Bonjour
Treize jours. C’est le temps qu’il aura fallu à la direction générale de l’AP-HP pour rendre public le rapport de son enquête sur les circonstances de la mort d’une femme de 61 ans dans la salle de surveillance du service des urgences de l’hôpital Cochin (1).
Mort qui a fait grand bruit. Mort dont la cause exacte ne sera jamais retrouvée. Ce qui n’explique pas comment et pourquoi Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP, a pu assurer qu’en toute hypothèse cette femme « ne pouvait pas être sauvée » (mémoire-blog).
Morceau de verre
Cette enquête a été menée par le « Bureau d’Enquête-Analyse du Groupe Hospitalier « Hôpitaux Universitaires Paris Centre (HUPC). Elle a été réalisée entre le jeudi 20 février et le mercredi 26 février. Que nous apprend-elle ?
Que cette patiente âgée de 61 ans étaient déjà venue aux mêmes urgences. C’était en avril 2012. Sa venue avait alors été suivie d’une hospitalisation. Le 15 février cette femme est amenée à 16h30 par les pompiers « probablement appelés par son aide-ménagère ». Le motif de l’appel était « une blessure au pied par un morceau de verre ».
« Lors de l’accueil administratif, on pose à la patiente un bracelet d’identification. Elle est vue par l’IOA à 16h48 (18 minutes après son arrivée). Les documents concernant l’hospitalisation précédente n’étaient pas accessibles au SAU au moment de l’événement » indique le rapport d’enquête.
« Seul un médecin »
Ce même rapport note que l’hôpital Cochin a mis en place en 2008 le logiciel Médiweb qui donne accès aux comptes-rendus d’hospitalisation et d’imagerie. Tous les services n’ont toutefois pas encore adopté cette pratique. En toute hypothèse « cette information n’aurait été recherchée que lors de la prise en charge médicale de la patiente ». Qui plus est « seul un médecin aurait pu y avoir accès »
Un peu avant 17 heures l’infirmière note :
– le motif de consultation « plaie du pied droit » et des commentaires.
– les signes vitaux de la patiente (température, pression artérielle, fréquence cardiaque)
Rapport : « Compte tenu des informations recueillies, la « priorité 3 » lui est attribuée. L’IOA souhaite pouvoir surveiller cette patiente. Elle la place dans un fauteuil de la zone d’attente couchée, devant les brancards. Cette zone, située en face de son poste, est extrêmement passante puisque c’est le lieu d’entrée dans la zone de soins. »
« Déroulement de l’événement »
« À 21h, l’IOA transmet à sa collègue de nuit les informations, concernant d’une part les patients de la zone couchée et d’autre part les patients de la salle d’attente à revoir. A cette occasion, cette dernière visualise les patients. Une AS prenant son poste mentionne qu’elle a aussi vu cette patiente, couchée dans son fauteuil et consciente.
À 21h18, une AS qui terminait son service passe devant la patiente qui était vivante et mobilisait le drap la recouvrant.
À un horaire indéterminé (que nous supposons être entre 21h20 et 21h50), une interne prenant en charge un patient couché sur un brancard, situé derrière la patiente, la voit endormie et respirant. Elle ne constate pas de signes anormaux. Entre 21h30 et 22h00, le cadre de nuit, à l’occasion de son tour de plate-forme, visualise cette patiente semblant dormir, et vivante.
Entre 21h30 et 21h40, un sénior charge une externe du début de l’examen de cette patiente. L’infirmier de la salle de déchocage, qui allait chercher les documents d’admission d’un patient sur l’imprimante, lui conseille de la chercher en salle d’attente et dans la salle d’attente couchée ainsi que devant la salle de radiologie ou à l’extérieur du bâtiment où certains patients vont fumer. L’externe appelle donc la patiente dans ces différentes zones et ne la trouve pas.
L’interne, chargée depuis 14h des patients admis en salle de déchocage, prend le dossier du patient suivant, trié 3 également. L’externe lui rapporte ne pas avoir trouvé la patiente. L’interne lui conseille d’aller aussi appeler dans la partie la plus externe de la salle d’attente (proche de la sortie) : sans résultat. Elle prend alors le dossier de cette patiente et donne le sien à l’externe dans un souci de rapidité d’exécution. Elle poursuit la recherche par appel et conclut à l’absence de la patiente au moment où un nouveau patient, jeune, en arrêt respiratoire, est conduit directement par l’IOA en salle de déchocage. L’IOA prête main-forte pour les soins de ce patient.
