Le directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) vient de faire une annonce de taille un jour férié. Elle concerne ces contraceptifs qui sont nettement trop prescrits en France. Il annonce une mesure de simple bon sens qui semblait jusqu’ici impossible à prendre. L’année 2013 sera-t-elle celle de l’émergence de la raison dans le monde, toujours bien trop opaque, du médicament ?
Suffirait-il donc d’écrire pour, sinon être lu, du moins entendu. Nous évoquions il y a peu l’étonnante impuissance des pouvoir publics devant les très fortes prescriptions, en France, des pilules dite de 3ème génération. Entre 1,5 et 2 millions de femmes (on ne dispose étrangement pas de chiffres plus précis) consomment aujourd »hui ces contraceptifs. Or si ces derniers présentent certains avantages ils comportent également des risques thromboemboliques nullement négligeables et, en toute hypothèse ne devraient jamais être prescrits en première intention. Parfaitement connu ce risque n’était semble-t-il pas toujours, loin s’en faut, pris en compte par les prescripteurs français. La médiatisation de plusieurs plaintes au pénal avait mis à nouveau cette situation en lumière, tout se passant comme si les responsables de la régulation des médicaments étaient incapables en pratique de faire respecter les indications des spécialités pharmaceutiques. Comme si la liberté de prescription était une donnée quasi sacrée. Comme si les intérêts des fabricants étaient tels que ceux, objectifs, de la santé publique ne se situaient pas toujours au premier plan.
« A la mi-décembre le Pr Dominique Maraninchi, directeur de l’ANSM avait déclaré à l’AFP que les pilules de «troisième génération» étaient encore beaucoup trop souvent prescrites «d’emblée» en France: elles correspondent toujours à environ 50% du volume total des ventes ce qui semble une proportion notablement trop élevée aux yeux des spécialistes de cette question. Le Pr Maraninchi ne proposait toutefois alors aucune solution pour corriger cette situation. Une nouvelle fois, la puissance publique apparaissait comme démunie pour faire respecter les règles de prescriptions médicamenteuses et ce alors qu’elle est la seule à les définir et à avoir les moyens d’agir. Comment comprendre? C’est l’un des mérites des « affaires » sanitaires que de conduire à soulever ce type de questions » écrivions-nous dans notre dernier billet consacré à cette affaire sanitaire.
Le Pr Maraninchi a-t-il lu cette prose interrogative ? On pourrait prendre plaisir à le croire. La vérité est sans doute nettement moins flatteuse pour notre ego. Toujours est-il qu’il vient de déclarer à l’Agence France Presse 1 que l’ANSM va lancer dès mercredi 2 janvier une concertation à ce sujet avec les professionnels. « Si notre mesure de mise en garde auprès des prescripteurs ne suffisait pas, il s’agirait de réserver les conditions de prescription et de délivrance [de ces pilules] pour en limiter l’utilisation, pour être sûr qu’elles ne soient utilisées qu’en deuxième recours et la réserver à des spécialistes, a-t-il expliqué. Ces spécialistes seraient consultés lorsque les patientes ne supporteraient pas ou auraient une contre-indication aux pilules de première ou deuxième génération. C’est une mesure que nous pouvons appliquer rapidement mais qui suppose un pré-requis, de travailler avec les professionnels pour qu’il n’y ait pas de rupture d’accès ».
L’ANSM avait déjà lancé plusieurs alertes dans le passé sur les risques thromboemboliques des pilules de troisième génération. L’Agence préconisait notamment qu’elles ne soient prescrites qu’en second recours. « Face à la montée de l’inquiétude légitime sur les pilules, nous avons envisagé en contact direct avec le ministère de la Santé de renforcer notre dispositif d’information et de sécurité », a expliqué le directeur de l’ANSM. On pourrait le lire autrement : le ministère de la santé, au vu de la médiatisation croissante des plaintes au pénal a jugé nécessaire que l’ANSM prenne une initiative (et qu’elle ne s’en cache pas auprès des médias).
