« Mourir d’apocalypse » : et vous trouvez ça drôle ?

C’est un petit livre anonyme et donc sans prétention.[1] Destiné à faire rire. Format de poche, 126 pages. Rire ? On y parvient parfois. Sourire plutôt. C’est un petit livre inclassable et qui laisse songeur. 

«Brèves de médecine» ? C’est là un genre assez couru. En témoignent nombre de blogs accessibles via http://www.clubdesmedecinsblogueurs.com.

A dire vrai ces phrases brèves  nous en disent plus sur ceux et celles qui les rapportent que sur celles et ceux qui les prononcent et dont on rit volontiers.

C’est un petit livre qui entrouvre la porte du colloque singulier et nous dit, aussi, un petit peu de la misère du monde. L’ouvrir est bien utile: comme les voyages il fait travailler l’imagination.

Cet opuscule nous avait gentiment été adressé il y a quelque temps déjà par l’éditeur. Nous hésitions à l’ouvrir. C’est qu’il ne nous est  jamais très agréable de lire et d’imaginer ce que les médecins peuvent rapporter des incompréhensions langagières qu’ils peuvent croiser au fil du temps et de leur activité. Toujours ou presque, quoique l’on en dise, le patient est en situation d’infériorité. Il perd de sa superbe et veut bien évidemment la garder. Son inconscient est à fleur de peau. Il a peur et le dit de mille et une manières. Le verdict du diagnostic, l’annonce de la thérapeutique tant redoutée, les silences ou le regard fuyant du sachant, la délivrance d’une bonne nouvelle ; tout est prétexte à s’exprimer hors des clous du langage codé.

Le praticien arroseur arrosé

Quand il ne s’agit pas d’incompréhensions dues à l’absence de tact et de pédagogie du médecin. Auquel cas, la blague rapportée est un petit boomerang. On croit faire rire au détriment de l’autre et l’on devient soi-même l’objet du ridicule. C’est l’histoire, décidément toujours impayable, de l’arroseur arrosé ; une histoire au moins aussi vieille que l’invention du tuyau d’arrosage et du cinéma muet.

«Docteur, les médicaments génériques, c’est comme les génériques à la télé ?». Faut-il lui dire ce qu’il en est, à cette gentille dame, des différences entre le copié-collé de la pharmacopée et le déroulé des auteurs et des acteurs d’un spectacle sur écran ? La demande-t-elle vraiment, l’explication de cette différence ? N’attendrait-elle pas tout simplement d’être rassurée ?

Et si, avec ou sans elle, on creusait un instant le propos ? Si on menait un instant l’enquête dans le soubassement de nos langages ? Comment ne pas s’étonner que ce terme générique (apparu en français avec la Renaissance) donne lieu à tant et tant de quiproquos. Bien étrange paradoxe quand on se souvient (quand on apprend) qu’est générique «ce qui appartient à la compréhension logique du genre».

Le générique ça devrait être logique comme la génétique

Ainsi, Voie est-il le nom générique désignant les chemins, routes, rues, etc. Mais le médicament générique ? Notre Petit Robert dit qu’il est celui dont le brevet est tombé dans le domaine public et que, par conséquent, il est meilleur marché. C’est dire en d’autres termes que l’on peut soigner à bas coup. Ce qui est difficilement concevable dans un univers où l’argent règne et où le luxe fait office de thérapeutique. Du moins si l’on en reste à une conception individuelle de la pratique médicale, centrée sur la relation triangulaire «médecin-malade-pharmacien». L’économie, le meilleur marché, ne deviennent acceptables que lorsque le point de vue est collectif. D’où cette autre perception de l’impossible équation du générique : comment faire comprendre que l’intérêt du patient est soluble dans l’intérêt de la collectivité de ses semblables ? Comment le je peut-il, pour partie, se dissoudre sur l’ordonnance de celui qui a écouté l’exposé de ses maux ?

