« Superbe affaire », comme on dit parfois dans les prétoires et les salles de rédaction. A Marseille des magistrats jugent une psychiatre poursuivie pour homicide involontaire : un de ses patients a fui puis a tué.
Qui est coupable ? Pourquoi les psychiatres n’enferment-ils pas, d’emblée à vie et à triple tour, les fous qui viennent à eux ? La santé publique s’en porterait assurément mieux. C’est ce que semblent penser des magistrats marseillais. Un an de prison est requis. Enfermer ou soigner ? Enfermer et soigner ? Allons plus loin: enfermons le fou et le soignant (1).
Cet après-midi à l’ouverture du procès du Dr Danièle Canarelli, une centaine de soignants se sont réunis devant le tribunal correctionnel de Marseille. Ils voulaient manifester publiquement leur soutien à cette psychiatre poursuivie pour homicide involontaire après le meurtre d’un octogénaire par l’un de ses patients. Ce procès est une grande première en France. Il soulève tout bonnement la question de la responsabilité du psychiatre dans la prise en charge des malades psychiatriques à haut risque reconnus pénalement irresponsables. Dans une ordonnance à charge, la juge d’instruction Annaïck Le Goff, reproche au Dr Canarelli « des fautes multiples et caractérisées » ayant« contribué au passage à l’acte violent » de son patient, Joël Gaillard. Le médecin suivait ce malade de longue date au centre hospitalier Edouard-Toulouse à Marseille.
On pourrait ici faire des effets de manches et de plumes. La chronique judiciaire est un genre qui s’y prête tout particulièrement. On peut aussi se limiter aux faits. Ce que fait dans sa « newletter » nocturne Le Quotidien du médecin. Voici l’affaire. Psychotique alternant hospitalisation d’office et sorties d’essai depuis 2001, Joël Gaillard, 43 ans, a assassiné à coups de hachette GermainTrabuc, le compagnon octogénaire de sa grand mère. C’était le 9 mars 2004. Vingt jours auparavant, ce malade’était enfui de l’hôpital Edouard-Toulouse lors d’une consultation avec le Dr Canarelli. Cette dernière envisageait alors de mettre un terme à sa sortie d’essai pour le ré-hospitaliser. Interpellé trois jours plus tard après le meurtre de Germain Trabuc, Joël Gaillard fut mis en examen pour « homicide volontaire avec préméditation ». Reconnu pénalement non-responsable il a bénéficié d’un non-lieu en 2005.
Hôpital coupable, 15 000 euros, Etat innocent
On pouvait croire l’affaire tragiquement close. On sous-estime toujours les souffrances des familles et les intérêts de la société quand la justice s’en mêle. En 2007, Michel Trabuc, fils de l’octogénaire assassiné décide de porter plainte contre l’hôpital Edouard-Toulouse, contre l’État et contre le Dr Canarelli qui suit Joël Gaillard depuis sa première hospitalisation d’office ‘(à la suite à une agression au couteau d’un vigile en 2000). L’hôpital est un temps mis hors de cause. Puis il est finalement condamné en octobre 2009 à verser 15 000 euros à Michel Trabuc. Pour des raisons à tout jamais obscures la responsabilité de l’État n’est pas retenue.
Dans ces matières vient toujours l’heure exquise où la justice commet des experts, parfois psychiatres, pour l’éclairer sur les responsabilités des psychiatres. On imagine les affres de la confraternité torturée. « Mandaté dans le cadre du procès du Dr Canarelli, l’expert judiciaire, Jean-Claude Archambault va jusqu’à évoquer un « déni » de la psychiatre pour n’avoir pas diagnostiqué de schizophrénie chez ce patient contrairement à ses « collègues psychiatres » qui avaient eux conclu à« une psychose avec syndrome délirant de type paranoïde et vécu persécutoire », engendrant selon lui une prise en charge inappropriée » rapporte Le Quotidien du Médecin.
En septembre dernier, cinq syndicats de psychiatre avaient dénoncé dans un communiqué commun « la tendance à vouloir mettre en cause la responsabilité des psychiatres hospitaliers en exigeant d’eux une obligation de résultat et non plus de moyens, dans un domaine où la prédictivité et le risque zéro n’existent pas ».
Psychiatrie = science exacte
Pour le Dr Olivier Labouret, président du l’Union syndicale de la psychiatrie (USP) ce procès illustre le glissement sécuritaire de la psychiatre marqué dernièrement par la loi du 5 juillet 2011 sur les soins sans consentement. « On demande à la psychiatrie d’être une science exacte et il y a une confusion entre le soin et la contrainte. On veut faire porter ici au psychiatre la responsabilité d’un acte dans lequel le Dr Canarelli n’y est pour rien. Elle avait fait ce qu’il fallait au niveau légal. Elle avait signalé que ce patient devait être réintégré mais elle n’a simplement pas pu le garder de force quand il est venu en consultation », commente-t-il.
« Nous ne voyons pas ce qui peut être reproché à la psychiatre qui voulait re-hospitaliser ce patient. Peut-être de ne pas s’être jetée sur lui et de l’avoir ceinturé… », renchérit le Dr Alain Vaissermann, président du comité d’action syndicale de la psychiatrie (CASP). « Le Dr Canarelli avait par ailleurs signalé la situation aux forces de l’ordre, à l’autorité administrative, qui avaient tout le loisir de l’interpeller dans les quinze jours qui ont suivi, ce qui aurait permis d’éviter le crime », ajoute le Dr Labouret.