« Il faut que le niveau des prescriptions diminue pour que le taux d’exposition des personnes à risque diminue », a-t-il ‘’martelé’’(APF dixit). L’ANSM veut encore « examiner notre capacité à mener une étude de pharmacoépidémiologie pour mesurer l’impact de ces pilules sur la situation sanitaire française globale », a encore précisé M. Maraninchi. On a appris avant-hier que Le pôle santé publique du tribunal de grande instance (TGI) de Paris s’est saisi de la plainte de Marion Larat, jeune femme de 25 ans handicapée à 65% depuis un AVC qu’elle impute à sa pilule de troisième génération. On sait aussi que deux avocats spécialisés viennent d’annoncer le prochain dépôt de trente plaintes de femmes, s’estimant elles aussi victimes de pilules contraceptives de troisième et quatrième générations.
La raison commencerait-elle à prévaloir ? Comment les professionnels de santé concernés réagiront-ils face à ce qu’ils pourront interpréter comme une nouvelle restriction à leur liberté de prescription ? Ou comme une sanction collective pour des errements individuels ? Dans l’attente, des éclaircissements pédagogiques restent à venir concernant une décision qui constitue une source majeure d’incompréhension collective : celle annoncée mi-septembre par Marisol Touraine, ministre de la Santé de ne plus faire rembourser ces contraceptifs à compter du 30 septembre 2013. Cette décision a été prise après les conclusions rendues par la Commission de transparence de la Haute autorité de santé (HAS), qui a relevé « un risque de complications thrombo-veineuses deux fois plus élevé que chez les femmes sous pilules de deuxième génération».
Une chose est certaine : en 2013 on reparlera, dans les médias, des pilules de 3ème génération en particulier ; des incohérences du monde des médicaments en général.
1 Que se passe-t-il à l’ANSM? Peu de temps auparavant l’Agence de presse médicale (APM) annonçait qu’une réunion extraordinaire du conseil d’administration de l’agence de sécurité du médicament (ANSM) avait été convoquée le 14 janvier à la demande du député (PS, Haute-Garonne) Gérard Bapt, au sujet des effets secondaires des pilules de 3e et 4e générations. La présidente du conseil d’administration de l’ANSM, Agnès Jeannet, avait déclaré à l’APM qu’elle « avait prévu de réunir le conseil d’administration en séminaire de travail le 14 janvier » et qu’elle allait « en plus convoquer un conseil d’administration extraordinaire » qui se penchera sur l’affaire des pilules de nouvelles générations.
Pour sa part dans un courrier adressé à l’ANSM le lundi 31 décembre (et dont l’AFP a eu copie le mardi 1er janvier) M. Bapt avait demandé « une réunion extraordinaire du conseil d’administration », dont il est membre, afin de faire un point sur la question de ces contraceptifs. Il réclamait surtout une expertise sur « l’insuffisance de l’actuelle communication d’alerte sur les alarmes de pharmacovigilance vers les médecins et pharmaciens ». Le député de Haute-Garonne se disait également « stupéfait qu’il faille une fois de plus que ce soit la presse qui informe les victimes d’événements indésirables graves de la cause de leurs maux ». C’est là, comme on le sait, un bien vaste sujet
Bonjour
C’est assez rigolo cette histoire de prescription réservée aux « spécialistes ». Il doit s’agir des gynécologues ? Il se trouve qu’ils sont depuis longtemps les principaux prescripteurs de ces pilules de 3ème et 4ème génération.
Si l’on veut parler de sanction, c’est donc eux qui devraient être interdits de prescription.
Quant à penser qu’ils se protègent mieux du marketing pharmaceutique que les généralistes…
Après une nuit de réflexion, la réponse me paraît claire : Il faut créer un corps de spécialistes de la prescription indépendante et intelligente. Quelle que soit leur spécialité médicale. Ces spécialistes auraient les caractéristiques suivantes :
– Ne reçoivent pas les visiteurs médicaux des laboratoires.
– Ne participent à des congrès que s’ils financent eux-mêmes voyage, hébergement et inscription (5% des médecins français maxi)
– Sont abonnés à au moins une revue médicale professionnelle non financée par le publi-rédactionnel
– Refusent les formations organisées ou financées par les industriels du médicament
– Ont signé la charte du Formindep http://www.formindep.org/La-Charte-du-Formindep,61.html
Je sais bien que ça ne fait pas lourd, mais ces médecins sont plus susceptibles que d’autres de prescrire intelligemment des produits qui sont l’objet d’un marketing excessif. Outre la santé publique, je pressens d’importantes économies pour l’assurance maladie.
Reste à leur trouver un nom…