Bonjour
Nous avons déjà évoqué, sur ce blog, cette tragédie moderne. Voici aujourd’hui une affaire Lambert en miroir (1). La famille du malade est également déchirée sur la conduite médicale à ternir (soigner ou laisser mourir). Mais les médecins alsaciens sont, à la différence de leurs confrères du CHU de Reims, unanimes pour soigner. Et la justice administrative vient de leur donner raison.
Les éléments qui suivent sont extraits de l’ordonnance du juge des référés (M. Mallol) du tribunal administratif de Strasbourg ; ordonnance rendue « au nom du peuple français » et datée du 7 avril 2014.
Accident équestre
Tout commence le 16 juillet 2013, en Alsace. Arnaud Thiébault exerce la profession d’instructeur équestre. Il est victime d’un grave accident de cheval dans l’exercice de son activité. Traumatisme crânien avec coma d’emblée. Il est pris en charge en réanimation neurochirurgicale à l’hôpital Pasteur de Colmar. Un mois plus tard il est transféré au service de neurochirurgie, (service du Dr Srour) dans ce même établissement de santé, pour la poursuite de la prise en charge. Il y est, depuis, sous alimentation et hydratation artificielles.
En dépit des soins et des traitements prodigués par une équipe soignante (« dont la compétence, le dévouement et l’humanité » sont unanimement louées), aucune communication n’a pu s’établir avec M. Thiébault. Dans ce contexte de mauvais pronostic d’éveil, une réflexion sur la limitation des thérapeutiques a été engagée fin novembre 2013 avec le Dr Mortada, praticien hospitalier de l’équipe du service de neurochirurgie de l’Hôpital Pasteur de Colmar.
Transfert dans un service d’éveil
Dans la semaine du 17 février 2014, Clarisse Thiébault, son épouse, est informée par le Dr Mortada, de la décision de transférer Arnaud Thiébault dans l’unité de soins intensifs du service de neurochirurgie du Dr Froelig du (CHU de Hautepierre, Strasbourg). L’ensemble des médecins ayant connaissance du dossier estiment qu’une amélioration notable de l’état du patient peut être envisagée à l’hôpital de Hautepierre dans un service d’éveil spécialisé. Son transfert vient d’être effectué.
Mais il apparaît que Clarisse Thiébault et Juliette sa fille (mineure) s’opposaient à ce transfert. Elles estiment qu’il s’agit là « d’une totale et inexplicable réorientation des soins et traitements ». Elles font valoir qu’aucun nouveau diagnostic n’avait été porté à leur connaissance par rapport à la situation communiquée en novembre-décembre 2013 – une situation ayant conduit « à l’ouverture d’une procédure de concertation en vue de la limitation des thérapeutiques ».
Contradictions
Elles soulignent encore que le transfert n’a pas été décidé dans la suite de la procédure convenue avec l’équipe médicale ; qu’il est fondé sur la seule proposition du Dr Pierre Froelig, un membre extérieur à cette équipe. Elles font encore valoir que ce spécialiste de Strasbourg « n’a connu du cas de M. Arnaud Thiébault que par sa visite du 7 février 2014, d’une durée très limitée », que les « constatations » matérielles du Dr Froelig ne sont pas dénuées de contradictions et posent aux yeux des requérantes de multiples interrogations.
Dans leur refus du transfert la femme et la fille d’ Arnaud Thiébault sont rejointes par Mme Solange Bonte et M. Philippe Thiébault, une sœur et un frère. Tous estiment que le risque est « de mettre le patient dans la situation d’être conscient de son état et donc en souffrance possible, sans certitude ou espoir sérieux qu’il puisse être suffisamment en éveil pour donner son avis éclairé sur la poursuite ou l’arrêt des soins ».
Maintien en vie artificiel irréversible
Ainsi tous font valoir qu’on n’a pu leur fournir aucun pronostic ni aucune assurance sur les effets escomptés des nouveaux traitements envisagés. Mme Thiébault redoute au contraire une « obstination déraisonnable en vue d’atteindre un état de conscience minimale sans dignité et un risque de maintien en vie artificiel irréversible ». D’autres membres de la famille ne partagent pas ce point de vue.
Quant aux médecins « en l’absence de consensus de la famille et dans l’impossibilité de recueillir le souhait du patient » ils estiment « qu’ils devaient, de par la loi, prendre une décision et que cela leur revenait à eux seuls, décision qu’ils ont prise en conscience après consultation des médecins compétents ». Pour le corps médical il n’y a là aucune « obstination déraisonnable ».
