Dépistage des fœtus trisomiques : l’Agence de biomédecine accusée (1)

Le sujet est douloureux mais essentiel d’un point de vue à la fois éthique et démocratique. Pour autant il est rarement abordé dans les médias d’information générale. Aujourd’hui rebondissement sans précédent.

Aidera-t-il à une meilleure prise de conscience collective ? En parler modifiera-t-il l’attitude de l’Agence de biomédecine et de la Direction générale de la Santé? Pourquoi ne pas saisir ici le Comité national d’éthique ? Voici les  informations actuellement disponibles.

Le cas n’est pas banal : les seize membres 1 de la Commission nationale de l’échographie obstétricale et fœtale viennent de démissionner de leur fonction. Ils le font « pour protester contre l’absence d’évaluation du dépistage prénatal de la trisomie 21 mis en place en 2010 ». Ils ont annoncé cette décision dans un communiqué de presse 2.  Ils réclament notamment une « évaluation scrupuleuse » par les autorités sanitaires de ce dépistage qui a permis de réduire de moitié les amniocentèses, « évitant la perte de quatre cent cinquante  grossesse et réduisant annuellement les coûts de santé de vingt millions d’euros ».

Interrogé par l’Agence France Presse le Pr Jacques Lansac, président (démissionnaire) de cette Commission a expliqué  « qu’après des mois de tergiversation » l’Agence de biomédecine « avait fait savoir qu’elle n’élaborerait pas la base de donnée projetée pour améliorer les pratiques et fournir les informations nécessaires au choix éclairé des familles ». Le Pr Lansac a ajouté : « Nous souhaitons avoir ces données pour savoir si nous ne passons pas à côté de certains cas de trisomie. […] Nous voulons éviter que des parents nous attaquent parce qu’ils ont eu un enfant trisomique, malgré le dépistage ».

Pas d’information loyale ?

Le  dépistage  de  la  trisomie  21  sur  le territoire  national  a  fait  l’objet  de  l’arrêté  du  23  juin  2009 précisant  ses modalités. Il  repose  sur l’évaluation du  risque individuel grâce à l’échographie du 1er trimestre combinée aux marqueurs sériques. La mise en place avec succès de ce dépistage a permis une  réduction  sensible  du  nombre  de  prélèvements  invasifs  (amniocentèse  et  biopsie  de trophoblaste)  au  plan  national  et  une  diminution  similaire  des  pertes  fœtales  secondaires  à  ces prélèvements (risque estimé à environ 1 % par prélèvement)

Les accusations des démissionnaires sont lourdes. Ils estiment que la direction de l’Agence de biomédecine «  ne permet pas d’assurer une information loyale des femmes sur ce dépistage, pourtant essentielle pour les aider dans leur choix d’y recourir ou non. » Ils l’accusent aussi « d’interdire aux professionnels d’accéder à leurs données en vue de l’amélioration de leurs pratiques ». « La Direction générale de la santé, maintes fois alertée par les professionnels, n’a fait que tergiverser, au mépris de l’information des femmes, de la qualité des soins et même de ses propres règlements » ajoutent-ils.

C’est la première fois que l’Agence de biomédecine est accusée de facto, par des professionnels de santé, d’une forme de manquement à l’éthique. Et les mêmes d’accuser ouvertement et par voie de presse en des termes presqu’aussi violents.

En toute hypothèse ces accusations ne sauraient durablement rester sans réponse.

(A suivre)

 1 Il s’agit du Pr Jacques Lansac (président de la Commission Nationale de l’Echographie Obstétricale et Fœtale), du Dr Roger Bessis (président de la Fédération Française des Ultrasons, du Dr Nicolas Fries (président du Collège Français d’Echographie Fœtale), du Pr Marc Dommergues (représentant du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français), du Pr Yves Ville  (représentant des Centres Pluridisciplinaires de Diagnostic Prénatal), Pr Israël Nisand (représentant du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français), de Mme Frédérique Teurnier (représentante du Collège National des Sages Femmes), du Pr Philippe Devred (représentant de la Société Française de Radiologie), du Pr Didier Lemery (représentant la Fédération des Réseaux de Périnatalité),  du Dr Philippe Coquel (représentant de La Fédération Nationale des Médecins Radiologues), de M Philippe Viossat (personnalité qualifiée), Dr Philippe Kolf (représentant le Syndicat National de l’Union des Echographistes), Dr Bernard Broussin (spécialiste en radiologie et imagerie médicale, personnalité qualifiée), de Mme Marie Claude Feinstein (représentant le Collectif Inter associatif sur la Santé -CISS, Union Nationale des Associations Familiales -UNAF), de Mme Anne-Marie Curat (représentante du Conseil National de l’Ordre des Sages-Femmes), de Mme Isabelle Bohl (représentante du Conseil National de l’Ordre des Médecins).