C’est un petit livre sans prétention sans auteur connu. «Première visite, je me renseigne sur l’antécédent médical du patient. – J’ai été opéré d’un rein. – De quel côté ? – Du côté de Dieppe.» S’esclaffer ? Ou comprendre que les questions que nous posons induisent pour partie les réponses décalées qui nous sont faites. Ce patient n’aurait pas évoqué un endroit si l’on avait précisé la latéralité.

Et puis, il y a le comique de l’inversion des rôles.

«Moi : – Vous prendrez une pilule le soir, au réveil, et une le matin, au coucher. Mon patient : – Ça va, docteur ?». Et toujours ces approximations sur les mots d’un monde qui n’est pas le vôtre. «Docteur on vient car le petit a attrapé des verrues planétaires.» «Etre devenu allergique aux granulés quand d’autres le sont aux graminées.» «Ne pas comprendre que l’on peut aisément confondre le diagnostic et la thérapeutique et s’indigner de «ne pas aller mieux après une IRM».

Ausculâtrer le ventre des femmes

A-t-il existé ce médecin qui dit expliquer à son patient que l’on doit lui faire un «cross match» avant une transplantation rénale et qui s’entend répondre : «– Vous ne pouvez pas reporter votre jogging et m’opérer aujourd’hui ?». L’a-t-on entendu cet échange dans un centre hospitalier ? Un rhumatologue explique en quoi le grand handicap chez la femme réside dans la coxarthrose au motif «qu’elle ne peut plus écarter les cuisses». Le commerce des maux et des chairs ne va pas toujours sans une certaine vulgarité. A-t-elle été rêvée (et par qui) cette interrogation féminine adressée à un médecin de sexe masculin : «– Docteur, pouvez-vous m’ausculâtrer le ventre ?». D’où vient-elle cette chimère ausculter-tâter – idolâtrer ? Et d’où vient-il se détartinage des dents réclamé au chirurgien-dentiste après (on l’imagine) bien trop de tartines ?

 C’est un petit livre qui, au fond, ne lève guère le voile sous les coulisses de colloque singulier. Et c’est sans doute mieux ainsi. On ne cherche jamais les raisons qui font que le calembour fait rire. Encore moins les raisons des effets induits de la contrepèterie. Pourquoi ?
La fiente de l’esprit qui vole
«– Il ne faut pas que trop de stupeur accueille ce calembour tombé du ciel. Tout ce qui tombe de la sorte n’est pas nécessairement digne d’enthousiasme et de respect. Le calembour est la fiente de l’esprit qui vole. Le lazzi tombe n’importe où ; et l’esprit, après la ponte d’une bêtise, s’enfonce dans l’azur. Une tache blanchâtre qui s’aplatit sur le rocher n’empêche pas le condor de planer.» Ces mots sont signé de Victor Hugo dans Les Misérables. Il poursuit : «Loin de moi l’insulte au calembour ! Je l’honore dans la proportion de ses mérites ; rien de plus. Tout ce qu’il y a de plus auguste, de plus sublime et de plus charmant dans l’humanité, et peut-être hors de l’humanité, a fait des jeux de mots. Jésus-Christ a fait un calembour sur Saint Pierre, Moïse sur Isaac, Eschyle sur Polynice, Cléopâtre sur Octave. Et notez que ce calembour de Cléopâtre a précédé la bataille d’Actium, et que, sans lui, personne ne se souviendrait de la ville de Toryne, nom grec qui signifie cuiller à pot. (…) Il faut une limite, même aux rébus. Est».

C’est un petit livre à qui on a fixé d’étroites limites et qui n’en demande pas d’autres. Mais c’est aussi un objet qui, une fois ouvert, est une petite mine interrogative. Pourquoi ces blagues, ces histoires de chasse, cet humour plus ou moins néo-carabin ? Pourquoi ces scories filantes tombées du ciel médical ? Pourquoi ces confettis glanés au fil des colloques singuliers ?  D’où vient-elle cette  affaire qui n’est certes pas nouvelle mais qui trouve sur la Toile un nouveau terreau pour s’épanouir ?
[1] «Toubib or not. Brèves de médecine». Paris : Editions Chifflet & Cie, 2013.

Ce billet reprend une chronique initialement publiée dans la Revue médicale suisse

 

 

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