Bonjour
C’est une question éthique et juridique majeure: l’intérêt supérieur de l’enfant justifie-t-il que l’on accepte, en France, la marchandisation du corps humain ? Pour la GPA c’est tranché : la France ne contestera pas les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui la contraigne à reconnaître les enfants nés d’une mère porteuse. Le fait a été confirmé aujourd’hui 27 juin par Laurence Rossignol, secrétaire d’Etat à la famille. « Le gouvernement tirera les conséquences de ces deux arrêts en droit interne», a- t-elle annoncé à l’Assemblée nationale lors de la reprise des débats sur la proposition de loi sur l’autorité parentale.
Mme Rossignol a certes souligné que les deux arrêts de la CEDH ne remettaient pas en cause l’interdiction du recours à la GPA, mais qu’ils faisaient prévaloir «l’intérêt des enfants sur le choix du mode de conception fait par les parents». Le choix ?
Contradictions
« Plusieurs dispositions pénales permettent de poursuivre ceux qui favorisent le recours à la GPA à l’étranger», a rappelé Laurence Rossignol sans préciser lesquelles. Sans dire non plus si elles sont actuellement appliquées. Ni a fortiori si elles le seront à l’avenir. « Le gouvernement a toujours résolument défendu l’idée qu’il fallait distinguer le sort des enfants de celui du contrat illicite et que la primauté de l’intérêt des enfants doit prévaloir sur le choix fait par leurs parents, a-t-elle ajouté. En distinguant les droits de l’enfant du choix des parents, la Cour conforte cette position. »
Distinguer ? C’est là une vision bien particulière de la situation. Acte 1 : Condamner et tout faire pour que la GPA ne soit pas. Acte 2 : En accepter la traduction au nom de l’intérêt de l’enfant ainsi délibérément conçu par un couple d’adultes. Un couple qui gagne l’étranger pour mettre en œuvre (via un tiers rémunéré) une pratique interdite en France – en sachant que dorénavant la sécurité juridique et la nationalité sont assurées.
Fraude à la loi
Distinguer ? La Cour de cassation fondait notamment son interdiction de toute reconnaissance de « liens de filiation établis à l’étranger » sur la notion de « fraude à la loi ». En clair : lorsque des personnes ont ostensiblement cherché à contourner la loi française en se rendant à l’étranger pour y bénéficier de pratiques qui sont prohibées sur le territoire national aucun effet juridique des actes établis à l’étranger ne saurait être reconnu à leur retour. C’est là une forme de cohérence doublée d’une logique de prévention. La « fraude à la loi » est également depuis peu la justification du refus d’accorder l’adoption d’enfants nés par insémination artificielle avec sperme de donneur d’une femme vivant avec une autre femme (pratique interdite en France).
Indignation de l’UMP
Sans surprise la déclaration gouvernementale de ne pas faire appel de la décision de la CEDH a suscité l’indignation des quelques députés UMP présents dans l’hémicycle. «Les masques sont tombés, le gouvernement soutient les actions reconnaissant les mères porteuses», Philippe Gosselin (UMP, Manche). «Vous inventez la GPA pour les riches», Daniel Fasquelle (UMP, Pas-de-Calais).
Dans le même camp Le Figaro du jour donne la parole àAude Mirkovic, juriste, auteur de « PMA, GPA: La controverse juridique » (Téqui, 2013). Extraits :
« Cette condamnation par la Cour européenne nous oblige, en quelque sorte, à «fermer les yeux» en cas de recours une GPA à l’étranger. Vous pouvez désormais aller tranquillement à l’étranger vous acheter un enfant, la Cour européenne vous assure le service après-vente. La Cour européenne est peut-être celle des droits de l’homme, mais elle n’est plus celle des droits de l’enfant. Elle est aujourd’hui devenue un obstacle pour protéger les enfants.
