L’Etat a besoin du fumeur. Donc l’Etat-Bercy sait tout des fumeurs. L’Etat a peur des drogues. Donc l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) observe les fumeurs de tabac. C’est un savoureux mélange. Un blend du tonnerre.
Bercy-sur-Seine, velours républicains et cerveaux énarques. Ici on ne parle jamais du tabac à la presse. Et la presse économique ne demande jamais rien à Bercy à propos du tabac. La presse santé, elle, se morfond sur le sujet en son ministère de tutelle, avenue de Ségur. On ne dit pas volontiers à un schizophrène la nature de son mal. Il est d’ailleurs assez rare que ces malades sachent à en savoir beaucoup plus sur leur cas (1).
Les brouillards de Saint-Denis
Rien de tel au « 3 avenue du Stade de France 93218 Saint-Denis la Plaine Cedex ». Ici nous sommes dans les brouillards. L’Observatoire français des drogues et des toxicomanies a cette année vingt ans. Sur le papier, pourtant, pas d’embrouilles. Crée en 1993, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies est un groupement d’intérêt public. « Il produit des informations provenant des sources différentes et scientifiquement validées sur les substances licites comme illicites. Il renseigne et documente de multiples questions dans le domaine des substances psychoactives et des dépendances. Qui consomme et comment ? Quels produits ? Quels dommages sanitaires et sociaux les usages occasionnent-ils ? Quelles sont les opinions et les perceptions sur les drogues ? »
Une affaire relevant du Premier ministre
Mieux : « Le GIP OFDT est l’un des deux opérateurs participant à la mise en œuvre de l’action de coordination de la lutte contre la drogue et la toxicomanie confiée à la MILDT au sein du programme 129 « Coordination du travail gouvernemental » qui relève du Premier ministre. Le financement de l’OFDT est assuré par des crédits de la MILDT ainsi que des crédits européens (OEDT-Reitox) ». On trouvera ici son conseil d’administration. Et ici son collège scientifique. Moins d’énarques qu’à Bercy, certes. Mais une somme éloquente de compétences au service de la santé publique.
C’est Wikipédia qui souligne que la mission de l’OFDT porte sur les substances psychoactives licites et illicites depuis 1999. C’est là une mue qui a fait suite au rapport du Pr Bernard Roques voulu par Bernard Kouchner et qui fit grand bruit quand il fut rendu public en 1998 : les dangerosités individuelles et collectives y étaient évaluées et classées sur la base des bilans statistiques concernant la prévalence, la morbidité et la co-morbidité des substances psychotropes. Quinze ans plus tard Bercy et Ségur semblent avoir oublié tout cela. Pas le 3, avenue du Stade de France.
Tableau de bord tabagique tricolore
L’OFDT joue aujourd’hui un « rôle incontournable » (c’est l’OFDT qui le dit) dans le recueil, l’analyse, la synthèse et la valorisation des connaissances. Il permet ainsi aux pouvoirs publics de mieux anticiper les évolutions et les éclaire dans leurs prises décision. Les informations produites sont également mises à la disposition des professionnels et des citoyens. Aujourd’hui 6 septembre 2012 l’OFDT vient de rendre public le dernier fruit de ses observations. Sur l’usage problématique des drogues. Mais aussi, actualisé, son tableau de bord du tabac en France. Résumé :
Le communiqué du Budget
« Par rapport au mois de juillet 2012, les ventes de cigarettes diminuent de 5 % alors que celles de tabac à rouler sont encore en hausse (+ 11 %). Les ventes de traitements pour l’arrêt du tabac, tout comme l’activité des consultations en tabacologie, reculent. Bien qu’on ne dispose pas des données du mois de juillet 2012 pour effectuer une comparaison, le niveau d’appels à la ligne Tabac info service apparaît assez important par rapport au début de l’année. » Ceci converge avec le dernier message, proprement sidérant, émanant Bercy et signé de Bernard Cazeneuve, ministre délégué du budget . Un document à lire et relire.
« Bernard Cazeneuve, ministre délégué du Budget, va homologuer dans les prochains jours les prix du tabac manufacturé pour le dernier trimestre 2013. Ils n’augmenteront pas par rapport aux prix actuels.
« Cette stabilité des prix fait suite aux deux hausses d’octobre 2012 (+40 centimes), puis de juillet 2013 (+20 centimes). Cette dernière constituait une répercussion de la hausse de la fiscalité des produits du tabac votée en 2012 en loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2013 et applicable en juillet.
« Les ventes de cigarettes ont baissé de près de 8% au premier semestre 2013, par comparaison avec le premier semestre 2012. Cette évolution est la traduction de l’action du gouvernement pour modérer la consommation de tabac et protéger la santé publique. »
Attendez-vous à savoir
Résumons-nous : On vend de moins en moins de cigarettes en France (diminution qui est loin d’être compensée en valeur absolue par le tabac à rouler). Les ventes de traitements substitutifs à la nicotine (TSN) et le nombre des consultations médicales spécialisées reculent. Dans ce contexte on sait que les ventes de cigarettes électroniques explosent (2). Un sujet essentiel mais sur lequel ne travaille (apparemment) ni Bercy, ni Ségur ni le 3 avenue du Stade de France.
Est-ce là une coïncidence ou corrélation ? Le hasard ou la fatalité ? Combien faudra-t-il encore attendre pour que la puissance publique perçoive, dans le paysage, l’ascension des vapeurs électroniques ?
(1) L’histoire de la prohibition alcoolique d’outre-Atlantique ne se résume pas au formidable destin d’Al Capone et à l’action exemplaires des Incorruptibles. Cette histoire est généralement très mal connue (et rarement enseignée dans les facultés de médecine). On peut en trouver une représentation d’une qualité pédagogique et cinématographique remarquable sous la forme de deux DVD signés par Ken Burns et Lynn Novik et édités par Arte Editions. « Prohibition, une expérience américaine 1920-1933». Compter une quarantaine d’euros.
(2) Attendez-vous à découvrir sous peu (notamment sur ce blog) les résultats d’une première scientifique qui va relancer la polémique « e-cig vs TSN ».