Tout était en place pour que cet homme de trente-sept ans meure. Bientôt cinq ans en état « pauci-relationnel ». Jusqu’au moment où un magistrat juge, en urgence, qu’il devait vivre. Cela vient de se passer au CHU de Reims, dans l’unité de soins palliatifs. Voici comment.
L’affaire est résumée dans un communiqué de presse que vient de mettre sur son site l’Observatoire National de la Fin de Vie (ONFV). Ce document est daté du mercredi 15 mai. Il fait état d’une l’ordonnance du juge des référés concernant une situation de fin de vie au Centre Hospitalier Universitaire de Reims. Pour l’ONFV cette décision de la justice est importante : « d’abord parce qu’elle constitue un cas concret d’application de la Loi Leonetti relative aux droits des patients en fin de vie, et ensuite parce qu’elle contribue à clarifier la façon dont l’avis des différents membres de la famille doivent être pris en compte avant que l’équipe médicale ne prenne sa décision ».
De quoi s’agit-il ?
Le 10 avril 2013, aux termes d’une procédure collégiale, l’équipe médicale de l’Unité de Soins Palliatifs du CHU de Reims a pris la décision d’arrêter la nutrition par sonde et de limiter l’hydratation artificielle pour une personne âgée de 37 ans, en état « pauci-relationnel » (état de conscience minimale) suite à un accident de la circulation survenu en septembre 2008. Bientôt cinq ans. « La famille de Vincent Lambert s’est aperçue lors d’une visite à l’hôpital le 26 avril qu’il n’était plus alimenté ni hydraté alors qu’elle n’avait pas été informée de cette procédure qui le conduisait à la mort » a expliqué l’avocat de la famille cité par le Quotidien du médecin. Alors que son épouse avait exprimé son accord avec l’équipe médicale, les parents se sont aussitôt opposés à cette décision de limitation des traitements. C’est ainsi que le 11 mai 2013, à la demande des parents qui avaient saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, le juge des référés a rendu une ordonnance enjoignant le CHU de Reims de rétablir l’alimentation et l’hydratation de ce patient.
Une définition de la « famille »
Cette décision du juge des référés repose sur le constat que les parents de cette personne n’ont pas été pleinement informés au préalable de la procédure collégiale qui a précédé la décision de limitation et d’arrêt des traitements prise par l’équipe médicale. Ou plus précisément des suites de cette procédure.
Or, dans tous les cas, le Code de déontologie médicale (art. 37) exige que la famille soit informée de la décision de mettre en œuvre cette procédure collégiale (1).
En effet, lorsqu’une personne n’est plus en capacité d’exprimer sa volonté, la loi Leonetti prévoit que toute décision susceptible d’engager son pronostic vital soit prise à l’issue d’une discussion collégiale associant plusieurs médecins ainsi que l’équipe de soins, et qu’elle prenne en compte l’avis de la famille (ce qui suppose de l’avoir demandé au préalable).
Parents vs conjoint
Cette situation est particulièrement complexe car le patient ne peut plus exprimer lui-même ses souhaits concernant sa fin de vie. Elle soulève deux questions essentielles:
1 Lorsque le patient est un adulte, quelle est la place respective (au sein de ce que la loi Leonetti désigne comme « la famille ») des parents d’une part et du conjoint d’autre part ?
2 En cas de désaccord entre les membres de la famille, comment l’équipe médicale doit-elle procéder pour tenir compte de l’ensemble des avis (plus ou moins divergents) qui sont exprimés ?
La Justice ne remet pas en cause le « fond » de la décision prise par l’équipe médicale pour ce patient, mais le fait qu’elle n’ait pas été discutée avec l’ensemble des membres de sa famille. De ce point de vue, la décision du juge des référés apporte des éléments nouveaux pour tenter de répondre aux deux questions soulevées ci-dessus.
Prendre en compte tous les avis
D’une part, elle reconnaît à l’ensemble des membres de la famille un droit à être tenus informés de la mise en place d’une procédure collégiale visant à prendre une décision difficile en fin de vie : c’est ce droit qui permet ensuite aux différents membres de la famille d’exprimer leur accord ou leur désaccord avec les décisions prises par l’équipe médicale.
D’autre part, lorsqu’il existe un désaccord profond au sein de la famille, et lorsque le patient n’a rédigé aucune directive anticipée ni désigné aucune personne de confiance, elle oblige l’équipe médicale à prendre en compte tous les avis exprimés avant de prendre sa décision. Et ensuite ?
« Cela n’a rien de simple ni de facile à mettre en œuvre, dit l’Observatoire National de la Fin de Vie. Mais c’est une des garanties du respect des personnes malades et de leurs proches. » Mais encore ? Comment vivent les membres d’une famille quand ils se déchirent sur la vie et la mort de l’un des leurs ? Et comment vivent-ils après la mort ? Et que dire des soignants qui, en leur âme et conscience avaient décidé de le moment été venu d’en finir avec cette vie qui n’en était peut-être plus une ? Des soignants à qui un juge ordonne, au nom de la loi et quoi qu’il puisse leur en coûter, de faire en sorte que la vie continue. Une apparence de vie ? Peut-être. Mais une vie.