L’interne avant de rentrer en salle de déchocage a donné le dossier au sénior, médecin régulateur-trieur, en lui précisant que la patiente ne répond pas aux appels. La patiente est considérée comme sortie sans avis médical, ce qui est compatible avec le motif de passage aux urgences. L’ensemble des éléments, appuyés par la vérification des images de vidéosurveillance de la salle d’attente, montre que la patiente n’est pas sortie du SAU »
Les enquêteurs notent à ce stade que trois éléments auraient pu permettre de localiser la patiente :
– la consultation de l’écran de localisation géographique du logiciel Urqual
– une demande directe à l’IOA
– une recherche à partir des bracelets d’identification des patients}
Suite des évènements :
« À 21h20, sont présentes, dans la zone de soins, 12 personnes de priorité 2, une personne en déchocage, ainsi que 15 personnes en priorité 3, 5 personnes en priorité 4, 1 personne en priorité 5. Quatre personnes sont en USR et 14 en UHCD ; 2 personnes sont en attente de tri par l’IOA et 7 dossiers doivent être clos. Ce soir-là, le fast-track ne fonctionnait pas.
Entre 21h40 et 22h00, une AS est passée plusieurs fois devant la patiente et n’a rien remarqué d’anormal.
À 23h, cette même aide-soignante constate que la patiente est blanche, l’installe rapidement dans le bureau de l’IOA et appelle un sénior qui constate le décès et le prononce à 23h10. Le sénior ne tente donc pas de manœuvres réanimatrices. L’examen qu’il pratique ne montre pas de signes évidents de la cause du décès.
La patiente était entourée de quatre personnes dont aucune n’a fait spontanément mention d’une demande ou d’une plainte de cette dernière. »
Analyse des causes :
« L’anomalie qui préoccupe est de ne pas avoir trouvé la patiente et, non pas son décès. »
Causes immédiates :
« La recherche de la patiente n’a pas abouti. L’échange de dossiers entre l’interne et l’externe dans un but de rapidité d’exécution a entrainé un moindre contrôle du sénior. La fragilité de la patiente n’était pas décelable lors d’un premier contact, ce qui ne permettait pas d’exclure que la patiente ait pu partir sans attendre les soins. Cinquante-quatre patients étaient présents au SAU peu avant l’heure où l’on recherche la patiente. Six patients relevaient du fast-track. »
Causes profondes :
« Le logiciel Urqual propose une représentation de l’occupation du service et de la prise en charge des patients. Cet écran permet de localiser les patients. Il n’est pas utilisé par les juniors (temps ? formation ?). Les séniors n’ont pas conscience de cet état de fait Urqual ne propose pas, dans la fiche de tri IOA, de champ permettant d’indiquer où sont localisés les patients.
La répartition des patients, au sein de l’équipe médicale, se fait à partir des fiches de tri IOA, imprimées, réparties dans des bannettes correspondant au niveau de priorité. Ces fiches portent en police de taille importante et en gras le motif de la consultation et la localisation de la lésion. Les mentions supplémentaires figurent en tout petits caractères ne permettant pas d’attirer l’attention sur des éléments qui peuvent se révéler importants.
La communication verbale entre les différents intervenants semble peu privilégiée.
La diversité de l’application des nouvelles procédures nous semble liée une intériorisation insuffisante des procédures communes par l’ensemble des praticiens. »
Dysfonctionnements :
« Les diagnostics antérieurs de la patiente portés en hospitalisation n’étaient pas accessibles au SAU ce qui pose le problème de l’accès au dossier du patient. Cependant cette information n’aurait été recherchée que lors de la prise en charge médicale de la patiente. Seul un médecin peut y avoir accès.
Le groupe hospitalier porte actuellement un intérêt particulier aux questions de l’accès au dossier patient dans le cadre de la réponse aux recommandations pour la certification.
Le délai entre l’événement et sa déclaration est imputable à plusieurs facteurs qui tiennent à une méconnaissance des procédures à suivre. »
Cause du décès de la patiente :
« Mort subite présumée d’origine cardiaque. Diagnostic retenu après analyse du dossier médical et scanner post mortem, à défaut d’autopsie refusée par les proches.»
A demain
(1) Ce rapport est disponible à l’adresse suivante : http://presse.aphp.fr/deces-dune-patiente-a-lhopital-cochin-ap-hp-publication-des-conclusions-de-lenquete-des-recommandations/
Une réflexion sur “La morte des urgences de Cochin : à 21h 18 elle était toujours vivante”