Pourquoi faut-il quatre longs mois à l’Agence du médicament pour rendre publics les réflexions du Comité technique de pharmacovigilance ? On ne découvre qu’aujourd’hui le compte-rendu de la réunion du 16 avril concernant le baclofène. L’affaire n’est en rien dégonflée. Au contraire.
L’alcoolisme-médicament après le tabagisme-électronique. Carrefour Playel la réunion du 16 avril 2013 s’est tenue en salle 1 & 2. De 09h30 à 17h00h. Il y avait foule. On ne dispose qu’aujourd’hui du compte-rendu des informations et des échanges du Comité technique de pharmacovigilance. Il s’agit tout simplement de la nouvelle donne concernant le baclofène.
Et ce à la veille de la « Recommandation Temporaire d’Utilisation » (RTU) plusieurs fois annoncée, plusieurs fois promise, par la direction générale de l’Agence nationale de sécurité du médicament (Ansm) – la dernière fois début juin. Une RTU qui permettra notamment la mise en place de mesures de « minimisation de risques » : orientation des patients vers des centres d’excellence, diffusion d’une information de sécurité validée, stimulation de la notification spontanée. Une RTU dont l’annonce ne devrait désormais plus trop tarder. Mais qui sait ?
Rappelons qu’un suivi national de pharmacovigilance a été mis en place en mars 2011 pour analyser le profil de tolérance du baclofène lors de son utilisation à haute dose dans le sevrage alcoolique.
Extraits de la réunion du 16 avril :
« Le nombre de comprimés de baclofène vendus a progressé de 52% en 2012 par rapport à l’année 2011. D’après les estimations des laboratoires (1) la proportion de l’usage hors AMM dans le traitement de l’alcoolo-dépendance correspondrait à environ 50% des ventes de baclofène sur le territoire national en 2012. L’analyse des notifications de pharmacovigilance montre des doses utilisées très hétérogènes, avec une dose médiane de 120 mg par jour. Le profil des prescripteurs reste mal caractérisé, cependant il ressort que les principaux prescripteurs sont des addictologues, psychiatres et généralistes.
Au cours de l’année 2012, 263 cas (93 graves et 170 non graves) correspondant à 405 effets indésirables ont été rapportés dans le traitement des addictions, soit 163 cas de plus que pour l’année 2011. Cette augmentation peut s’expliquer par une moindre sous-notification et/ou une augmentation de la fréquence de survenue des effets indésirables.
Les types d’effets indésirables les plus souvent rapportés sont les troubles neurologiques (33,6%), les troubles psychiatriques (21,2%) et les troubles gastro-intestinaux (10,1%). Comparativement à l’augmentation des chiffres de vente (x 1,5), une nette progression des effets attendus a été observée, en particulier pour les effets indésirables neurologiques (troubles mnésiques, x 7) et psychiatriques (troubles dépressifs x 10, syndrome de sevrage x 10, abus et dépendance x 8).
Au cours de la période étudiée, de nouveaux signaux ont été observés, témoignant d’un profil d’effets indésirables différent du baclofène dans le traitement des addictions : troubles sensitifs et sensoriels (24), erreurs de prise (19), xérostomie (16), insomnie (14), décompensation maniaque (14), accidents (11), syndrome de sevrage sur le mode confusionnel et hallucinatoire se rapprochant du delirium tremens alcoolique (10), sudation excessive (10), abus-dépendance (8) et syndrome oedémateux (5). D’autres signaux plus faibles émergent également et devront faire l’objet d’une surveillance à l’avenir : hypertriglycéridémie (3), prise de poids (3), troubles anxieux paradoxaux (3), rétrécissement du champ visuel (2), allongement du QT en cas de surdosage (2), diabète insipide en cas de surdosage (2), syndrome d’apnée du sommeil (2 dont 1 à réévaluer).
Toutes les formes d’abus
Pour les experts de l’ANSM ces nouveaux signaux « témoignent de notre connaissance limitée dans les diverses fonctionnalités du récepteur GABA-B dont la pharmacologie est complexe et non élucidée. Selon eux certains effets indésirables déclarés apparaissent clairement comme des effets indésirables limitants : « décompensation maniaque, dépression et risque suicidaire, risque convulsif, ainsi que toutes les formes d’abus ». Que veut dire ici limitant ? Et pourquoi ne pas donner l’ordonnée, la valeur absolue du nombre de personnes aujourd’hui sous baclofène pour maladie alcoolique ? Pourquoi cette frilosité ? Où sont ces chiffres ?
