Statines et cholestérol : blitzkrieg médiatique en retour

Le Figaro de ce jour, 18 février 2013. Page 13, un communiqué de presse comme il en existe tant et tant. Or celui-ci est sans précédent. Il est signé de treize associations de malades, sociétés savantes médicales et associations de lutte contre les maladies cardiovasculaires et neurovasculaires. (Le même texte a été publié dans Le Monde daté du 19 février). 

On ajoutera ici l’intervention inattendue du président du Crif. Dans la newsletter de cette institution Richard Prasquier,  cardiologue de formation revient sur ce sujet de manière éclairante et caustique. Le texte de son intervention est à lire ici.

Union hier encore improbable contre l’offensive éditoriale et médiatique déclenchée par  « deux livres » qui remettent en cause les dangers des troubles du cholestérol et l’opportunité des traitements par les statines. Une nouveauté de taille dans les rapports, au sens large,  entre le journalisme et la santé publique.  Explication de textes.    

 

Le scandale était annoncé. Va-t-il se retourner contre ceux qui s’en pourléchaient ? Il y a précisément une semaine nous annoncions la déclaration de guerre sur ce blog.  Nous sommes aujourd’hui à front renversé et les deux assaillants sont sous le feu de la mitraille. Les deux assaillants ? D’une part le Pr Philippe Even,  pneumologue né en 1932 et plaisamment rangé dans la catégorie des personnalités dopées à l’âge. D’autre part le Dr Michel de Lorgeril qui réclame une notable antériorité sur le premier. On trouvera ici le site de ce cardiologue chercheur au Cnrs présenté par son éditeur comme le dénonciateur de « la plus grande arnaque de la médecine scientifique ».

Philipe Even et Michel de Lorgeril. Ce sont là deux personnalités iconoclastes. Avec les charmes (incontestables) et les limites (étroites) du genre. Les deux estiment aujourd’hui haut et fort que les statines n’ont pas de véritable effet positif sur la baisse de la mortalité, que les études les concernant sont systématiquement biaisées, que leurs auteurs sont piégés par des conflits d’intérêts. Les deux dénoncent une manipulation généralisée et font une autre lecture des publications spécialisées. On peut voir là, au choix, la dénonciation d’un scandale bien caché ou une nouvelle expression de la théorie du complot.

Surfer et/ou léviter

Dans les deux cas l’affaire semblait devoir faire recette. Les deux auteurs surfent (ou lévitent) depuis quelques jours sur les vagues médiatiques. Une vague amplifiée par le  Nouvel Observateur, hebdomadaire qui (OGM-poisons et Baclofène-miracle) fait étrangement, à la Une, son miel du réductionnisme scientifique et sanitaire. Cette fois ce fut Philippe Even et son « éloge du cholestérol ».

Et puis, aujourd’hui cette contre-offensive surprise,  petit blitzkrieg médiatique. Il est l’œuvre de treize entités dont on retrouvera ici les logos autour d’un communiqué de presse et d’un historique de l’affaire, sorte d’anti-éloge  du cholestérol.  L’adversaire n’est pas désigné nommément mais le propos est clair :

« Associations de patients, sociétés savantes médicales et associations de luttecontre les maladies cardiovasculaires et neurovasculaires, se rejoignent pour exprimer leurplus vive inquiétude devant la réaction de nombreux patients qui, à la suite de deux livresrécents, ont décidé d’interrompre leur traitement pour excès de cholestérol (statines) oudiabète (gliptines ou analogues). »

L’enjeu de ne l’est pas moins (46 000 morts prématurées chaque année). Premier coup de massue : « De nombreux scientifiques ont souligné le côté provocateur et très imprécis de ces livres, par des auteurs dont les champs de compétence médicale sont à la fois limités et discutables dans ce domaine d’expertise. Beaucoup d’arguments avancés ne sont pas documentés ou simplement inexacts. »  Et coup de poignard : « L’importance donnée à ces ouvrages témoigne des  travers de notre société – ou scandale rime trop souvent avec succès – mais nous ramène aussi à une médecine d’un autre siècle, préjudiciable pour tous. » Puis exhortation finale : « Nous recommandons aux  patients de ne pas interrompre leur traitement  sans consulter ».

