Bouillonnement médiatique national depuis quelques heures. Depuis cet étrange communiqué de presse de Marisol Touraine, ministre de la Santé concernant le Sativex ® (mémoire-blog). Bouleversement des programmes pour une AMM qui ne change rien en pratique dans l’immédiat et bien peu de choses à court et moyen terme.
Comment comprendre une telle effervescence ? Sans doute en faisant appel à la fonction symbolique – voire à la dimension cathartique médiatique. En toile de fond les atermoiements de la politique de réduction des risques vis-à-vis du VIH, ceux de l’acceptation de la morphine. Sans oublier la schizophrénie cannabinoïde et l’impuissance politique vis-à-vis des salles de shoot.
Résumons l’objet de cette soudaine passion. Le Sativex ® vient en France d’obtenir son autorisation de mise sur le marché. Commercialisé dans plusieurs pays européens (Espagne, Italie Allemagne et Royaume-Uni) : le Sativex ® est un médicament utilisé chez certains patients atteints de sclérose en plaques, pour soulager la spasticité résistante aux autres traitements. Le traitement devra être initié par un neurologue et un réeducateur hospitalier. « La commercialisation du produit interviendra à l’initiative du laboratoire » précise la ministre qui ne cite pas le nom de ce dernier. Il s’agit de la firme GWPharmaceuticals qui le commercialise dans une vingtaine de pays dans le monde – et qui a passé ici et là des accords avec d’autres firmes comme Allmiral.
Avec tambours et quelques trompettes
Le communiqué de presse de Marisol Touraine a clairement pour objet de rappeler l’action ministérielle sur le sujet : « Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, avait ouvert la possibilité, par un décret du 5 juin dernier, que des médicaments dérivés du cannabis sollicitent une AMM en France ». Avant rien n’était possible. Aujourd’hui tout le devient. Rien n’est encore disponible sur le site de l’Agence nationale de sécurité du médicament (Ansm) et il a fallu dépêcher des chevau-légers devant les yeux des caméras du 13 heures pour recadrer les choses. A savoir pas de joints, des indications extrêmement réservées et des coffres-forts hospitaliers blindés. Toutes les informations sont dans le document officiel que l’on peut trouver ici.
Interrogés des spécialistes de renom de l’addiction ont dit leur joie : un premier pas et des élargissements à venir dans les possibles utilisations. Le Monde, briffé de longue date dit dans l’après-midi que tout cela s’est fait « sans tambour ni trompette ». Libération enragera consubstantiellement de n’avoir pas été dans la confidence 1 et Le Figaro prendra tout cela avec d’idéologiques pincettes. Restera La Croix, sans doute compassionnelle (la souffrance rédemptrice n’est plus guère d’actualité).
Une attente de soixante ans
Le Monde : « il n’est de coutume de communiquer sur une AMM. Mais ce spray buccal est un rien particulier. Il est fabriqué à base de cannabis. Une plante bannie de la pharmacopée française en 1953. Un tabou est brisé. L’utilisation sera cependant extrêmement restreinte. C’est une première en France, où jamais un médicament à base de cannabis n’a été commercialisé. » Il ne s’agit pas de légalisation du cannabis thérapeutique « ,insiste le ministère de la santé, juste d’une autorisation accordée à un médicament. Utiliser la plante dans des préparations magistrales reste interdit, tout comme fumer de l’herbe pour soulager des douleurs, ou à usage récréatif. » C’est une bonne nouvelle pour les patients français qui étaient quasiment les derniers en Europe à ne pas pouvoir bénéficier du Sativex, se réjouit Christophe Vandeputte, le patron France du laboratoire Almirall qui commercialise le Sativex en Europe. Cette AMM est l’aboutissement de trois ans de discussions. C’était un dossier délicat dans un environnement explosif, mais l’issue est très positive « . »
Nous allons mettre en place un suivi en matière de pharmacovigilance et d’addictovigilance », souligne Nathalie Richard (direction des médicaments en neurologie, psychiatrie et des stupéfiants de l’Ansm. « Les chiffres de vente seront surveillés de près » (autre nouveauté…). Il faudra éviter les abus et les prescriptions hors AMM (dans les épisodes de sevrage ou pour atténuer les nausées de malades en chimiothérapie ou dans des phases avancées de l’infection par le VIH). On connaît malheureusement les limites de l’Ansm dans ce domaine. Et on imagine mal la puissance publique d’une sévérité extrême pour ec qui sera des prescriptions hors AMM.
