Bonjour.
Ce titre n’est pas un artifice de langage destiné à attirer l’œil du lecteur. « L’affaire Lambert consacre l’acharnement thérapeutique » affirme, dans Le Journal du Dimanche le Dr Jean Leonetti, par ailleurs député (UMP) et rapporteur de la loi sur la fin de vie – loi qui, depuis 2005, porte son nom. Où en sommes-nous ?
L’affaire Vincent Lambert (mémoire-blog) évolue depuis deux jours d’une étrange manière. Des médecins montent en ligne dans les médias pour attaquer des magistrats. Ce sont là de bien curieuses initiatives. Non que le fait de commenter des décisions de justice soit condamnable (il y a bien longtemps que ce tabou est n’a plus droit de cité dans les médias). Mais bien parce que ces médecins estiment, en substance, que cette justice refusant l’euthanasie empiète sur leur domaine.
Trois médecins, trois propos d’une rare violence contenue dans trois journaux grand public. Soit, dans l’ordre chronologique.
« Chacun son job ! »
Véronique Fournier dans Libération. Ce médecin est responsable du centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris).
« Je suis en colère, non sur le fond de la décision, mais sur le fait que ce soit un tribunal qui tranche. Il ne m’appartient pas de commenter un jugement, mais je ne pense vraiment pas que ce soit à des magistrats de prendre des décisions médicales ou de dire si un traitement doit être continué ou stoppé : médecins et patients ont fort à y perdre. A ma connaissance, c’est la première fois qu’un tribunal se prononce sur une telle affaire. Si on laisse passer cela, on risque une dérive de judiciarisation de la médecine, à l’américaine. Cela serait grave. L’obstination déraisonnable, c’est une notion éminemment subjective. C’est déjà très difficile pour les médecins de savoir à quel niveau commence l’obstination déraisonnable. Cela dépend de chaque cas particulier. Comment voulez-vous qu’un juge soit compétent dans ce domaine ? Chacun son job ! En plus, la décision de justice me paraît contraire à la loi Leonetti qui précise très clairement que ce type d’appréciation appartient au médecin en charge du patient. Je ne comprends pas pourquoi le juge se substituerait au corps médical. Ce n’est pas une bonne chose pour l’équilibre de la médecine en général.
Je pense qu’on mélange les responsabilités et les casquettes. On ne demande pas aux médecins de prononcer la justice. Pourquoi demanderait-on aux juges de faire de la médecine ? La loi a balisé le terrain. Elle a précisé que la décision appartient au médecin en charge. J’attends du Conseil d’Etat qu’il dise que ce n’est pas au juge de prendre des décisions de cet ordre. Là, le juge est en train de faire une prescription médicale singulière. Le débat sur cette affaire est trop idéologique et généralisé. On perd de vue le patient singulier. Le tribunal n’a pas la connaissance intime de ce cas particulier. Il est donc amené à statuer sur une question générale : les patients en état pauci-relationnel [mémoire-blog] ont-ils une vie qui mérite d’être vécue ? Mais cela, c’est un sujet théorique. Ce pauvre homme n’existe plus en tant que personne, il est gommé. On est face à une histoire unique avec des éléments singuliers qui ne doivent pas être mis sur la table et sur la place publique, qui sont de l’ordre du secret médical et du respect de la vie privée.
Sans conflit familial, cette affaire ne serait probablement pas allée en justice. Mais une fois de plus, la loi Leonetti est claire, elle ne confie pas la décision aux proches, mais au médecin en charge. Le docteur Eric Kariger [médecin chef du service du CHU de Reims où est hospitalisé Vincent Lambert] a pris sa décision en son âme et conscience et après avoir respecté la procédure imposée par la loi. Ce que je conteste, c’est qu’avec cette décision, la médecine aille prendre ses ordres au tribunal.
