Il y a dix ans un neurochirurgien s’interrogeait sur les impasses d’un système de soins déshumanisant : le nôtre. Aujourd’hui son essai (1) rajeunit.
Se le procurer (moins de dix euros) pour mieux comprendre ce qui nous arrive. Pour tenter de s’en sortir.
Stéphane Velut exerce la profession de neurochirurgien à Tours. Aller au-delà de la dure-mère ouvre-t-il l’esprit ? Nous avions découvert son opuscule il y aura bientôt dix ans ; époque où nous l’avions recensé dans Médecine et Hygiène. Noël, heureuse fatalité, nous le fait redécouvrir. Il est des caractères imprimés qui marquent plus que d’autres. C’est la même énergie réflexive, comme bonifiée par une décennie dans la cave du temps qui passe. Ces sont les mêmes prophéties perçues entre les lignes et qui semblent se rapprocher.
Crânement
En 2004 écrivions ceci : « C’est, pour le dire simplement, le livre que l’on attendait, le reflet d’une époque, la ridule qui fait sens sur le flot marécageux d’un siècle – d’un millénaire – qui s’ouvre en s’interrogeant sur sa portée. Le titre n’est certes pas des plus immédiatement goûteux ; et l’auteur n’est pas de ceux qui arpentent les plateaux de télévision et leur équivalent que sont les couloirs ministériels du pouvoir. Pour tout dire, cet auteur n’est pas un homme ‘’médiatique’’ (…) Le livre ? Cinquante-quatre pages d’un jeune philosophe moraliste contemporain osant crânement s’attaquer à quelques-uns des questionnements qui nous taraudent pour, au total, nous fournir ses clefs forgées dans une belle écriture avec une rare élégance. »
Kafka
A la relecture (et avec le temps) voilà qui était bien pompeux (quasi-pompier). Mais comment résumer une épure ? Ces pages sont bien ce qu’elles étaient : un réquisitoire contre un système, contre une époque. La nôtre. L’auteur cite un confrère : « Il me semble que la science, qui tend d’ordinaire à une extrême spécialisation, introduisait ici une curieuse simplification » (Franz Kafka, Les Recherches d’un chien, vers 1922).
Déshérence
Son procès est celui d’un courant réductionniste et d’un monde hospitalier en déshérence. Procès de nos monstrueuses usines à gaz normatives. Procès des scandales sanitaires qui sont autant de symptômes. Procès d’une déshumanisation démocratique en marche. Tout cela, et peut-être pire encore.
Pour autant rien n’est perdu comme en témoigne, dans un sursaut paradoxal, l’existence de cet ouvrage. Rien n’est perdu si l’on parvient à bien prendre le pouls des deux premières phrases :
« C’est un fait : le corps est devenu l’objet qu’un sujet possède, tel un bien auquel tous les attributs de la propriété s’attachent. Ce fait a des causes jamais dites, et aura ses conséquences, probablement tragiques. »
Carmat®
Avoir peur ? Stéphane Velut conclut que nous avons encore un peu de temps devant nous, que nous allons encore développer la machine. Du moins jusqu’à ce nous finissions par nous inquiéter de savoir ce que la machine pense de nous.
C’était il y a dix ans. Pour l’heure nous allons bientôt entrer en 2014. A Paris le premier cœur-Carmat bat dans la poitrine d’un homme. Carmat est une marque. Elle est issue du nom d’un homme et de celui d’une firme.
(1) Velut S. L’illusoire perfection du soin ; Essai sur un système. Paris : L’Harmattan, 2004. ISBN : 2-7475-6009-0