Pour le rapporteur de la Commission la mesure de « minimisation de risque » la plus efficace semble être la prescription centralisée, pluridisciplinaire (protocole CAMTEA mis en place à Lille). En effet, il apparait clairement que dans le cadre de ce système de prescription, la gravité des effets indésirables est diminuée (25% à Lille versus 57% dans le reste de la France) du fait d’une sélection rigoureuse des patients et d’un suivi régulier. Dans cette optique le rapporteur préconise l’accès à une RTU.
Déraison liquide
C’était il y quatre mois. Ce Comité technique notait alors qu’une demande de RTU était « actuellement en cours d’instruction et devrait être finalisée durant l’été 2013 ». La rentrée est là. Qu’attend-on ? Quand connaîtra-t-on les conclusions des deux essais cliniques contre placebo actuellement en cours ? Quand pourra-t-on parler avec raison de cette affaire ? Du moins avec autant de raison qu’on peut l’espérer dans la lutte contre cette déraison liquidement induite qu’est la maladie alcoolique.
(1) Le laboratoire Novartis a demandé ici d’apporter une précision concernant la proportion de prescriptions hors AMM du baclofène : 8,3% des prescriptions de Lioresal® étaient dans le cadre d’une alcoolo-dépendance, et 1.6% dans le cadre d’une autre dépendance. Concernant le Baclofène Zentiva®, 63% des prescriptions étaient dans le cadre d’une alcoolo-dépendance, et 3% dans le cadre d’une autre dépendance. L’Ansm ne nous dit pas pourquoi Novartis souhaitait apporter cette précision. Ni quelles sont ces « autres dépendances ».
Parlons chiffres …
Je m’appuie pour cela sur la présentation faite le 3 juin dernier par le Dr Weill : « Baclofène données du SNIIRAM Point de vue de la CNAMTS », document rédigé par Alain Weill 1, Christophe Chaignot 1, Philippe Ricordeau 1, François Alla 2, Hubert Allemand 2
1 Caisse nationale de l’assurance maladie – Direction de la stratégie, des études et des statistiques
2 Caisse nationale de l’assurance maladie – Direction générale
Cliquer pour accéder à colloque-Baclofene-_cnam-20130306-.pdf
Document qui ne tient compte que des prescriptions remboursées en 2012, or le remboursement était loin d’être systématique en 2012, les médecins devant stipuler hors AMM et NR sur l’ordonnance. Ce que faisait un grand nombre de médecins, y compris certains des plus fervents défenseurs du baclo.
Donc les chiffres.
22 000 personnes débutant un traitement au baclofène (et remboursés) dans le cadre de l’alcoolo-dépendance en 2012 contre 8 000 souffrant de spasticité et 5 000 de troubles inconnus
Les laboratoires ne savent pas compter …
L’augmentation des effets indésirables :
263 cas en 2012 pour 22 000 malades alcoolo-dépendants traités contre 100 en 2011 pour 8 000 malades (chiffres CNAM)
Et le comité ne sait pas trancher entre une sur notification ou une augmentation ! Une règle de trois montre pourtant que ce n’est ni l’un ni l’autre.
La déclaration des effets indésirables suit la progression des prescriptions.
Passons sur les « nouveaux » effets indésirables, ils sont connus des malades depuis 2010 …
Et revenons sur la prescription centralisée :
A Lille, la prescription de baclofène est plafonnée à 200mg/j, ce qui a pour fâcheux résultat de laisser face aux effets indésirables de l’alcool 20% des malades comme le montre les chiffres publiés par Renaud de Beaurepaire dans le journal Frontiers
http://www.frontiersin.org/Journal/Abstract.aspx?ART_DOI=10.3389/fpsyt.2012.00103&name=Addictive_Disorders_and_Behavioral_Dyscontrol&x=y
Sans compter que seuls les malades ayant auparavant tenté les cures et autres molécules, dont tout le monde connait l’absence d’efficacité, ont accès au baclofène alors qu’ils sont certainement beaucoup plus faciles à traiter par ce médicament.
La logique qui s’applique au cancer ne vaudrait-elle rien dans ce cas ? Plus tôt c’est pris, plus facile est la guérison.