Bonjour
Il existe une autorité de la chose jugée. Nul ne peut le contester. Mais qu’en est-il de la chose préjugée ? A-t-on le droit de la contester ? Telle est l’équation sans précédent que soulève aujourd’hui l’affaire Lambert.
Résumons-en les termes. On sait aussi que, saisi de ce « litige », le Conseil d’Etat a prononcé un jugement d’une portée qui dépasse de très loin le cas de Vincent Lambert. Il a jugé que le fait de nourrir et d’hydrater des personnes dans cette situation constitue un « traitement ». Un traitement au sens de la loi Leonetti relative à la fin de vie. Comprendre : les dispositions de cette loi relatives à l’arrêt du traitement en cas d’«obstination déraisonnable » peuvent s’appliquer « que le patient soit ou non en fin de vie ».
Comprendre encore que l’alimentation et l’hydratation peuvent, le cas échéant, être arrêtées chez des personnes qui sont en « état végétatif chronique » (EVC) – une formulation qui ne devrait plus être utilisée dans la mesure où elle renvoie à différentes situations très différentes quant à l’état de conscience, aux perceptions et aux sensations.
La contestation de deux associations
Dans quelques semaines on connaîtra la décision du Conseil d’Etat concernant la vie ou la mort de Vincent Lambert. Des voix s’élèvent contre l’idée même que l’on puisse assimiler l’alimentation-hydratation à un traitement pouvant être définitivement arrêté. Et qu’une disposition de la loi Leonetti puisse s’appliquer « que le patient soit ou non en fin de vie ». C’est notamment le cas de deux associations (non confessionnelles) qui ont ici une expérience, une compétence et un droit d’expression que nul ne saurait contester.
Il s’agit tout d’abord de l’association France Traumatisme Crânien (FTC). Il s’agit ensuite de l’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés. (UNAFTC).
I « France Traumatisme Crânien ». Créée en 1990 cette association nationale réunit des professionnels, issus des champs sanitaire, médico-social, social, éducatif ou juridique, dont le point commun est l’accompagnement de personnes cérébro-lésées
Voici sa position à propos du cas de Vincent Lambert, signée (pour le Conseil d’Administration de France Traumatisme Crânien) par le Dr François Tasseau :
« L’ampleur médiatique et judiciaire de l’affaire Vincent Lambert a conduit les membres du conseil d’administration de France Traumatisme Crânien à exposer ce qu’une longue expérience professionnelle auprès de ces patients, les données de la science dans ce domaine et une réflexion approfondie dans le domaine éthique, leur ont permis de savoir :
. Une bonne appréciation de l’état clinique, par des examens cliniques et complémentaires répétés et adaptés, est la base de la réflexion. Concernant l’EPR (état pauci-relationnel )post-traumatique on sait par l’imagerie fonctionnelle et l’électrophysiologie, que ces patients ont des activités cognitives et parfois des îlots de conscience, même si la communication avec eux est réduite voire presque indétectable.
. Les patients en EVC /EPR ne sont pas en fin de vie et ne relèvent pas d’une prise en charge dans des unités de soins palliatifs. Ils sont des patients très lourdement handicapés, totalement dépendants, pris en charge d’abord dans les services de MPR puis dans de petites unités dédiées créées par la circulaire du 3 mai 2002.
. Le cadre législatif permet de répondre à certains questionnements. L’EVC/EPR est une situation chronique où des limitations thérapeutiques peuvent être discutées en cas de complications médicales graves dans le cadre de la Loi Leonetti pour éviter tout acharnement thérapeutique. L’alimentation et l’hydratation, comme les soins d’hygiène et de confort, font partie, pour nous, des soins de base dus à tout patient dans cette situation de stabilité clinique.
. La médecine et en particulier la réanimation permettent depuis 2 à 3 décennies, de maintenir en vie des patients qui auparavant seraient décédés ; certains d’entre eux évoluent vers un EVC ou un EPR. On sait depuis peu que des traumatisés crâniens en EPR peuvent, de façon non exceptionnelle, évoluer plus favorablement que prévu, pendant plusieurs années, parfois jusqu’à la récupération d’un état de conscience appréciable, leur permettant de communiquer de façon fiable,
Ces remarques nous conduisent à rappeler les risques inhérents à toute catégorisation, chaque situation étant singulière et devant être traitée au ‘’cas par cas’’. »
On trouvera ici le texte complet de cette prise de position.
On retiendra ici que pour cette association de soignants :
« L’alimentation et l’hydratation, comme les soins d’hygiène et de confort, font partie des soins de base dus à tout patient dans cette situation de stabilité clinique. »
« Quelque chose d’inhumain »
II Il s’agit ensuite de l’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés. (UNAFCT).
On trouvera ici son communiqué sur l’affaire Lambert. Elle reprend l’analyse de FTC. Et poursuit :
« La mort provoquée par arrêt de nutrition a pour nous quelque chose d’inhumain. Elle ne relève pas du laisser mourir au sens de la loi mais d’une euthanasie. Elle est donc illégale. »
Qu’en dira le Conseil d’Etat ? La Cour européenne des droits de l’homme ?
Conseil de l’Europe
Elargissons la focale nationale. Et ce grâce au Conseil de l’Europe (1) qui vient fort opportunément de de publier un « Guide sur le processus décisionnel relatif aux traitements médicaux dans les situations de fin de vie » (document disponible ici). Ce guide présente sous une forme synthétique et pédagogique les principes applicables au processus mis en œuvre afin d’élaborer une décision relative aux traitements médicaux dans les situations concrètes de fin de vie. Ces principes ont vocation à s’appliquer, quel que soit par ailleurs l’environnement juridique propre à chaque Etat.
Le Conseil de l’Europe traite lui aussi de la question de l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation.
Traitements ou pas ?
« Dans un certain nombre de pays, la nutrition et l’hydratation artificielle sont considérés comme des traitements et sont donc susceptibles d’être limités ou arrêtés dans les conditions et selon les garanties prévues pour les limitations et arrêts de traitement (refus de traitement exprimé par le patient, refus de l’obstination déraisonnable ou d’un traitement disproportionné évalué par l’équipe soignante et admis dans le cadre d’une procédure collective), peut-on lire dans le rapport. Toutefois, dans d’autres pays il est considéré que l’alimentation et l’hydratation artificielles ne sont pas des traitements susceptibles de faire l’objet d’une décision de limitation ou d’arrêt, mais sont des soins répondant à des besoins essentiels de la personne que l’on peut ne peut arrêter à moins que le patient, en phase terminale de sa fin de vie, en ait exprimé le souhait.
La question du caractère approprié, au plan médical, de la nutrition et de l’hydratation en phase terminale est elle-même débattue. Pour certains elles sont considérées comme nécessaires au confort du patient en fin de vie. Pour d’autres le bénéfice pour le patient ne va pas de soi.»
Bien peu de choses vont « de soi » dans ce domaine. A commencer par le jugement, sans doute prématuré, du Conseil d’Etat. Et l’autorité de la chose jugée.
A demain
(1) Le Conseil de l’Europe est une organisation intergouvernementale regroupant aujourd’hui 47 Etats membres, dont les 28 Etats de l’Union européenne. Il a pour mission de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les valeurs qui sont le patrimoine commun de ses Etats membres : la démocratie, les droits de l’homme, l’Etat de droit.
Une réflexion sur “Affaire Lambert : laisser-mourir ou euthanasie ? Le jugement du Conseil d’Etat ne passe pas”