Enfermer de plus en plus de gens
Alors que la responsabilité de l’Etat n’a pas été engagée, « on repousse la responsabilité sur le Dr Canarelli qui apparaît aujourd’hui comme un bouc émissaire », considère le président du l’USP. Selon le Dr Vaissermann, un éventuel jugement en défaveur du Dr Canarelli pourrait avoir « des effets néfastes » sur le type de prise en charge des malades mentaux par les psychiatres . « On serait dans un état d’anxiété permanent pour éviter qu’il y ait un drame, à craindre le pire et à enfermer de plus en plus les gens », conclut le Dr Labouret.
Faute de disposer d’une lecture psychanalytique (« le compagnon de la grand’mère… ») on attend intérêt ce que la justice répondra au fils de la victime, aux psychiatres français et aux citoyens d’une manière générale – à l’exception notable de celui qui, pénalement irresponsable, vit hors du monde.
En fin de journée on apprenait qu’un an de prison avec sursis avait été requis. « Tour à tour, le président du tribunal, les parties civiles et le procureur ont pris soin de préciser que la profession de psychiatre n’était pas mise en cause, et ce devant une salle où avaient pris place de nombreux confrères venus en soutien » rapporte l’Agence France Presse (AFP).
« Pas d’impunité pour qui que ce soit »
La dépêche ajoute toutefois que le président Fabrice Castoldi a déclaré : » Il n’y a pas dans la société française d’impunité pour qui que ce soit ». Il est bon que certaines choses, fortes, soient de temps à autre rappelées dans les tribunaux correctionnels. Puis le président Fabrice Castoldi, a soumis la psychiatre prévenue à un long interrogatoire. « D’un ton assuré, Danièle Canarelli, médecin dans l’établissement Edouard-Toulouse, a nié toute négligence dans le suivi de Joël Gaillard, de son hospitalisation en 2000 jusqu’à à sa fugue le 19 février 2004, vingt jours avant l’assassinat à Gap, à coups de hachette, du compagnon octogénaire de sa grand-mère » rapporte l’AFP.
« Ce patient présentait assez peu de difficultés comportementales durant ses séjours à l’hôpital, a assuré le Dr Canarelli, petite femme de 57 ans aux cheveux courts. Je n’ai jamais contesté sa dangerosité mais la pauvreté symptomatologique m’a troublée et m’a posé un problème de diagnostic », a-t-elle reconnu à la barre, avant de reprendre la parole à la fin de l’audience pour adresser sa « compassion » à la famille de la victime
Un roublard séducteur
Dans son réquisitoire, le procureur Emmanuel Merlin a évoqué « l’aveuglement » de la prévenue, ne cessant d’aller à l’encontre des avis « uniformes » rendus par neuf psychiatres qui préconisaient d’hospitaliser Joël Gaillard dans une structure plus contraignante. En choisissant de lui accorder fin 2003 une sortie à l’essai de longue durée, « séduite » par le comportement « roublard » de son patient malgré son « crescendo dramatique dans la violence », elle a commis « une faute professionnelle devenue pénale, vu les conséquences qu’elle va avoir », a-t-il argué.
Est-on toujours responsable des conséquences de ses actes ? Que dit à la société à un procureur lorsqu’il diagnostique, via une reconstruction personnelle, qu’une a été séduite et qu’elle a cédé à la roublardise de l’un de ses patients ? Séduite donc coupable ? Le principe de précaution existe-t-il aussi, dévoyé, en psychiatrie ? Si oui réclame-t-il d’enfermer ? Le ministère public ne le dit pas. La justice doit être bien gardée: on ne saurait soutenir l’accusation et fournir des explications.
La décision a été mise en délibéré au 18 décembre. Une semaine avant Noël.
(1) A verser au dossier, ces lignes de l’AFP:
« Un psychiatre d’Audincourt (Doubs) a été légèrement blessé à l’arme blanche mercredi 14 novembre dans son cabinet par un de ses anciens patients, un homme au lourd passé psychiatrique qui a pris la fuite et que la justice considère comme un malade « dangereux ». La victime, un médecin âgé d’une cinquantaine d’années, est ressorti assez rapidement de l’hôpital où il avait été admis après l’agression. Il souffre d’une fracture à un doigt et de coupures, notamment aux mains, au cou, à l’épaule et au visage. Il a dû recevoir plusieurs points de suture et s’est vu prescrire 21 jours d’ITT, a précisé à l’AFP le procureur de Montbéliard, Thérèse Brunisso.
Selon la déposition du psychiatre, qui a porté plainte, l’individu « est entré (dans son cabinet) avec une arme blanche et s’est précipité sur lui en disant +vous les psys, vous allez payer+ », a raconté Mme Brunisso.
J’ai appris cette nouvelle en regardant le Journal de la Santé sur Fr 5.
Un confrère de l’accusée s’y étonnait -et, modérément mais tout de même, s’en indignait- de ses problèmes. Selon lui, un diagnostique psychiatrique parce qu’il ne se fonde pas sur des constatations matérielles (biologiques, physiologiques, etc.) ne peut être invalidé et donc qualifié d’erreur médicale.
Comprenons bien cet argument : si le diagnostique ne peut être invalidé, c’est parce qu’il ne peut pas être validé, du moins pas au regard de ce que la méthodologie scientifique ET médicale préconise. Et ce n’est pas un antipsychiatre qui le dit, mais un psychiatre qui le confesse, pour défendre une de ses collègues.
D’aucuns, de ce constat, tireraient la conclusion que cette discipline n’a en conséquence rien d’une science (exacte ou pas) et rien d’une discipline médicale. Voire qu’elle n’est qu’un reliquat dangereux des pratiques les plus contraires à ce que nous appelons l’état de droit, une survivance de l’ancien régime où l’arbitraire propre à la théologie et la morale catholiques avaient force légale.