Cette benzodiazépine a été autorisée à la vente (Sanofi) le 3 mai 1967 . Soit il y aura bientôt quarante-six ans. Plus fort que le Médiator (Servier; trente-trois ans). C’est fini, aussi, pour elle. Ou presque. Une affaire de jours. De semaines peut-être.
Grâce, semble-t-il, à une forme de renouveau de la pharmacovigilance française et à une nouvelle volonté politique à la tête de l’Ansm il est apparu que le Myolastan était décidément nettement trop dangereux et (rarement mais trop fréquemment) mortel.
Les chiffres sont, enfin, là. Par quoi les prescripteurs vont-ils le remplacer ? Les rhumatologues ont-ils eu le temps d’y songer ?
Le tétrazépam (Myolastan et génériques) a pour indication «Traitement des contractures musculaires douloureuses en rhumatologie (en association aux traitements spécifiques) ».
Rappel.
C’est l’une des benzodiazépines les plus prescrites et les plus consommées en France (premier rang en nombre de malades prévalents en 2009 et 2010 d’après les données du régime général de l’assurance maladie) (1) avec des chiffres en augmentation sur lapériode 2005‐2010. Outre la France le Myolastan est aujourd’hui commercialisé dans trente-sept pays à travers le monde. Le tétrazépam appartient à la classe des 1-4 benzodiazépines et a une activité pharmacodynamique qualitativement semblable à celle des autres composés de cette classe: myorelaxante, anxiolytique, sédative, hypnotique, anticonvulsivante, amnésiante. Le tétrazépam reste aujourd’hui la seule benzodiazépine sur le marché français dont la durée de prescription n’est pas limitée.
On sait que ces effets sont liés à une action agoniste spécifique sur un récepteur central faisant partie du complexe « récepteurs macromoléculaires GABA-OMEGA », également appelés BZ1 et BZ2 et modulant l’ouverture du canal chlore.
Comme un jeu de piste administratif et réglementaire. Le 12 avril 2013 : ce message de l’Agence nationale de sécurité des médicaments :
« En juillet 2012, avec l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation européenne, le Comité pour l’Evaluation des Risques en matière de Pharmacovigilance (PRAC) a été mis en place. Il a un rôle majeur dans la surveillance des médicaments au sein de l’Union Européenne. Son travail participe au renforcement du dispositif de pharmacovigilance. Il réévalue le rapport bénéfice/risque des médicaments pour des raisons de pharmacovigilance mais examine également les nouveaux signaux, les études de sécurité après autorisation de mise sur le marché (AMM), les rapports périodiques de sécurité, les plans de gestion de risque (PGR) et les résultats des inspections de pharmacovigilance. Chaque Etat-Membre y est représenté par un ou deux délégués. Les patients et les professionnels de santé sont désormais représentés au PRAC (Décision de la Commission Européenne du 1er mars 2013).
Pour comprendre.
Il faut aller dans une annexe. Celle-ci. Mieux encore, consulter un rapport. Celui-ci. Une instruction menée par la France et un avis européen prononcé à sa demande France. concerne le tétrazépam. Mieux connu sous le nom de Myolastan. Et ce depuis près de cinquante ans.
En clair : le tétrazépam est une substance active appartenant à la classe thérapeutique des benzodiazépines, utilisée en France pour son activité myorelaxante. Commercialisés depuis 1967, les médicaments contenant du tétrazépam par voie orale (Myolastan et spécialités génériques) sont indiqués dans le « traitement des contractures musculaires douloureuses ». Essentiellement en rhumatologie. Dix sept spécialités ont ou ont eu une AMM et douze sont commercialisées
Tout aurait pu continuer comme par le passé. C’était compter sans la nouvelle surveillance exercée par la pharmacovigilance en France qui a mis en évidence (par rapport aux autres benzodiazépines) une fréquence élevée d’effets indésirables cutanés pour ce produit, parmi lesquels des effets rares mais graves, voire mortels, tels que des syndromes de Stevens-Johnson, de Lyell et d’hypersensibilité médicamenteuse . L’ANSM a porté ce dossier devant le PRAC en janvier 2013.
Retour au jeu de piste :
S’agissant d’un important problème de sécurité, la procédure d’urgence (article 107 de la Directive européenne 2001/83) a été utilisée. La Belgique et la France étaient en charge de l’évaluation au niveau européen. Après analyse des effets indésirables cutanés précités et compte tenu de la spécificité du profil de sécurité de cette benzodiazépine et des incertitudes quant à son bénéfice thérapeutique, le PRAC a recommandé la suspension de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) des produits contenant du tétrazépam. Des mesures de minimisation ont été envisagées (restriction de l’indication et réduction de la durée de traitement en particulier) mais n’ont pas été jugées suffisantes.
Ces médicaments bénéficiant d’une autorisation nationale dans les Etats-Membres où l’AMM a été
octroyée, la recommandation du PRAC sera examinée par le comité européen de coordination
(CMDh) du 22 au 24 avril avant la mise en place éventuelle des mesures de suspension au niveau
national. Dans l’attente de la position du CMDh, l’ANSM recommande aux prescripteurs de ne plus initier de
traitement par tétrazépam.