Irritations et lassitudes

Une première offensive, isolée, datait du 15 février 2013. Elle émanait de l’Association française des diabétiques (AFD) 1. Le communiqué de presse était alors intitulé « Halte aux déclarations tapageuses : les patients méritent mieux ! »Il balayait plus large. On ajoutera  le tir au canon de marine diplomatique de la HAS contre le Pr Even : « Inquiéter les malades, provoquer leur défiance vis-à-vis d’un traitement utile et vis-à-vis des médecins qui prescrivent leur traitement n’est pas responsable. Faire courir le risque d’arrêter leur traitement à des malades qui en ont réellement besoin fait porter une responsabilité lourde à l’auteur de ce livre ».

Il faut enfin compter avec les réactions diverses émanant des professionnels. Comme celles, lassées et agacées, recueilles par le Dr Anne Teyssédou-Mair pour Le Quotidien du Médecin. 

Pr Albert Alain Hagège (président de la Société française de Cardiologie : «  Il y a trois assertions dans ce livre qu’il faut démonter : l’excès de cholestérol est bien cause dans les maladies artérielles. Les maladies génétiques telles que l’hypercholestérolémie familiale monogénique multiplie le risque d’événement cardiovasculaire par 50 à100. La deuxième nous dit que les statines n’ont aucun intérêt. Depuis 1994, on sait que dans le haut risque vasculaire, la prescription d’une statine dont l’efficacité n’est pas discutable, diminue de 30 % le risque de récidives. Il faut traiter 15 patients pour éviter un événement grave. Tout cela est très solide. Nous avons accumulé un niveau de preuves pour les statines très important. Enfin, personne ne dit qu’il faut prescrire des statines à l’ensemble de la population. Les recommandations internationales ont défini des seuils d’intervention en fonction du niveau de risque. La cible est d’autant plus basse que le niveau est élevé : lorsque le risque est très faible on supporte des concentrations de cholestérol plus élevé. Pour nous il n’y a pas de discussion possible : le haut risque cardiovasculaire est parfaitement décrit dans les recommandations et tout cela est publié. »

Pr Joël Ménard : cardiologue, ancien directeur général de la santé : « Je n’ai pas lu le livre de Philippe Even, mais j’estime que la présentation qui en est faite dans les journaux grand public datés du 14 février est susceptible de mettre  en danger la vie de certains patients ». Pr Eric Bruckert ( endocrinologue, La Pitié-Salpêtrière, Paris) : « Nous ne sommes pas face à une polémique scientifique mais à un événement médiatique. Premièrement, sur le rôle du cholestérol, il y a une cohérence et une concordance de toute une série d’études qui vont dans le même sens. De multiples études expérimentales montrent que l’augmentation de la concentration de cholestérol élève le risque d`évènement cardiovasculaire et, à l’inverse, et une baisse de la concentration a un effet protecteur. Deuxièmement, les études épidémiologiques ont montré un lien curvilinéaire entre la concentration de cholestérol et les évènements cardiovasculaires ; ce lien persiste après ajustement des autres facteurs de risque.

De la négation des évidences

Troisièmement, les études génétiques montrent que toute augmentation du cholestérol quel que soit le facteur génétique responsable est associé à une augmentation parallèle du risque cardiovasculaire. Et enfin, les méta-analyses, notamment celle de Law publiée en 2003 dans le BMJ, montrent que la réduction du cholestérol avec la diététique ou les médicaments est associée à une baisse significative des évènements cardiovasculaires. Même si tout peut être discuté en médecine, le niveau de preuves sur le lien causal entre cholestérol et maladies cardiovasculaires est considéré comme le plus élevé qui soit. L’arrêt d’une statine chez un sujet à haut risque expose à une récidive d’évènement. Cet ouvrage est une telle négation des évidences qu’il est parfois difficile d’y répondre. »

Les tenants de la théorie du complot diront que ces réactions, ce communiqué de presse pluri-associatif sont alimentés sinon financées plus ou moins en sous-main par les responsables des firmes pharmaceutiques concernées. Ce qui n’est peut-être pas faux. Est-ce dire que ce qui y est dit est faux ?

1 Créée en 1938 et reconnue d’utilité publique en 1976, l’Association française des diabétiques (AFD) est la Fédération des associations de patients atteints de diabète en France. Elle « accompagne, défend et informe les personnes diabétiques ». L’AFD est une fédération de cent cinq associations locales qui regroupent plus de centre trente mille membres.

 

 

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