzheimer, donc. Nous gardons, journaliste, encore en mémoire le moment où un relecteur confus et pressé souhaitant (comme presque toujours) faire plus court fit une croix sur « maladie d’» ; c’était dans les toutes premières années de ce siècle. Au total le racourcissement conduisit fort malencontreusement à parler des malades d’Alzheimer ou des malades de Parkinson, l’une ce ces absurdités contemporaines  qui semble ne plus guère choquer. Elle n’est pas seule: le  tri sélectif  se développe durablement, trier ne suffisant plus.

Il y a aussi des exceptions. Pour des raisons qui restent à élucider le phénomène n’eut pas lieu dans le cas de cette mystérieuse encéphalopathie spongiforme décrite au lendemain de la première guerre mondiale par Hans-Gerhard Creutzfeldt (1885-1964) neuropsychiatre allemand et Alfons Maria Jakob (1884-1931), neurologue allemand. Faire court conduisit ici à une pratique plus radicale : l’usage des initiales. Ainsi parla-t-on de la MCJ pour évoquer les nouvelles formes observées  lors de la dramatique affaire dite de l’hormone de croissance contaminée puis  lors de l’émergence de la zoonose connue sous le nom de l’ESB (encéphalopathie spongiforme bovine) mais aussi sous celui, nettement plus parlant, de vache folle (que personne semble-t-il ne transforma jamais en VF).

On retrouve un processus voisin à propos d’une affection récente et très répandue qui voit des sigles ou acronymes prendre la place des mots. Au début des années 1980 émerge sur le papier journal (encore) imprimé le Syndrome d’Immunodéficience Acquise. La physiopathologie naissante de cette maladie que l’on commence à pressentir d’origine virale permet d’en finir avec le cancer gay de bien sinistre mémoire. Il est bientôt suivi par le S.I.D.A. ; puis par le SIDA, le Sida et l’actuel sida. Parallèlement la presse d’information générale découvre, en même temps que l’origine virale est confirmée (et les premiers tests de dépistage élaborés), l’existence de la séropositivité et des  séropositifs. On réduira bien vite la première à celle concernant le virus du syndrome de l’immunodéficience acquise ; soit le V.I.H, puis VIH et le plus souvent HIV son symétrique anglophone avec les immanquables et immanquablement irritants virus VIH et virus HIV. C’est ainsi que les personnes concernées et leurs proches inventèrent très tôt le terme identifiant de séropo. Pourquoi ?

Quelques décennies plus tôt –seuls les plus âgés s’en souviennent peut-être encore – on avait assisté à un étonnant ballet de vocabulaire autour de la syphilis, cette innommable grande simulatrice. L’immunologie naissante avait pousse  deux hommes sur la voie d’un diagnostic biologique : August Paul von Wassermann (1866 – 1925) immunologiste et bactériologue allemand et, de l’autre côté de la frontière, Jules Jean-Baptiste Vincent Bordet (1870- 1961) immunologiste et microbiologiste belge, par ailleurs lauréat du prix Nobel de physiologie et médecine de 1919[]. On parla bientôt de la  réaction de Bordet et Wassermann  très largement et systématiquement utilisée pour le diagnostic sérologique de cette maladie sexuellement transmissible due à un tréponème que la pénicilline sut, le moment venu, terrasser. Bordet et Wassermann ? C’était bien long. On réduisit la découverte à BW. Quant aux syphilitiques il ne fut pas rares d’user à leur endroit du terme hérédo, en référence trompeuse non pas à la transmission héréditaire mais à la possible transmission congénitale de la femme infectée à l’enfant qu’elle portait.  On aurait pu parler, et sans doute parla-t-on, d’hérédosyphilis. Puis on préféra abréger.

Dans son édition de 1962 Le Petit Larousse (17, rue du Montparnasse, et boulevard Raspail, 114), celui qui nous accompagne depuis un certain temps, donne cette définition d’hérédo : « (du lat.  heres, -edis, héritier), pref. Indiquant le caractère héréditaire de certaines tares. II – N.m. Celui qui est atteint d’une tare héréditaire, spécialement de la syphilis. » Larousse nous enseigne aussi que tare vient de l’italien déchet est désigne, de manière figurée une défectuosité physique ou morale. Mais il est vrai que l’on enseignait aussi, en 1962, qu’héréditaire désignait ce qui se communiquait des parents aux enfants, et congénital ce que l’on apportait en naissant. Un quart de siècle plus tard quelques uns inventèrent, en France, le terme sidaïque un néologisme qu’ils voulaient rapprocher de lépreux et qui entendait désigner des personnes devant être enfermées et soignées dans des sidatoriums. Il faut, pour saisir les enjeux et le temps qui passe, impérativement regarder cet extrait de  L’Heure de vérité du 6 mai 1987 sur Antenne 2.  La France, alors, allait entrer dans une nouvelle campagne pour son élection présidentielle. C’était il y a un quart de siècle ; ou presque.

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