L’affaire du coupe-faim des Laboratoires Servier prend une nouvelle dimension. La Commission d’accès aux documents administratifs vient de donner son feu vert : la Sécurité sociale doit donner des informations médicales qu’elle tenait jusqu’ici secrètes
Jusqu’ici il refusait. Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) va-t-il pouvoir faire autre chose qu’obtempérer ? Il va prochainement recevoir un courrier daté du 27 décembre qui marque une nouvelle et importante étape dans l’instruction de l’affaire du Médiator®. Une affaire aux racines plus vastes qu’on l’imaginait généralement jusqu’ici.
Les responsables du mouvement « Initiative Transparence Santé » (ITS)1 lui annoncent que la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) est bel et bien favorable à leur demande de communication de l’ensemble de pièces chiffrées relatives à la prescription et à la commercialisation du célèbre coupe-faim des Laboratoires Servier. Et ils lui demandent-ils de bien vouloir mettre à leur disposition l’ensemble de ces documents qu’ils analyseront dans les prochaines semaines.
Trente-trois ans
Il s’agit de toutes les informations relatives à la consommation entre 1999 et 2009 du Mediator® en France. 1999 : création d’une base nationale informatisée des informations inter-régimes de l’assurance maladie (SNIIRAM). 2009 : arrêt de la commercialisation de ce médicament mis sur le marché en 1976, prescrit durant trente-trois ans dans de multiples indications presque toujours injustifiées au regard de la science médicale.
L’ITS disposera ainsi de tous les éléments qui lui permettront de connaître le nombre d’assurés sociaux ayant réellement consommé du Mediator® durant cette période de dix ans mais aussi la durée moyenne des traitements, les taux de prescriptions médicales effectuées en dehors des autorisations de mise sur le marché, le nombre des boîtes remboursées et celles qui ne l’étaient pas.
Identifier les médecins
Il s’agit encore d’identifier les cinq principales catégories de médecins initiateurs de ce traitement médicamenteux, le nombre total des praticiens et celui des plus gros prescripteurs. Il s’agira enfin de préciser le montant des sommes remboursées aux patients consommateurs.
Les responsables de l’ITS souhaitent mener depuis mai 2013 cette vaste enquête rétrospective sur la consommation du Mediator®. Ils ont déjà avons contacté directement chacune des Caisses primaires d’assurance maladie (Cpam) afin de leur adresser leurs questions. Sans succès : aucune n’a souhaité fournir de données. C’est pourquoi ils ont saisi la Cnam en juillet 2013.
Ne pas distraire les données
M. Van Roekegehm s’y est lui aussi opposé. Dans un courrier daté du 13 août il expliquait aux demandeurs : « (…) ces questions sont actuellement débattues, notamment dans le cadre de l’information judiciaire pour tromperie aggravée ouverte auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris ainsi que dans l’information judiciaire pour homicides et blessures involontaires auprès du même Tribunal. Dans ces conditions il me paraît difficile de distraire des données couvertes par le secret de l’instruction. »
Telle n’a pas été la lecture de la Cada 1. Dans son avis favorable (n° 20134348 du 21 novembre 2013) son président, Serge Daël, fait valoir en substance que le SNIIRAM a précisément été créé pour répondre à des demandes du type de celles formulées par l’ITS. M. Daël ne rejoint pas l’analyse de M. Van Roekeghem quant à ce qui est un document administratif et ce qui ne l’est pas : des informations pouvant être extraites de fichiers informatiques « par un traitement automatisé d’usage courant » sont bien des « documents administratifs existants ».
Feu vert de la Cada
En outre le « collectif demandeur » est, aux yeux de la Cada, pleinement habilité à avoir communication de ces documents. Pour ce qui est des « instructions judiciaires en cours dans l’affaire dite du Médiator » elles ne sauraient être un élément de nature à s’opposer à la demande : la communication de ces données ne portera pas atteinte au déroulement de l’instruction, ne retardera pas le jugement de l’affaire ni ne compliquera le travail du juge. Force est d’ailleurs de constater que l’instruction judiciaire n’a pas cherché à analyser les données en sommeil dans la mémoire de l’Assurance maladie.
Et pour la Cada si les informations demandées ont bien un caractère médical elles sont avant tout anonymes et globales, agrégées par année et département. Elles ne permettront donc pas l’identification (« même indirecte ») des patients ou des médecins concernés.
Démonstrations à venir
D’où au final un « avis favorable » de la Cada à la demande de l’ITS. C’est cette décision qui vient d’être transmise par lettre recommandée datée du 27 décembre au directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie. Si M. Van Roekeghem persiste dans son refus l’ITS annonce qu’elle saisira la juridiction administrative.
Fort de ces données le collectif estime qu’il sera en mesure de démontrer que certaines Cpam savaient pertinemment, au vu des montants de remboursements que le Mediator® était largement prescrit hors de ses indications (et donc indument pris en charge par la collectivité). Confirmée cette hypothèse pourrait conduire à de nouveaux prolongements judiciaires à caractère pénal puisqu’il est établi (sur la base de documents de la Cnam) que ce médicament est directement impliqué dans la survenue de pathologies cardiaques potentiellement mortelles.
Cette nouvelle lecture confèrerait rapidement une nouvelle dimension à l’affaire du Mediator®. Celle-ci est jusqu’ici instruite sur la base de l’enquête menée par l’Inspection générale des affaires sociales – à la demande de Xavier Bertrand alors ministre de la Santé) par l’Inspection générale des affaires sociales. Depuis trois ans elle est ainsi, pour l’essentiel, circonscrite à la responsabilité des Laboratoires Servier. L’analyse des données 1999-2009 de l’Assurance maladie pourrait bientôt enrichir cette lecture.
En finir
Plus généralement l’ITS entend montrer ici que les données du SNIIRAM, si elles étaient mieux utilisées, permettraient de détecter en temps réel des anomalies sanitaires liées à la consommation de médicaments. Et de mettre en place en temps réel des mesures correctives. Obtenir, en d’autres termes que des affaires du type Mediator® (1976-2009) ne voient plus le jour. Et faire en sorte de tuer dans l’œuf celles aujourd’hui en gestation.
1 L’ « Initiative Transparence Santé » (ITS) est un mouvement réunissant de nombreux acteurs du monde de la santé (associations de malades et de consommateurs, chercheurs en santé publique, assureurs, entrepreneurs etc.) qui réclament une « libération des données » relatives aux différents domaines de la santé.
2 L’avis de la Cada est disponible ici.
Ce billet a initialement été publié sur Slate.fr