Retour au concret :
Les résultats de la base nationale de pharmacovigilance font état d’un enregistrement de 1616 cas, dont 648 graves ; la moitié de ces effets sont des effets cutanés (805 cas, dont 305 graves). Parmi eux , on retrouve 33 cas de syndrome de Stevens‐Johnson (dont un cas d’évolution mortelle) , 33 cas de syndrome de Lyell (dont 9 cas d’évolution mortelle) , 59 cas d’érythème polymorphe (dont un cas d’évolution mortelle), 15 cas de syndrome d’hypersensibilité médicamenteuse (DRESS) et 3 autres cas possibles de DRESS, 5 cas de pustulose exanthématique aiguë généralisée (un 6 ème cas possible). Des cas d’anaphylaxie ont également été notifiés (97 cas d’urticaire ‐ avec parfois œdème
palpébral ou de la face associé, 21 cas d’œdème de Quincke et 10 cas d’angiœdème), auxquels il faut ajouter 2 cas de choc anaphylactique (SOC « Affections du système immunitaire »). De nombreux cas d’hypersensibilité retardée ont également été notifiés , dont 76 cas avec patch test au tétrazépam positif ; 6 cas d’exposition professionnelle d’hypersensibilité retardée ont été notifiés (nombreux cas dans la littérature).
Parmi les effets graves autres que cutanés, les effets neurologiques, les effets psychiatriques et les troubles généraux représentent une part importante. Dans la plupart des cas notifiés, la polymédication est majoritaire (association à des antalgique, à des anti-inflammatoires non stéroïdiens, à des myorelaxants, etc.). Parmi les cas graves des laboratoires (doublons de la base exclus), on retrouve 7 cas de syndrome de Lyell dont 2 d’évolution mortelle, 4 cas de syndrome d’hypersensibilité médicamenteuse (DRESS), 4 cas d’érythème polymorphe, 1 cas de Stevens-Johnson, 1 vascularite leucocytoclasique, 1 dermatose bulleuse, 8 cas d’éruptions diverses. A noter également 5 suicides et 5 tentatives de suicide.
Conclusion officielle de la Commission nationale de pharmacovigilance du 20 novembre 2012
« Ce bilan montre un tropisme cutané inhabituel au sein de la classe des benzodiazépines, en plus des effets classiques des benzodiazépines. Le déremboursement n’est pas suffisant pour diminuer le risque, compte tenu du faible prix de toutes les benzodiazépines. Par ailleurs, le tétrazépam reste aujourd’hui la seule benzodiazépine sur le marché français dont la durée de prescription n’est pas limitée,»
Pour en finir
Dans l’attente des résultats de la réévaluation européenne l’Ansm rappelle « que le traitement par décontracturant musculaire est un traitement symptomatique et qu’il existe des alternatives thérapeutiques au tétrazépam dont des prises en charge non médicamenteuses. Quand les spécialités à base de tétrazépam doivent être utilisées, l’Ansm recommande de limiter leur durée d’utilisation au strict minimum ». L’Ansm sera-t-elle entendue des rhumatologues et autres prescripteurs ? Seuls les chiffres de vente « en direct », inaccessibles ou presque en l’état, permettraient de le dire.
(1) Une nouvelle fois (comme dans le cas de l’affaire du Médiator) des décisions majeures de santé publique semblent buter sur l’absence de transparence quant aux données des ventes de spécialités pharmaceutiques. Depuis que le tétrazépam n’est plus remboursé (décembre 2011), le nombre de boîtes vendue s a diminué de 30,3%. Pourquoi a-t-il été déremboursé ? Et pourquoi ne l’a-t-il pas été plus tôt ?
Bonsoir,
Pour reprendre une phrase qui m’a un peu interpellée : « qu’il existe des alternatives thérapeutiques au tétrazépam dont des prises en charge non médicamenteuses », il me semble justement que c’est plutôt le contraire. On en arrivait à devoir le prendre car aucune autre solution ne permettait un soulagement aussi rapide.
Les statistiques et raisons invoquées, c’est « le parapluie ». En 45 ans, combien en ont pris sans effet néfaste par rapport aux cas répertoriés ? N’aurait-il pas fallu prévoir une vigilance accrue et une durée de traitement plus limitée, des conditionnements moins importants avant d’en arriver là ?
La décision de retrait est extrême et beaucoup de patients ne l’ont pas comprise, et surtout se retrouvent démunis. Votre article, très clair, m’a cependant permis de comprendre un peu mieux comment cette décision a été prise, et le contexte.
Mais surtout les patients comme moi qui en avaient besoin dans les moments de crise aiguë pour pouvoir continuer à travailler, aimeraient savoir à qui s’adresser pour donner notre avis à ces instances décisionnaires et surtout qu’il soit entendu.
Merci à vous.