2 Voici le texte de ce communiqué :

« Une nouvelle politique de dépistage anténatal des anomalies chromosomiques, en particulier de la trisomie 21, a été mise en place à l’échelon national depuis trois ans. Par leurs carences, leurs atermoiements et une opposition systématique aux demandes des professionnels, la Direction Générale de la Santé et l’Agence de Biomédecine bloquent une évaluation propre à obtenir les données nécessaires à l’information loyale des femmes comme à la garantie de la qualité des actes médicaux. Il est essentiel que les femmes qui choisissent de recourir à ce dépistage le fassent dans les meilleures conditions d’information, de respect de leurs positions éthiques, et de sécurité.

 Chaque femme enceinte est informée de la possibilité de recourir à un dépistage qui mesure le risque que le fœtus qu’elle porte soit atteint de trisomie 21. Ce calcul de risque prend en compte l’âge maternel (le risque augmente avec celui-ci) et il est pondéré par des données échographiques et des données biologiques obtenues par une prise de sang. Au-delà d’un certain seuil de risque, un prélèvement par amniocentèse ou biopsie du trophoblaste est proposé afin d’analyser des cellules fœtales permettant le diagnostic ou l’exclusion d’une anomalie chromosomique. Ces prélèvements comportent un risque de 1% de perte de la grossesse.

Dès 2007, la Haute Autorité de Santé avait proposé une stratégie rationnelle en insistant tout particulièrement sur la nécessité d’inclure chacune des étapes de ce dépistage dans une démarche qualité. Après concertation avec les professionnels, l’arrêté du 23 juin 2009 a fixé très précisément toutes les conditions de mise en place du dépistage des anomalies chromosomiques. Cet arrêté insiste sur la nécessité d’évaluer la pertinence des nouvelles dispositions proposées aux femmes, ainsi que les pratiques individuelles des professionnels concernés.

La mise en place des nouvelles modalités a débuté en 2010 et les premiers résultats recueillis sont encourageants. Le nombre de prélèvements a baissé de moitié, évitant la perte de 450 grossesses et réduisant annuellement les coûts de santé de 20 millions d’euros. Au-delà de ce premier constat, il convient de s’assurer que la réduction drastique du nombre d’amniocentèses n’a pas été préjudiciable à la fiabilité du dépistage. Comme l’arrêté du 23 juin 2009 le prévoit, l’évaluation scrupuleuse de la politique adoptée au niveau national est indispensable. A cet effet, un outil informatique (une base de données) permettant la collecte et l’analyse exhaustive, mais anonyme, des données médicales est prévu et l’Agence de Biomédecine est chargée de l’organisation pratique de ces dispositions. Après des mois de tergiversations, l’Agence de Biomédecine a fait savoir qu’elle n’élaborera pas la base de données projetée. Elle n’en voit pas l’utilité et propose une analyse globale grossière qui ne permet pas d’assurer une information loyale des femmes sur ce dépistage, pourtant essentielle pour les aider dans leur choix d’y recourir ou non. En outre, cette approche interdit aux professionnels d’accéder à leurs données en vue de l’amélioration de leurs pratiques. La Direction Générale de la Santé, maintes fois alertée par les professionnels, n’a fait que tergiverser, au mépris de l’information des femmes, de la qualité des soins et même de ses propres règlements.

Le 8 février 2013, les professionnels et les représentants des usagers réunis au sein de la Commission Nationale de l’Echographie Obstétricale et Fœtale ont solennellement pris acte de la carence du Ministère et ont décidé à l’unanimité la dissolution définitive de cette commission.

Il est particulièrement inquiétant de constater que le Ministère, en particulier la Direction Générale de la Santé et l’Agence de biomédecine, et par tant leur Ministère de tutelle, délaissent leur mission d’évaluation des politiques de santé proposées à la population. Ils entravent ainsi les efforts des professionnels de santé,(pourtant souvent mis en cause par ces mêmes institutions) dans l’amélioration de leurs pratiques et les privent des éléments d’information nécessaires au choix éclairé des femmes et des familles. »

 

 

 

 

 

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