Dernière initiative en date dans la « controverse » sur les statines : celle de Prescrire qui joue ici pleinement son rôle de formation médicale (et pharmaceutique) continue. Serait-il déraisonnable d’imaginer que le Pr Philippe Even intègre cette analyse et ces recommandations. Notamment dans les prochaines éditions de son ouvrage médiatisé à haute dose (Le Nouvel Observateur) et promis, dit-on, à un bel avenir en librairie. En devanture dès le 21 février.
Dans les prolégomènes de la polémique annoncée il y avait eu la réaction, acide, de la HAS. On la retrouvera ici. Puis il y a eu celle, sans précédent d’un consortium réunissant associations de malades et sociétés savantes des spécialités médicales concernées. Nous en avons parlé ici. Vient aujourd’hui celle exhaustive mais nullement roborative, de Prescrire. On la trouvera ici, en accès libre.
Nous avions pour notre part retrouvé une trace d’une lecture faite par Prescrire sur les statines. C’était en 2003 et sous le titre « L’âge d’or des statines » nous y avions consacré une chronique dans Médecine & Hygiène (aujourd’hui Revue Médicale Suisse). Dix ans plus tard elle prend une saveur nouvelle.
Extraits :
« Peu suspecte – c’est un doux euphémisme – d’être dépendante de l’industrie pharmaceutique, la revue mensuelle Prescrire (près de 30 000 abonnés, médecins et pharmaciens) tresse, dans son dernier numéro (daté d’avril), une forme de couronne de laurier à la famille des statines ou plus précisément aux deux molécules de cette famille (la pravastatine et la simvastatine) qui ont été les mieux évaluées. On sait que les statines – qui agissent avant tout, mais pas seulement, par inhibition compétitive de l’HMG CoA réductase – dont les spécialistes de médecine cardiovasculaire sont unanimes à vanter les mérites, sont commercialisées depuis plus de dix ans et qu’elles permettent de réduire durablement certaines des anomalies des concentrations sanguines de cholestérol.
Elargir les indications ?
La question aujourd’hui soulevée est, concrètement, celle de l’élargissement de leurs indications. Une étape importante avait été franchie en juillet 2002 avec la publication dans les colonnes du Lancet d’une étude qualifiée, au choix d’«étude-phare» ou encore de «travail-pivot» par les spécialistes de la lutte contre les affections cardiovasculaires. Menée pendant cinq ans sous la direction du Pr Rory Collins (Université d’Oxford, Royaume-Uni) auprès de 20 536 personnes âgées de 40 à 80 ans, cette étude (dénommée Heart Protection Study (HPS)) démontrait en substance que la prise quotidienne de simvastatine permettait d’obtenir une importante réduction du risque de mortalité par infarctus du myocarde ou par accident vasculaire cérébral.
L’originalité de ce travail (financé à la fois par Merck Sharp and Dohme et les pouvoirs publics britanniques) était d’apporter la démonstration que cette réduction de la mortalité – de l’ordre de 18% pour les décès par infarctus – concernait autant les personnes qui ont des taux sanguins anormalement élevés de cholestérol que celles qui n’en ont pas mais qui sont, pour d’autres raisons – hypertension artérielle, diabète, antécédents d’infarctus – exposées au risque d’accident cardiovasculaire.
Quelque soit le taux de cholestérol
Parallèlement à la réduction de la mortalité, les auteurs de ce travail expliquaient avoir observé une fréquence nettement moindre de pathologies vasculaires aux conséquences non mortelles chez les personnes prenant la simvastatine par rapport à celles prenant une substance placebo.
Jusqu’alors les statines ne pouvaient, selon la réglementation en vigueur, être prescrites que dans différentes formes d’hypercholestérolémie et ce «en complément d’un régime adapté et assidu». Les résultats de l’étude HPS fournissaient pour la première fois la démonstration que la prise au long cours d’une statine était de nature à procurer de substantiels avantages préventifs et ce – surprise – quelque soit le taux sanguin de cholestérol dès lors que le patient présentait un risque cardiovasculaire.
Ce résultat soulevait bien évidemment de nombreuses et troublantes questions quant à la réalité et à l’ampleur des mécanismes d’action des statines qui sont aujourd’hui consommées par près de trois millions de personnes en France.
«On peut raisonnablement supposer qu’outre leur action anticholestérolémiante ces médicaments jouent un rôle dans les différents processus pathologiques impliqués dans les maladies cardiovasculaires, qu’il s’agisse de facteurs infectieux, de la coagulation sanguine ou de la formation des plaques d’athéromes sur les parois artérielles, expliquait au Monde le Pr Gabriel Steg (Hôpital Bichat, Paris). Quoi qu’il en soit, les résultats de l’étude HPS sont indiscutables et conduiront immanquablement à un bouleversement des pratiques médicales vis-à-vis des personnes à risque cardiovasculaire.»
MSD et Bayer
Pour sa part, la firme MSD expliquait alors avoir demandé à l’Agence européenne des médicaments une extension des indications de la simvastatine. Les responsables de MSD situant alors à 20 millions le nombre des personnes concernées par les risques cardiovasculaires en France, pariaient sur une augmentation rapide et importante des ventes de leur médicament. Le paradoxe voulait que les nouveaux bénéfices de cette classe thérapeutique fussent établis quelques mois après une étonnante controverse internationale concernant les effets secondaires musculaires graves, parfois mortels, d’une statine commercialisée par la multinationale pharmaceutique allemande Bayer et qui fut retirée du marché mondial en août 2001.
Aucun effet secondaire notable de ce type n’a été observé lors des cinq ans qu’a duré l’étude HPS, ce qui laisse penser aux spécialistes que ce sont des éléments spécifiques à la statine de Bayer (dosage trop important, mauvaises conditions de prescription et de surveillance ?) qui furent, en fin de compte, à l’origine des phénomènes pathologiques observés aux Etats-Unis et dans différents pays d’Europe. »
Dix ans ont passé. Prescrire a méthodiquement continué son travail. Il en rappelle l’essentiel. C’est à la fois utile et heureux. On peut imaginer que le Pr Philippe Even s’y intéressera.