Dignité des femmes
(…) Est-ce que la dignité des femmes étrangères a moins de valeur que celle des femmes françaises? Peut-on donc utiliser une femme comme machine à produire un enfant sous prétexte qu’elle est indienne? Est-ce que le fait d’obtenir un enfant contre de l’argent devient tout à coup acceptable parce qu’il n’est pas payé en euros? Le fait de devoir désormais «admettre» les GPA réalisées à l’étranger est très grave. Il faut donc prendre des mesures pour dissuader vraiment les Français de le faire, et ainsi ne pas avoir à cautionner ensuite. Autrement dit, il faut incriminer le recours à la GPA, non seulement pour les intermédiaires comme c’est déjà le cas aujourd’hui en droit français, mais pour les clients.
« Le mal est fait »
(…) Les Français qui se paient une femme gestatrice et lui achètent la fabrication/livraison d’un enfant s’étonnent ensuite que la situation de cet enfant soit bancale? Ce que ces enfants subissent ne peut pas, hélas, être réparé par le droit: comment la justice pourrait-elle rendre à l’enfant le père dont il a été privé par exemple? La Cour européenne nous ordonne de faire comme si de rien n’était, ce qui est pire que tout pour les enfants concernés. En effet, nier leur préjudice, nier ce qu’ils ont vécu non seulement ne répare rien pour eux, mais empêche les personnes tentées par ces techniques de réaliser ce que cela signifie pour les enfants »
Raisonnement renversé
Dans le camp adverse on affûte également ses arguments. Le Monde donne ainsi la parole à Me Patrice Spinosi l’avocat d’un « couple emblématique » du combat sur la GPA. Extraits :
« La CEDH renverse le raisonnement La Cour ne part pas de la pratique des parents, mais des enfants, qu’elle pose comme premiers sujets de droit.La CEDH souligne les incertitudes qui résultent pour eux de la situation des enfants, en matière de filiation, de nationalité et d’héritage. Elle affirme que cette situation » porte atteinte à leur identité au sein de la société française « et condamne la France au nom du » droit au respect de leur vie privée « et de » l’intérêt supérieur des enfants « . » Le raisonnement de la Cour de cassation est battu en brèche, estime Me Spinosi. Elle doit revenir sur sa jurisprudence. La décision a été prise à l’unanimité et est parfaitement claire. »
Deux mille enfants
En pratique, une fois le délai d’appel de trois mois écoulé, de nombreuses familles concernées pourront effectuer la demande de retranscription à l’état civil (2000 enfants sont concernés, selon les évaluations des associations – chiffre cité par Le Monde).
Le gouvernement de Manuel Valls peut choisir de laisser les tribunaux juger et mettre la France en conformité avec la décision européenne. Mais il pourrait aussi agir plus rapidement. Comme « par le biais d’une circulaire aux consulats français à l’étranger, en expliquant qu’une suspicion de GPA ne doit plus empêcher la retranscription à l’état civil ». C’est précisément ce que demande l’Association des familles homoparentales (qui regroupe de « nombreux couples d’hommes ayant eu recours à la GPA »).
Que fera le gouvernement ?
Ce même gouvernement peut aussi légiférer. Des députés socialistes poussent en ce sens. Ils voulaient introduire la mesure dans la loi sur le mariage pour tous, puis dans la loi sur la famille, pour l’heure abandonnée par le gouvernement. Erwann Binet député (PS) ancien rapporteur de la loi sur le mariage ne cache pas son souhait de déposer une proposition de loi qui disposerait que « le mode de conception, ou la nature des filiations de l’enfant, ne peut faire obstacle à l’exercice de ses droits fondamentaux ».
Le gouvernement français soutiendra-t-il ce texte ? Que fera, cette fois, Christiane Taubira, ministre de la Justice ? L’heure a-t-elle sonné, en France, du passage d’une interdiction absolue à une interdiction relative de la GPA. Qui nous le dira ? L’intérêt supérieur de l’enfant justifiera-t-il, dès demain et en France, la marchandisation du corps humain ?
A demain
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