Publier ou périr. On sait que c’est la dure loi des chercheurs. Mais vit-on bien en publiant dans les marges ? Car publier à ses règles. Il faut d’abord faire connaître à ses pairs le fruit de ses travaux. Et ensuite en informer le « grand public » par les habituels canaux médiatiques. Certains font parfois le chemin inverse. Un exemple très grand public de ce chemin inversé.
Avec l’exposé d’un thème qui pourrait intéresser les élèves de l’Ehesp et leurs enseignants
6 octobre 2011.
Jean-Daniel Flaysakier, journaliste médical de France-Télévisions postait un billet musclé sur son blog docteurjd.com . Musclé ou acidulé, c’est selon. Il y expliquait en substance que faire valider par la presse une hypothèse de recherche sans passer par les canaux habituels d’une bonne pratique scientifique était une pratique sportive en développement. Et il prenait en exemple un épisode alors récent concernant la maladie d’Alzheimer et la prise de médicaments psychotropes en est un nouvel exemple.
« On tient enfin les coupables ! Anxiolytiques et hypnotiques de la famille des benzodiazépines voilà donc les médicaments qui sont liés à la survenue de la maladie d’Alzheimer, écrivait-il. J’exagère, mais à peine plus que ce qui a suivi la publication par le mensuel ‘Sciences et Avenir’ d’une interview du Pr Bernard Bégaud, pharmacologue à l’université Bordeaux II. Gros titres ‘Ces médicaments qui favorisent Alzheimer’, affichage dans les kiosques, reprises multiples, prise de parole par la rédactrice en chef de la revue sur YouTube : difficile d’oublier, si j’ose dire, la mise au pilori de cette famille médicamenteuse dans la genèse de cette démence tant redoutée. »
Et notre double confrère d’observer que l’étude annoncée n’était publiée dans aucune revue scientifique, que seule comptait la parole des auteurs. « Or, la règle veut, quand on est une équipe de recherches, surtout avec une notoriété certaine et quand on joue un rôle influent auprès des pouvoirs publics, qu’on soumette ses travaux à une revue de bonne facture, ajoutait-il. Une revue avec comité de lecture et qui a un système de relecteurs, des ‘arbitres’. L’article est soumis à deux ou trois de ces relecteurs qui font un certain nombre de remarques. » Ce qui, on le sait ou l’on s’en doute n’est pas le cas de Science et Avenir, magazine de vulgarisation.
Autre sujet traité, ce jour là, dans le billet automnal de docteurjd.com : le supposé lien de cause à effet entre la prise de ces produits et la survenue de la maladie. Evoquant sa (folle) jeunesse et ses études (brillantes) d’épidémiologie à l’Ecole de Santé Publique de l’université Harvard (Boston) l’auteur aux nœuds à papillons confesse avoir quasiment tout oublié, sauf une chose : « il est quasiment impossible de trouver un lien de cause à effet indiscutable entre l’exposition à une situation, à un produit ou un médicament et la survenue d’une pathologie chronique ».Sauf l’exposition d’ouvriers au monochlorure de vinyle ayant entraîné la survenue de formes rares d’angiosarcomes.
La chronicité n’est pas l’infection aigüe et l’épidémiologie est l’un des filles peut-être les plus volages (les moins sages) des statistiques. On la manipule aisément et sous le charme elle peut vous dire une chose et son contraire. Puis faire en sorte de vous dénoncer à la police des polices Tous les statisticiens le savent, certains en ont souffrent encore. D’autre suivront qui entrent à peine dans la carrière.
Jean-Daniel Flaysakier conseillait alors opportunément le Dr Dominique Dupagne , son blog et son billet ainsi qu’un document de synthèse de l’ISPED, institut dépendant de l’université Bordeaux II.
En clair rien ne permettait, faute d’une publication scientifique, d’affirmer la causalité entre la prise de benzodiazépines et la survenue de la maladie d’Alzheimer. C’était là « un manque de rigueur et une assertion scientifiquement inacceptables ». « Dans les suites de la sortie de la revue, le Pr Bégaud a expliqué que ce qui était dit dans ce journal n’était pas le reflet exact de sa pensée. L’argument classique : la presse déforme tout, ajoutait encore Jean-Daniel Flaysakier. Mais à ma connaissance, ce pharmacologue réputé n’a pas porté plainte pour ‘enlèvement et séquestration’. Il n’a pas parlé à cette revue sous la menace d’une arme, il l’a fait de son plein gré en sachant qu’il enfreignait les règles auxquelles il est censé, en tant qu’universitaire et chercheur, se soumettre (…) Je crois que le temps où les médias sauront faire la différence entre ‘association ‘ et ‘lien de cause à effet’ n’est pas pour demain. »
10 octobre 2012
Un an plus tard ce temps est-il venu ? Sans doute si l’étude sous-jacente à la publication de Science et Avenir est bien celle qui vient d’être publiée par le British Medical Journal (BMJ) et vantée par le service de presse de l’Insermqui donne à cette occasion l’essentiels des données.