La médiatisation gomme encore plus la singularité de la situation au plan humain. Elle est simplificatrice et porte sur un débat de principe : est-ce qu’il faut continuer ou non ? Vincent Lambert devient l’otage d’un débat sociétal très important, sa vie actuelle et future en dépend. Il est dans un état pauci-relationnel. Une décision [d’euthanasie passive] avait été prise il y a six mois, puis suspendue. Depuis six mois, rien ne s’est passé pour lui : on lui fait endurer quelque chose de terrible. A quoi joue-t-on ? On se sert du malheur des autres pour réfléchir collectivement à ce que l’on va faire. »
« Rendez-le immortel ! »
Bernard Devalois, dans Le Monde. Ce médecin est responsable du service de médecine palliative, hôpital de Pontoise (Val-d’Oise)
« (…) Le jugement remet en cause le travail des médecins et des équipes impliquées dans la prise en charge. Mais il contribue aussi à une néfaste judiciarisation de la médecine. Il risque hélas, de par le signal envoyé, de réduire à néant les efforts menés pour faire cesser les pratiques déraisonnables. Les médecins seront encouragés à ne pas cesser les pratiques d’acharnement et s’en remettront aux menaces des familles : » Rendez-le immortel, sinon je vous attaque au tribunal ! » Ce jugement, qui reprend mot à mot les arguties juridiques de l’avocat des parents, par ailleurs avocat du mouvement intégriste Civitas, change l’esprit de la loi d’avril 2005.
(…) c’est bien au médecin, après le respect d’une procédure collégiale, de qualifier ou non de déraisonnables les actes préventifs, diagnostics et thérapeutiques entrepris. S’ils sont déraisonnables, le médecin doit y mettre fin pour ne pas faire d’acharnement. Que le juge vienne, sans aucun mandat du législateur, se substituer et s’opposer aux décisions médicales collégiales est dangereux. S’il est bien normal que le juge examine et dénonce le cas échéant des errements dans la procédure, il est donc dangereux qu’il se prononce sur le fond et qui plus est dans l’urgence d’un référé.
C’est tout l’édifice progressiste de la loi sur les droits des patients et la fin de vie qui est ébranlé par cette décision. Quant aux amalgames faits ici ou là avec la question dite de l’euthanasie, ils sont inappropriés. Faisant partie des opposants à toute légalisation des injections létales telles que pratiquées en Belgique, je ne suis pas susceptible, chacun en conviendra, d’être assimilé aux » thanactivistes « , militants d’un droit à exiger sa mort de la main du médecin.
A l’instar de la remarquable équipe du docteur Kariger, qui n’a cessé de se questionner sur la meilleure prise en charge possible de M. Lambert et de ses proches, il convient de cesser de maintenir artificiellement en vie ce patient. La priorité n’est pas à la récupération, mais à la réparation d’une famille encore davantage brisée aujourd’hui qu’hier. Il faut que le Conseil d’Etat soit saisi et que le législateur et le politique rappellent leur place aux juges, celui de faire appliquer la loi, pas d’en inverser le sens. »
« Graver dans le marbre la sédation terminale »
Jean Leonetti, dans Le Journal du Dimanche . Cardiologue et député UMP dénonce un acharnement thérapeutique du collège des juges du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne. Il dénonce notamment une récupération politicienne de l’affaire par la ministre de la Santé Marisol Touraine : « C’est un cas très particulier dans un contexte familial de désunion. Dans ce dossier, l’enjeu c’est l’acharnement thérapeutique mais pas l’euthanasie ni le suicide assisté ». Prudent sur la question de la légalisation du suicide assisté, Jean Leonetti concède que la loi de 2005 pourrait être améliorée. Notamment en rendant opposables les trop méconnues « directives anticipées ».
Tristement cocasse
On observera le caractère tristement cocasse d’une situation qui voit des médecins accuser des juges et réclamer aux magistrats du Conseil d’Etat de leur rendre raison et de permettre ainsi à des médecins de mettre fin à la vie de Vincent Lambert. On attend désormais les réponses architecturées émanant du milieu juridique. Viendront-elles ? Savez – vous, précisément, ce que sont les directives anticipées ?
A demain.
Une réflexion sur “Rebondissement dans l’affaire Lambert : trois médecins accusent les juges d’ »acharnement thérapeutique »”