Le précédent de l’ATU
Reste le tabou ultime : le risque de détournement à usage récréatif paraît limité. Aucun danger : le cannabis fumé est nettement plus euphorisant et, en dépit de la gendarmerie nationale, y avoir accès est (dit-on) d’une assez grande facilité. Sans prescription. Ajoutons, pour relativiser la portée de l’information du jour que le « cannabis à usage médical » pouvait être prescrit par le canal d’autorisations temporaires d’utilisation (ATU). Et que depuis plus d’une dizaine d’années seules une centaine d’ATU avaient été accordées pour le Marinol® ou dronabinol (renseignements plus précis ici)
Entre 2000 et 5000 sujets
Reste l’essentiel. Derrière la compassion, le nerf de la guerre. Déjà (avant même l’accord à venir sur les prix) les avis divergent L’Ansm estime autour de 2 000 le nombre de personnes potentiellement cpncernées. Almirall en perçoit 5 000. « Nous allons mettre en place un suivi en matière de pharmacovigilance et d’addictovigilance », souligne Nathalie Richard (direction des médicaments en neurologie, psychiatrie et des stupéfiants de l’Ansm.
S’il est vrai qu’en juin 2013 Marisol Touraine avait, par décret, ouvert la possibilité à des laboratoires pharmaceutiques de solliciter une demande de commercialisation de médicaments dérivés du cannabis il est tout aussi vrai que la France subissait aussi la pression d’un recours devant le Conseil d’Etat, saisi par le distributeur dont le produit est déjà autorisé dans de nombreux pays d’Europe.
440 euros le traitement
Désormais une autre étape commence. Les responsables d’Almirall sont désormais en position de force. Ils se tâtent, disent ne pas penser lancer leur Sativex® avant le début 2015. Il doit maintenant soumettre le dossier à la Haute autorité de santé et au Comité économique des produits de santé pour discuter du prix de son médicament et des modalités de son remboursement. « En moyenne en Europe, le traitement coûte entre 400 et 440 euros par an » a indiqué son directeur au Monde. Il ajoute que le médicament est remboursé dans la quasi-totalité des pays où il est autorisé. On voit désormais mal comment il ne le serait pas en France. A un prix au moins égal.
1 Extrait symptomatique de la réaction de Libération :
« (…) Cette décision a un petit côté révolutionnaire en France, puisqu’elle reconnaît les vertus thérapeutiques du cannabis. Mais elle induit plusieurs interrogations : pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Pourquoi ne réserver le Sativex qu’à cet usage très restreint ? Et, surtout, pourquoi n’autoriser qu’un médicament, produit par un labo, alors que la plante à l’état naturel produit les mêmes effets thérapeutiques pour certains malades ?
C’est qu’on touche au tabou qui frappe le cannabis, produit diabolisé en France. Dans notre pays, nul n’est choqué par l’utilisation médicale de la morphine pour soulager la douleur. Or, la morphine est une drogue bien plus addictive et potentiellement dangereuse que le cannabis. Mais ce dernier est victime de lourds préjugés.
L’autorisation du Sativex pourrait les lever en partie. Et permettre l’usage de la plante à des fins médicales, comme cela se passe dans de nombreux pays, par exemple les Pays-Bas, où une société privée, Bedrocan, produit de l’herbe ensuite vendue sur ordonnance dans les pharmacies. » (Michel Henry et Marie Piquemal).
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