Au final, les résultats d’analyses croisées sur une population montrent que les personnes ayant consommé des benzodiazépines pendant le suivi de l’étude présentent environ 50% plus de risque de développer une démence par rapport à celles qui n’en ont jamais consommé. Mais encore ? C’est ici que les choses se compliquent. En écho aux interrogations formulées par Jean-Daniel Flaysakier les auteurs expliquent que leur étude « ne permet pas d’affirmer qu’il y ait un lien de cause à effet ». Et ils ajoutent que c’est le cas « pour toute étude épidémiologique ». « D’après nos analyses, l’exposition aux benzodiazépines des personnes âgées de plus de 65 ans est associée à un risque accru de démence. Même si nous ne pouvons prouver qu’il existe un lien de cause à effet, nous constatons que les individus consommant des benzodiazépines présentent environ 50% plus de risque de développer une démence durant le suivi, comparés à ceux qui n’en ont jamais consommé » souligne Bernard Bégaud, l’un des signataires de la publication. Soit une version assez adoucie du titre de l’hebdomadaire vulgarisateur. Et une impasse.
Ces chercheurs recommandent encore « d’être plus vigilants » sur l’utilisation de ces molécules qui, toutefois, « restent utiles pour traiter l’insomnie et l’anxiété chez les personnes âgées » même si « leur prise peut entraîner des effets indésirables, tels que des chutes ». Avec ces nouvelles données confortant celles de quatre études antérieures, ils recommandent de « limiter les prescriptions à quelques semaines et de contrôler la bonne utilisation de ces molécules ». « Nous doutons qu’une durée d’utilisation de l’ordre de quelques semaines puisse avoir un effet délétère sur le risque de démence » conclut Bernard Bégaud. Et un doute.
A ce stade, un Candide pourrait faire plusieurs remarques interrogatives. Quel est l’objectif d’une étude épidémiologique de ce type s’il est d’emblée acquis qu’elle ne pourra pas conclure à une relation de cause à effet ? Les données dans ce domaine n’étaient-elles pas suffisamment convergentes pour qu’on ne puisse pas faire l’économie d’une telle étude qui conclut sur le fond à des conseils de bon sens et à la nécessité de respecter les indications en vigueur de prescription des benzodiazépines ? Si de nouvelles études doivent être menées dans ce domaine pourquoi ne pas user des multiples compétences disponibles dans le secteur de la santé et de la recherche médicale à des fins autrement plus originales ?
Pour conclure en avançant suggérons un thème à multiples facettes et déclinaisons qui pourraient intéresser les élèves et leurs enseignants de l’Ehesp : tenter de comprendre les raisons profondes qui font que les médecins occidentaux de première ligne prescrivent, massivement et contre les règles en vigueur, des benzodiazépines chez des personnes âgées. Et proposer des actions visant à formuler d’autres réponses médicales aux demandes qui les induisent. Incidemment, plancher sur cette question: existe-t-il une relation de causalité entre l’âge avancé et le fait de ne plus trouver ni le sommeil ni des raisons d’espérer ?
Association statistique versus causalité : la distinction est à la portée de n’importe qui.
Si on trouve une association entre le niveau de prescription de benzodiazépines et le nombre et/ou la gravité des cas d’Alzheimer
deux (au moins) interprétations sont possibles : les bzdz causent l’Alzheimer OU BIEN les sujets pré-Alzheimer ont des symptômes qui incitent leurs médecins à leur prescrire des bzdz davantage qu’à leurs autres patients.
Exactement comme : plus je vais consulter mon médecin, plus je suis mal en point a deux interprétations possibles. Les traitements de mon médecin me rendent malade OU BIEN ma maladie empire et c’est pour cela que je consulte plus souvent.
Dans le deuxième exemple strictement analogue au premier, c’est l’interprétation non causale qui est retenue d’emblée, alors pourquoi pas dans le premier exemple ?