Il faut légaliser le cannabis puisqu’il est sans danger. Faux (La Revue du Praticien, décembre 2013). Produit psycho-actif le cannabis expose à bien des risques. Pourquoi le nier ?
On peut, on doit, débattre de la dépénalisation de sa consommation. A condition de ne pas se voiler la face. Explications. Où le tabac (et donc l’Etat) sont à nouveau en question.
Et cette information de dernière minute, étrangement amplifiée en urgence par un communiqué de presse de Marisol Touraine, ministre de la Santé. Elle concerne le Sativex ® médicament dérivé du cannabis (a)
On n’écrit pas sans risque sur le cannabis. Rapportant sur Slate.fr l’essentiel d’une publication scientifique française relative au sexe et à cette drogue (mémoire-blog) nous avons été sèchement repris par deux commentateurs.
« N’importe quoi »
L’un : « Non mais vous sortez d’où qu’il y a une dépendance au cannabis? Vous tombez dans le piège de ceux qui aimeraient que ca soit considéré comme une drogue dure ???? Il n’y a pas de dépendance au canabis. Au plus vous passez 2-3 nuits pas super, et après c’est fini. N’importe quoi… Ya vraiment qu’en France qu’on ne peut pas parler tranquillement du cannabis, c’est fou. Tout de suite, on fait des parallèle avec l’héroïne, le trafic, le crime, et en plus tout autre vision que celle de la répression est immédiatement vue comme faible et laxiste. Réveillez vous ! On a commencé le 3ème millénaire (…) »
L’autre : « Le Cannabis n’est pas une drogue (il n’y a pas de dépendance, seulement l’envie comme une gourmandise) et de plus, le Cannabis soigne une bonne palette de maladies graves et de troubles psychologiques (depuis plus de 4000 ans d’usage mondial), et n’a jamais eu « d’effets toxiques sur le cerveau » dont ces iconoclastes ne savent encore rien, à part de trouver ce type d’argumentaire fondé sur les croyances de novices chantres d’une santé publique, qui précisons le encore, est intégralement privée et inaliénable. »
Rapport Roques (1998)
Evoquer une dépendance au cannabis, c’est « tomber dans un piège ». L’alcool, le tabac, sont des drogues dures. Le cannabis est une gourmandise. Mieux il soignerait bien des maladies graves et des troubles psychologiques. Sans oublier son action antalgique que nous refusent des mandarins obtus défenseurs de valeurs qui ne sont plus. Où l’on voit un nouveau symptôme de la grande confusion qui prévaut dans la hiérarchisation « santé publique » des substances psycho-actives « naturelles » (par oppositions aux médicaments chimiques et aux drogues de synthèse). Une confusion que l’on peut, en France, dater de quinze ans avec la publicité faite autour du rapport du pharmacologue Bernard Roques demandé par Bernard Kouchner, alors ministre (de la Santé).
Dans cette confusion, une certitude : en ce début du 3ème millénaire le cannabis est la substance illicite la plus fréquemment consommée dans le monde. Un monde qui, s’il le tolère parfois, ne le légalise jamais – ou presque. Ce qui pourrait commencer à changer comme on le voit en Uruguay (lire ici l’entretien accordé à Slate.fr par le député socialiste Daniel Vaillant).
Biblio
Résumons (objectivement) la situation du Vieux Continent. L’usage du cannabis a augmenté au cours des années 1990 et au début de la première décennie du XXIe siècle dans la plupart des pays européens. Le cannabis a été consommé au moins une fois par environ 80,5 millions d’Européens âgés de 15 à 64 ans. Les estimations de prévalence de la consommation de cannabis sont de 10 à 30 % de la population adulte.1 Les garçons rapportent plus fréquemment un usage précoce et régulier de cannabis que les filles. L’âge d’initiation du cannabis est de 13 ans, voire plus jeune.2 Une initiation précoce de l’usage de cannabis est associée au développement potentiel d’une consommation plus intense et problématique à un âge plus avancé.3 Telles sont les faits, exposés par Laurent Karila (CHU Paul-Brousse, CES-Inserm laurent.karila@pbr.aphp.fr) et Olivier Cottencin (CHRU de Lille) – Sarah Coscas et Amine Benyamina (CHU Paul-Brousse-Inserm). 4
Succion
Gourmandise ? Cela en a tout l’air. A commencer par l’omniprésence du réflexe de succion, ici charnellement associé à l’inhalation. Le fumeurs et les autres peuvent lire ceci dans La Revue du Prat’ :
« Le cannabis est généralement fumé dans un « joint » (cigarette conique roulée) ou avec du matériel de type pipe à eau. Du tabac est toujours ajouté au cannabis en France. Le cannabis peut être ingéré par voie orale mais le fumer reste le meilleur moyen, pour les patients, d’obtenir des effets psychopharmacologiques immédiats. La concentration en ƒ9-THC varie selon les formes de cannabis (marijuana, haschich, skunk, huile) et est proportionnelle à l’intensité de ses effets toxiques. Les effets psychopharmacologiques aigus se développent environ deux heures après l’usage de la drogue, correspondant au pic plasmatique du ƒ9-THC. De nombreuses complications sont possibles (psychiatriques, somatiques, cognitives et sociales).3 »
Et encore
« Le cannabis et le tabac figurent parmi les substances psychoactives les plus consommées par les adolescents et les jeunes adultes. Leur pouvoir addictogène est très différent ; de 20 à 30 % des consommateurs de tabac vont développer un trouble lié à l’usage de tabac avec dépendance physiologique. En revanche, 5 à 10 % des usagers de cannabis développeront ce trouble. »
Les auteurs soulignent encore que depuis de nombreuses années, il existe de nombreuses publications et des débats sur la chronologie de la consommation et le pouvoir inducteur d’addiction à ces substances. Le tabac et le cannabis semblent suivre un processus séquentiel évoluant par étapes. Il s’agit ici de la théorie de l’effet gateway (porte d’entrée, passerelle ou escalade) : elle propose que l’usage de tabac ou d’alcool va évoluer vers un usage de cannabis qui pourra potentiellement se compliquer d’un usage de drogues comme les opiacés ou la cocaïne, par exemple. Le tabac serait alors un passage presque obligé chez la majorité des consommateurs réguliers de cannabis.
