Dans l’ombre de Vincent Lambert, les nouveau-nés condamnés de Cochin (Libération)

Bonjour

Appelé à trancher dans l’affaire Vincent Lambert le Conseil d’Etat a sculpté le tragique dans le droit. Il a décidé que le fait de nourrir (alimenter) et de faire boire (hydrater) étaient des traitements. Ou pouvaient en être. De ce fait ces gestes humains pouvaient être « interrompus » dès lors qu’ils pouvaient raisonnablement tomber sous le coup de « l’obstination déraisonnable » de la loi Leonetti sur la fin de vie.

Extrême violence

L’affaire est d’une violence extrême comme est violente la question soulevée : peut-on tuer une personne en fin de vie en la privant d’eau et de nourriture ? Mette un terme à l’AHA (l’alimentation et l’hydratation artificielle). Jean Leonetti s’exprime pour la première fois clairement sur le sujet, dans Libé (1)

C’est la question qui sera (peut-être) posée dans quelques semaines au CHU de Reims dans la chambre où est hospitalisé Vincent Lambert. C’est la question qui est entre les lignes de la une et de quatre pages du Libération de demain 28 février.  Elle concerne, qui plus est, des nouveau-nés. Le quotidien « présente » un « document exceptionnel du centre d’éthique de Cochin ». Il y voit un témoignage « des angoisses et des questionnements des parents, médecins et personnels soignants qui ont entouré jusqu’à leurs dernières heures des enfants sans espérance de vie ».

Avec ou sans sédation

En Une : « Le dilemme tragique de laisser mourir un enfant ». L’édito :

« Dans l’état actuel de la législation (la loi Leonetti), ces nourrissons avec ou sans sédation sont privés de nourriture et d’eau jusqu’à ce que mort s’ensuive. Un geste qui peut paraître barbare mais qui, selon le docteur Leonetti, au-delà de sa portée symbolique, ne l’est pas plus que de retirer une assistance respiratoire. Faut-il pour autant légiférer et modifier les textes actuels comme le demandent les partisans de l’euthanasie active ou du suicide assisté ? La loi peut-elle donner un cadre formel et juridique à tous les cas singuliers qui se posent aux familles et aux médecins ? L’histoire de Vincent Lambert, largement médiatisée, tout comme le rapport difficile et déchirant de Cochin disent que l’incertitude ne peut être érigée en valeur.  Le Président a promis un nouveau texte encadrant la fin de vie. Il est sans doute nécessaire. Même si la loi ne pourra jamais répondre au désespoir des proches des mourants et de leurs médecins. »

Transgresser ou pas

Le papier rappelle qu’avant la Loi Leonetti (2005) les équipes de réanimation néonatales confrontées à des nouveau-nés sans espérance de vie  « après quelques jours d’observation et de confirmation du diagnostic, pratiquaient des gestes actifs mettant fin à cette vie qui paraissait n’avoir aucun sens ». Depuis la loi Leonetti ces mêmes équipes « ont voulu sortir de ces actes transgressifs et se mettre dans les règles, en s’engageant dans des soins palliatifs en néonatalogie ». Il s’agit ainsi de respecter aux plus près le «laisser mourir», en évitant le «faire mourir». C’est ce qui se passerait « dans la plupart des équipes de réanimation néonatale ».

Travail inédit

Le quotidien fait état d’une étude que vient d’achever le Centre d’éthique clinique de Cochin (dont Libération est partenaire). «Des pratiques à l’épreuve du réel» (sous-titre de ce « travail inédit »). Travail à propos de 25 cas. On cite Marta Spranzi, philosophe ;  Elizabeth Belghiti, psychologue ; Laurence Brunet, juriste ; le Dr Véronique Fournier. On parle de « sentiment d’effroi » de « quelque chose d’inconcevable », de « quelque chose d’exceptionnel ».

Survivre ou pas

Les pratiques sont variables (« Certains enfants vont même survivre, bien souvent avec des handicaps très lourds- d’autres pas »). Il y a des cas de sédation. Des pratiques intermédiaires.  Souvent l’intolérable. Parfois l’enfer. Aussi en vient-on à dire ce qui ne veut plus rien dire : «Le laisser mourir n’est pas naturel, encore moins quand il s’agit d’un nourrisson.»

Au final on a étudié, on a cherché à comprendre. Et aucune réponse n’apparaît. Seul un risque, à la fois majeur et aujourd’hui politiquement incorrect : faire plus de mal que de bien en ne laissant pas œuvrer, au plus près de leur conscience, celles et ceux qui ont choisi la profession de médecin.

A demain

 1  Jean Leonetti : « Ce qui me paraît clairement comme une évidence, c’est que l’alimentation et l’hydratation artificielle (AHA) relèvent d’une logique de soins. Ce sont des traitements : mettre un tube dans le ventre, ou poser une perfusion, c’est un traitement. Et, pour moi, c’est de même nature qu’un respirateur artificiel, qui envoie de l’air dans les poumons, puis qui l’expulse. Mais voilà, personne ne va estimer barbare – quand les conditions sont réunies – de retirer un respirateur et d’accompagner la personne vers le décès pour qu’elle ne souffre pas, alors que cette question demeure pendante pour l’alimentation. Où est la différence ? Le risque d’étouffement vaut bien celui du sentiment de la faim ou de la soif. Il faut y réfléchir. Pourquoi cela se passe-t-il ainsi ? Pourquoi tant de projections ?

A tort ou à raison, on pense d’abord que l’arrêt de l’AHA va entraîner une mort différée, lente, alors que la mort, après un retrait d’un respirateur, survient vite. Ensuite, cela nous renvoie à des symboliques bien évidemment différentes et très anciennes autour de l’alimentation : l’idée de ne pas manger à sa faim, de mourir de faim… qui est par ailleurs une symbolique encore plus forte dans le cas d’un nouveau-né.

Dans nos sociétés, l’agonie est souvent ressentie comme un temps inutile. L’agonie – un combat, étymologiquement – est une lutte contre la mort, mais une lutte perdue. C’est aussi parfois du temps de souffrance, un temps interminable. L’arrêt des traitements de survie active cette impression. A la fois, les médecins disent «on va arrêter la survie» et, en même temps, cet arrêt de la survie ne s’accompagne pas de la mort rapide. »

 

Une réflexion sur “Dans l’ombre de Vincent Lambert, les nouveau-nés condamnés de Cochin (Libération)

  1. Le document de Cochin n’est pas exceptionnel. L’arrêt d’alimentation se pratique depuis 2005. En septembre est sorti chez Salvator un livre dénonçant ces pratiques : On ne peut imposer ça à personne, handicap du nourrisson et euthanasie.

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