« Fort tempérament »
On peut aussi lire ces éléments dans l’ordonnance du tribunal administratif :
« M. Arnaud Thiébault, personne de fort tempérament, toujours très indépendant et autonome de caractère depuis son enfance et dans son cadre professionnel et familial, avait choisi un métier qui le passionnait et dont il connaissait les risques, qu’il décrivait régulièrement à son entourage et ses amis. Dans ce contexte, il avait à plusieurs reprises et encore très peu de temps avant son accident, fait part à ses proches, son épouse et sa sœur Solange de sa volonté de ne pas se trouver confronté un jour à un état grabataire. » Pour autant les médecins comme les juges observent que M. Thiébault n’a pas rédigé de « directives anticipées ».
« Enfermement »
Mais on peut lire aussi ceci dans cette même ordonnance :
« Chantal Thiébault, sœur aînée d’Arnaud Thiébault, apporte une autre témoignage en ces termes : elle certifie qu’il n’y a pas de consensus dans la famille, que des personnes comme Clarisse Thiébault disent qu’il ne faut rien faire et d’autres qu’il faut prodiguer des soins. Chantal Thiébault affirme qu’actuellement, son frère n’a pas de stimulation et que c’est pour lui un « enfermement » ; elle atteste qu’il est très réactif quand on le sollicite ; qu’il sourit quand on lui raconte des « blagues » et des histoires de leur enfance. elle relate qu’Arnaud a cinq frères et sœurs, que deux sont d’accord avec l’épouse pour ne pas faire de soins d’éveil et trois sont pour les soins d’éveil ; elle soutient catégoriquement que son frère a envie de vivre et que la fille aînée de M. Thiébault est d’accord avec elle, Chantal Thiébault ; elle approuve le transfert au centre hospitalier universitaire car c’est plus simple pour la fille du patient qui habite Strasbourg et, désormais, M. Arnaud Thiébault a des soins humains et pas seulement pour le maintien en vie ».
« Il réagit à l’appel de son nom »
Ou encore ceci :
« Il ressort des pièces du dossier, notamment du compte rendu de visite du Dr Froelig, chef du service de soins intensifs du service de neurochirurgie du CHU de Hautepierre de Strasbourg, en date du 7 février 2014, que M. Arnaud Thiébault peut être considéré comme en état de conscience réactive adaptée aux stimulations de l’environnement avec la capacité de ressentir des émotions, ce que confirme d’ailleurs le témoignage à l’audience de Mme Chantal Thiébault ; qu’à cet égard, il réagit à l’appel de son nom et de son prénom, au toucher et à des ordres simples comme le serrement de mains ; en conséquence, le Docteur Froelig confirme l’indication d’une prise en soins d’éveil pour tenter de limiter les freins à l’éveil et de promouvoir l’éveil post-traumatique tant que des améliorations sont remarquées ».
Rien « d’inhumain ou de dégradant »
Pour le tribunal administratif de Strasbourg les soins d’éveil envisagés au CHU de Hautepierre ne peuvent être qualifiés « d’inhumains ou dégradants » (au sens des stipulations de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales). De plus la décision de pratiquer les soins d’éveil « ne remet pas en cause la mise en œuvre éventuelle de la procédure collégiale (définie à l’article R. 4127-37 du code de la santé publique) de limitation ou d’arrêt de traitements qui pourraient s’avérer inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie de M. Arnaud Thiébault ».
« Il résulte de tout ce qui précède que la requête présentée par Mme Clarisse Schirer épouse Thiébault et par Mlle Juliette Thiébault ne peut qu’être rejetée » conclut le tribunal.
Pas d’obligation de résultat
Sauf coup de théâtre des soins d’éveil vont donc être prodigués à Arnaud Thébault. Des médecins répondront ainsi à l’obligation de moyens qui leur est faite. Bien évidemment ils ne sont pas soumis à une obligation de résultat. En d’autres termes rien ne permet d’affirmer que leur patient retrouvera sa conscience entière. Rien, en l’état où il se trouve ne leur permet, en conscience, de penser qu’ils devaient prendre la décision de ne plus nourrir et de ne plus hydrater cet homme qui est leur patient.
A Strasbourg, à la différence de Reims, la justice est en phase avec la médecine. Une partie de la famille du malade dit son désespoir. Une autre se dit réconfortée. Dans les deux cas la décision ne leur appartenait pas.
A demain
(1) Dans son édition datée du 12 avril Le Monde s’interroge : « Est-ce un effet collatéral de la forte médiatisation de l’affaire Vincent Lambert, ce patient tétraplégique en état de conscience minimale sur le sort duquel le Conseil d’Etat doit se prononcer avant la fin juin ? » Il est toujours surprenant d’observer les médias s’interroger sur les conséquences concrètes des « fortes médiatisations ». Surprenant et quelque peu inquiétant.