Merles chanteurs
Les auteurs rapportent qu’il a été montré que les fumeurs réguliers de tabac avaient un risque multiplié par cinq de développer une addiction au cannabis comparativement aux non-fumeurs. D’autres études ont montré qu’il existait une relation plus réciproque et qu’il s’agissait avant tout de la disponibilité de la substance, les usagers de cannabis pouvant utiliser le tabac comme substitut du cannabis. Des grives faute de merles, en somme.
« Cette constatation souligne la complexité des liens existant entre ces deux drogues. L’usage de cannabis est prédictif de la consommation quotidienne et du trouble lié à l’usage de tabac avec dépendance physiologique ou non. Les adolescents fumant au moins un joint par semaine ont un risque huit fois plus élevé de développer un usage chronique de tabac. À l’âge de 21 ans, les usagers réguliers de cannabis et de tabac ont un risque trois fois plus élevé de développer une addiction au tabac. D’ailleurs, une initiation précoce de cannabis augmente le risque d’addiction au tabac plus tardivement. »
Rituels d’entrée
On peut ne voir ici que le rituel d’entrée dans un monde adulte où les Bisounours disparaissent progressivement. Où ils doivent disparaître. Reste le ressenti des adultes face à ce phénomène qui n’est plus ritualisé comme il le fut jadis (cf le service militaire et l’initiation républicaine au gris et aux « troupes »). La Revue du Praticien : « Le ressenti subjectif des familles à l’égard de leurs enfants consommateurs, de certains politiques et également de certains confrères en médecine concernant le passage du cannabis vers d’autres drogues illicites comme la cocaïne, l’héroïne ou les amphétamines est un fait. Aucune étude scientifique ne le démontre clairement. D’ailleurs, l’expérimentation d’autres substances illicites pourrait être une conséquence de l’opportunité initiale de consommer d’abord une drogue très accessible comme le cannabis. »
爱心熊
Un fait est aussi qu’en France la loi prévoit que l’on ne peut acheter du tabac avant d’avoir ses 18 ans et qu’un adolescent sur trois de 17 ans est consommateur régulier de tabac. Un autre fait est que les pouvoirs publics et les autorités sanitaires laissent faire. On en concluera sans mal que les mêmes autorités ont (auront) leur part de responsabilités en matière de consommations de cette gourmandise.
Dans ce contexte il est plus que tentant, pour l’Etat, de légaliser la production, le transport, le commerce et la taxation du cannabis. Tout en déconseillant, bien évidemment, sa consommation. Cela ferait un tabac politique. Et, dans leurs berceaux, les Bisounours (Die Glücksbärchis, Care Bears, 爱心熊, Mede medenjaci, Osos Amorosos, Ositos Cariñositos) applaudiraient.
(a) La ministre informe que le Sativex ® vient, en France, d’obtenir son autorisation de mise sur le marché. Commercialisé dans plusieurs pays européens (Espagne, Italie Allemagne et Royaume-Uni) : le Sativex ® est un médicament cannabinoïde pouvant être indiqué chez certaines personnes atteintes de sclérose en plaques (pour soulager les phénomènes de spasticité résistantes aux autres traitements). Le traitement devra être initié par un neurologue et un rééducateur hospitalier. « La commercialisation du produit interviendra à l’initiative du laboratoire » précise la ministre qui ne cite pas le nom de ce dernier. Il s’agit de la firme GWPharmaceuticals.
1. European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction. Annual report 2012: the state of the drugs problem in Europe. Luxembourg: Publications Office of the European Union, 2012.
2. Hibell B, Guttormsson U, Ahlström S, et al. The 2011 ESPAD report: substance use among students in 36 European countries, Swedish Council for Information on Alcohol and Other Drugs. Stockholm (Sweden), 2012.
3. Karila L, Roux P, Rolland B, et al. Acute and long-term effects of cannabis use : a review. Curr Pharm Des 2013 Aug 29. [Epub ahead of print]
4. Voir le remarquable dossier consacré au cannabis dans le numéro de décembre 2013 de La Revue du Praticien (sur abonnement)
2 réflexions sur “Le cannabis, gourmandise pour les Bisounours (Sativex® pour quelques malades)”