Bonjour
Contre la surconsommation de médicaments il suffit parfois d’un peu d’imagination. Par exemple de ne plus les rembourser. C’est ce que vient d’imaginer la Haute Autorité de Santé (HAS). On peine à y croire et c’est pourtant la vérité vraie. Lire ici la décision de la HAS. Nous parlons bien des médicaments hypnotiques suivants :
HAVLANE® – IMOVANE® – STILNOX® MOGADON® NOCTAMIDE® NORMISON® ROHYPNOL®
Soit environ quatre millions de personnes directement concernées. Air connu : « les Français comptent parmi les plus grands consommateurs de somnifères en Europe ». S’ils sont bien indiqués pour traiter les troubles sévères du sommeil à court terme, les benzodiazépines hypnotiques peuvent aussi « provoquer une dépendance et être responsables de nombreux effets délétères ». On le sait depuis longtemps et rien n’est fait. Du moins rien d’efficace. Et l’antienne française est toujours là : « surconsommation et mésusage important ». Les médias en parlent parfois, quand ils manquent d’actualité.
Signaux d’alarme
Puis on décréta (qui ?) que cela ne pouvait plus durer. Aussi y eut-il un « plan d’action concerté ». Une affaire de grande ampleur réunissant la HAS, la Direction générale de la santé (DGS) et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Depuis 2012 ils « lancent des signaux d’alarme ». Les insomniaques ne les voient pas et les médias n’en parlent guère. Objectif : « promouvoir une utilisation réduite de ces produits ».
Au final le résultat ne semble pas être là. Aussi fait-on (qui ?) donner aujourd’hui la « commission de transparence ». « S’inscrivant dans cette démarche de prévention » elle « revoit à la baisse le service médical rendu des benzodiazépines hypnotiques et produits apparentés » :
A savoir, donc :
l’estazolam (Nuctalon®, Takeda), le loprazolam (Havlane®, Sanofi), le lormétazépam (Noctamide®, Bayer), le nitrazépam (Mogadon®, Meda Pharma), le témazépam (Normison®, Primius Lab), le zolpidem (Stilnox®, Sanofi Aventis), le zopiclone (Imovane®, Sanofi Aventis ainsi que et leurs cortèges de génériques.
Rien n’a changé dans la composition de ces spécialités mais leur intérêt thérapeutique a brutalement plongé.
Extraits :
« Sur une longue période, la faible efficacité de ces médicaments sur la durée du sommeil, leurs effets délétères et le mésusage constaté ont conduit la Commission de la Transparence à conclure à un intérêt thérapeutique limité de ces médicaments. Ce constat devrait entraîner une diminution du taux de remboursement [de 65%] à 15%, contre 65% auparavant. La Commission recommande une prescription à la plus faible dose et pour la plus courte période possible, en seconde intention après échec des thérapies cognitives et comportementales. »
Sans doute les quatre millions d’insomniaques (et leurs milliers de prescripteurs) aimeraient-ils en savoir un peu plus sur ces thérapies de première intention. Où et quand et comment ? Remboursées ? Ils chercheront.
La HAS se réveille
Pour l’heure on peut s’attendre à une petite révolution : la HAS est formellement opposée au renouvellement systématique des prescriptions d’hypnotiques. « Alors que leur durée de prescription est limitée à 4 semaines, on observe que leur consommation peut s’étendre sur plusieurs mois voire plusieurs années. Or, au-delà de 28 jours, l’efficacité est incertaine, les risques d’effets délétères augmentent (somnolence diurne, troubles de la mémoire, chutes, accidents,…) ainsi que celui de dépendance » nous dit-elle. Où l’on observe que la HAS se réveille. Sa voisine l’ANSM vient de la tenir informée que la « prévalence d’exposition aux benzodiazépines » n’a pas varié entre 2007 et 2012 : elle concerne 11 % de la population affiliée au régime général pour les benzodiazépines anxiolytiques et 6,5 % pour les benzodiazépines hypnotiques ou molécules apparentées.
Le clairon de la HAS a d’ores et déjà été perçu. « Les solutions de déremboursement creusent les inégalités, et j’espère ce que cette mesure ne sera pas prise, a aussitôt réagi le Dr Claude Leicher, président du syndicat de médecine libérale MG France. Les catégories socioprofessionnelles les plus vulnérables sont les plus touchées par les troubles anxieux, ce n’est pas juste de leur faire payer plus cher leurs médicaments ». Dans Le Quotidien du Médecin le Dr Leicher est d’accord sur le constat : « On a un vrai problème, en termes de santé en France, sur l’ensemble des troubles anxieux, de l’insomnie et de la dépression, avec des prévalences supérieures à celles des autres pays européens. L’insomnie est une des manifestations parmi tant d’autres de ces troubles, quand on interroge le patient, on retrouve l’insomnie comme étant le symptôme d’un état sous-jacent qui n’est pas forcément connu du patient. »
Faute de temps
En écho le Dr Marie Hélène Certain, secrétaire générale du Collège de la médecine générale : « Cette mesure de déremboursement est une fausse bonne mesure, qui tient plus de l’affichage que d’une quelconque efficacité. Elle reporte sur les régimes complémentaires la prise en charge de ces traitements, parfois nécessaires du fait d’une situation pathologique et/ou sociale. » Sans parler des stratégies de contournement que développeront les patients en situation de dépendance.
Dr Leicher : « Nous n’avons pas de temps de consultation adapté aux troubles du sommeil. On pourrait passer un peu plus de temps avec nos patients pour étudier de façon plus détaillée ce que l’on peut faire, mais cela nécessite une consultation longue que l’on demande depuis longtemps mais qui nous est refusée par les pouvoirs publics ».
Quatre millions d’électeurs
Prochaines étapes annoncées : des mesures visant à restreindre la prescription (limitation à 14 jours de la prescription, conditionnement des benzodiazépines et apparentés en boîte de 7, réévaluation des benzodiazépines anxiolytiques au début de l’année 2015). Sans oublier des campagnes de « communication grand public » percutantes.
Et le déremboursement de 65 à 15 % ? On l’attend. Mais on ne sait pas précisément à quel niveau de responsabilité politique (Santé, Matignon, Présidence) la décision doit être prise. Un ministre y regarde généralement à deux fois avant de réveiller quatre millions d’électeurs dépendants qui, ces temps-ci, ont bien du mal à trouver le sommeil.
A demain