Bonjour
Etonnant papier (Florence Rosier) dans le dernier supplément Sciences/Médecine du Monde (28 mai). Il revient sur les deux décennies de prescriptions-consommations de benzodiazépines en France. Une overdose. Papier qui dénonce une trop longue inertie sanitaire. Titre : « Le ministère de la santé sous somnifères ? »
Accablant
On a lu, ou on lira, cette charge. On y parle d’un ministère de la Santé frappé d’aphasie, d’un ministère de la Santé qui aurait peur de son ombre; qui tremblerait devant les réactions supposées de médecins libéraux jaloux de leur liberté de prescription comme des chats de leur territoire.
En matière de benzodiazépines le constat le plus accablant n’a rien de secret. Il est même tout ce qu’il y a d’officiel. Chacun y a gratuitement accès. Sur le site de l’« Agence nationale de sécurité des médicaments » (Ansm). Le document est daté de janvier dernier. Voir ici.
. 131 millions de boîtes de médicaments contenant des benzodiazépines ou apparentées ont été vendues en France en 2012 (dont 53,2 % d’anxiolytiques et 40,5 % d’hypnotiques). Soit près de 4 % de la consommation totale de médicaments en 2012.
. 11,5 millions de Français ont consommé au moins une fois une benzodiazépine en France en 2012 (7 millions une benzodiazépine anxiolytique, 4,2 millions une benzodiazépine hypnotique et 0,3 millions du clonazépam (Rivotril ® ).
.22,2 % des utilisateurs consomment deux benzodiazépines simultanément ou non et 0,7 % en consomment trois.
. L’alprazolam (Xanax ®) devient en 2012 la molécule la plus consommée suivie par le zolpidem (Stilnox ®) et le bromazépam(Lexomil ®).
. Les consommateurs de benzodiazépines âgés en moyenne de 56 ans sont principalement des femmes pour près des 2/3 d’entre eux. Un tiers des femmes de plus de 65 ans consomme une benzodiazépine anxiolytique et près d’une sur cinq (18 %) une benzodiazépine hypnotique.
. Les principaux prescripteurs de benzodiazépines anxiolytiques et hypnotiques sont des médecins libéraux (90 %) parmi lesquels les médecins généralistes prescrivent près de 90 % des benzodiazépines anxiolytiques et hypnotiques.
. Les temps d’exposition aux benzodiazépines sont parfois très supérieurs aux recommandations de l’autorisation de mise sur le marché avec une utilisation annuelle de 4 à 5 mois pour les molécules hypnotiques et anxiolytiques. A noter qu’une proportion importante de patients les utilise en continu sur plusieurs années.
Gabegie
Comment mieux dire la gabegie et le non respect chronique des recommandations officielles par les prescripteurs libéraux sans oublier les pharmaciens d’officine. Faut-il y associer une fraction des consommateurs ?
On ajoutera, comme le fait l’Ansm, que la consommation des benzodiazépines expose à certains risques « bien connus » en particulier neuropsychiatriques, ainsi qu’à des risques d’abus et de pharmacodépendance » notamment un phénomène de tolérance et de sevrage à l’arrêt. Les benzodiazépines accroissent également « de manière significative le risque d’accidents de la circulation ». Chez le sujet âgé, la consommation de benzodiazépines peut « favoriser les chutes et perturber la mémoire ». Enfin, certaines études récentes font état d’un « lien potentiel entre ces substances et la survenue d’une démence ».
Désirs
Sans rire l’Ansm ajoute : « Afin de limiter la consommation et les risques des benzodiazépines, les autorités sanitaires françaises ont mis en place depuis vingt ans un certain nombre d’actions sur le plan réglementaire mais aussi en termes d’information et de communication. »
Puis : « Devant le constat d’une consommation toujours très importante de benzodiazépines, d’une large prescription en particulier pour des durées trop longues et de la présence de risques liés à leur utilisation, les autorités sanitaires dont l’ANSM souhaitent mettre en place un nouveau plan d’actions. A cette fin, les professionnels de santé, médecins prescripteurs et pharmaciens, seront consultés et impliqués directement dans la mise en place de mesures qui devraient survenir dans le courant de l’année 2014. »
Les autorités sanitaires souhaitent ? Que n’exaucent-elles leur désir s’agir ?
Overdose tricolore
C’est dans ce Loch Ness que replonge Le Monde. Le dernier quotidien du soir s’interroge : « A quand le coup d’envoi d’un plan ambitieux contre l’overdose nationale de benzodiazépines ? ». On « sollicite » le ministère de la santé. Qui indique au Monde que « des mesures nouvelles seront annoncées après l’achèvement des travaux de la Haute Autorité de Santé ». Et que cetteHAS « mène actuellement un travail de réévaluation des benzodiazépines à visée hypnotique, qui devrait être achevé avant l’été et qui précède un travail sur les benzodiazépines anxiolytiques ».
Le Monde sollicite alors le Pr Bernard Bégaud, pharmaco-épidémiologiste à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et à l’université de Bordeaux. « Ce problème n’est pas considéré comme une priorité de santé publique, déplore ce dernier. En matière de médicaments, la dépense ne se limite pourtant pas aux coûts directs : il faut prendre en compte les coûts indirects, liés à leurs risques. »
Perversité du paiement à l’acte
Et pourtant rien n’y fait. Ni les limitations (en 1991) de la durée des prescriptions (douze semaines pour les anxiolytiques, quatre pour les hypnotiques). Ni la multiplication des recommandations et des mises en garde à destination des professionnels de santé, ces donneurs d’ordre de la surconsommation. Faut-il mieux rémunérer ceux qui s’engagent à moins prescrire ? Mieux les former pour qu’ils prennent le temps d’écouter ceux qui viennent dire leur souffrance et qui repartent avec les promesses des cachets ? Commencer à en finir avec cet archaïsme pervers qu’est le paiement à l’acte ?
Pour l’heure la HAS ère dans les caveaux de la réévaluation des benzodiazépines, de leur « service médical rendu », de l’ « amélioration du service médical » qu’elles rendent, pour mieux situer leur place dans des « stratégie thérapeutique » que personne ne suivra.
Suicides
Aujourd’hui l’urgence est dans l’association mortifère « benzodiazépines/antidépresseurs » (risque de passage à l’acte suicidaire). Le Monde cite la société Celtipharm : 230 000 personnes seraient exposées en permanence à une association médicamenteuse déconseillée comprenant une benzodiazépine. A quand une action en justice ?
Celtipharm est une société privée qui tente d’éclairer finement ce qu’il en est des incohérences de consommation des médicaments en France. C’est peu dire que la puissance publique ne lui facilite pas la tâche. Bien éveillé, on souhaiterait comprendre.
A demain
Moi, je veux bien ne plus prescrire de benzodiazepine à long terme. Ca m’arrangerait même. Si j’avais une alternative! Il y a une vraie demande des patients qui ont des problèmes de sommeil ou d’anxiété. Qu’en faire? C’est ça qui doit être discuté et qu’on ne me parle pas des traitements comportementalistes et des plantes. Ca permet de limiter la prescription mais ne la remplace pas. Il arrive régulièrement que je ne prescrive PAS une benzo à quelqu’un qui a des troubles de sommeil. Qui essaie ce que je lui propose (changement hygiène de vie, de soirée, voire consult psy) et qui finalement revient en me demandant de prescrire cette molécule miracle que sa sœur/voisine/mère (..) lui a donné un jour et qui a tellement bien aidé!