Une « certaine inacceptation de son état »
A l’heure où nous écrivons ces lignes le Quotidien du médecin nous en dit plus. Il cite tout d’abord le Dr Éric Kariger, chef du service médecine palliative et soins du CHU de Reims. Ce médecin suit le patient depuis bientôt cinq ans. En 2013 il observe des modifications du comportement de Vincent qui manifesterait alors son opposition aux soins faisant suspecter un refus de vivre, et ce « même s’il n’est pas facile de donner du sens ».. Une telle modification est, selon lui, « inhabituelle chez ce type de patient qui du point de vue des soins palliatifs sont considérés comme non souffrants pour eux-mêmes ». Après avoir éliminé une cause médicale, l’équipe émet l’hypothèse que le patient était en train de manifester « une certaine inacceptation de son état ».
« Toutefois, Vincent, qui était infirmier psychiatrique avant son accident, avait beaucoup de mal à admettre les états végétatifs des patients et avait toujours exprimé que cette vie n’avait pas de sens, ce qu’a confirmé sa femme et un frère très proche de lui, poursuit le Dr Kariger auprès du Quotidien. En accord avec sa femme qui l’accompagne quotidiennement depuis l’accident, alors que ses parents habitent très loin, nous avons collégialement décidé le 10 avril que le maintien des soins d’hydratation et d’alimentation constituait dans ce contexte une obstination déraisonnable ».
Le Dr Kariger assume courageusement son erreur
Avant l’arrêt des soins, la mère du patient a été « prévenue qu’une procédure collégiale a été lancée qui pouvait aboutir à un arrêt d’alimentation pour laisser partir Vincent naturellement, bien sûr avec un accompagnement pour éviter qu’il ne meure de faim ou de soif », précise le Dr Kariger. La mère exprime alors clairement son opposition et demande d’en discuter avec le père de Vincent, lui-même médecin à la retraite.
L’alimentation est arrêtée avant que les deux parents ne soient revus par l’équipe soignante. « J’assume toute la responsabilité de cet arrêt avant que les parents aient été précisément informés. C’est une erreur, mais la décision était prise parce que la procédure avait été longue et que l’équipe pensait que c’était le bon moment. J’ai ensuite informé les autres membres de la famille », poursuit, non sans un courage certain le praticien. Il admet aussi avoir eu une interprétation restrictive de la Loi Leonetti qu’il assure par ailleurs parfaitement connaître et enseigner.
Une « erreur » qu’il met sur le compte d’un contexte familial particulier, conflictuel et difficile. Depuis la décision du juge des référés, les soins ont été rétablis. « Je me range à la décision du juge. Nous sommes aujourd’hui aux côtés de Vincent et de tous les membres de sa famille qui le souhaitent. L’objectif aujourd’hui est de dépassionner les choses et de continuer humblement à faire au mieux notre travail », conclut le Dr Kariger. Ce qui ne manque, là encore, ni de courage ni d’un sens certain de l’honneur.
En attente, selon Le Quotidien : les suites de la plainte déposée par la famille pour assassinat et non assistance à personne en danger. La justice instruit. « Assassinat » ? Lapsus ou aveu ?
(1) L’article 37 dispose (article R.4127-37 du code de la santé publique) :
« I. – En toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état et l’assister moralement. Il doit s’abstenir de toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n’ont d’autre objet ou effet que le maintien artificiel de la vie.
II. – « Dans les cas prévus au cinquième alinéa de l’article L. 1111-4 et au premier alinéa de l’article L. 1111-13, la décision de limiter ou d’arrêter les traitements dispensés ne peut être prise sans qu’ait été préalablement mise en œuvre une procédure collégiale. Le médecin peut engager la procédure collégiale de sa propre initiative. Il est tenu de le faire au vu des directives anticipées du patient présentées par l’un des détenteurs de celles-ci mentionnés à l’article R. 1111-19 ou à la demande de la personne de confiance, de la famille ou, à défaut, de l’un des proches. Les détenteurs des directives anticipées du patient, la personne de confiance, la famille ou, le cas échéant, l’un des proches sont informés, dès qu’elle a été prise, de la décision de mettre en œuvre la procédure collégiale. » ;
« La décision de limitation ou d’arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient, après concertation avec l’équipe de soins si elle existe et sur l’avis motivé d’au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L’avis motivé d’un deuxième consultant est demandé par ces médecins si l’un d’eux l’estime utile.
« La décision de limitation ou d’arrêt de traitement prend en compte les souhaits que le patient aurait antérieurement exprimés, en particulier dans des directives anticipées, s’il en a rédigé, l’avis de la personne de confiance qu’il aurait désignée ainsi que celui de la famille ou, à défaut, celui d’un de ses proches.
« Lorsque la décision de limitation ou d’arrêt de traitement concerne un mineur ou un majeur protégé, le médecin recueille en outre, selon les cas, l’avis des titulaires de l’autorité parentale ou du tuteur, hormis les situations où l’urgence rend impossible cette consultation.
« La décision de limitation ou d’arrêt de traitement est motivée. Les avis recueillis, la nature et le sens des concertations qui ont eu lieu au sein de l’équipe de soins ainsi que les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient. »
« La personne de confiance, si elle a été désignée, la famille ou, à défaut, l’un des proches du patient sont informés de la nature et des motifs de la décision de limitation ou d’arrêt de traitement. »
« III. – Lorsqu’une limitation ou un arrêt de traitement a été décidé en application de l’article L. 1110-5 et des articles L. 1111-4 ou L. 1111-13, dans les conditions prévues aux I et II du présent article, le médecin, même si la souffrance du patient ne peut pas être évaluée du fait de son état cérébral, met en œuvre les traitements, notamment antalgiques et sédatifs, permettant d’accompagner la personne selon les principes et dans les conditions énoncés à l’article R. 4127-38. Il veille également à ce que l’entourage du patient soit informé de la situation et reçoive le soutien nécessaire. » »