Bonjour
C’est un abcès qui dure : le diktat hors de prix imposé par deux géants de Big Pharma dans le traitement de la DMLA (voir ici). Et l’incapacité récurrente de la puissance publique à régler cette absurdité. Soit deux médicaments identiques – à l’exception de leur nom : le Lucentis® (Novartis) et l’Avastin® (Roche). Les deux peuvent également soigner la DMLA. Le premier vaut une fortune et il est autorisé. Le second vaut beaucoup moins cher mais il n’est autorisé que dans le traitement d’une maladie cancéreuse. Les deux sont remboursés par notre collectivité.
Menaces de la DGS
Il y a deux ans des médecins ophtalmologistes, soucieux des deniers publics, osèrent utiliser le second à la place du premier. La Direction Générale de la Santé les menaça aussitôt de poursuites. Quelques médias s’intéressèrent au sujet. («Traitement contre la cécité ou traitement contre l’absurdité » Slate.fr, 7 août 2012). Rien ne se passa.
Il y a un an le Syndicat de la médecine générale dénonça, chiffres à l’appui, la situation et le gouffre financier qu’elle constituait. Il le fit de manière imparable dans une lettre ouverte adressée à Marisol Touraine, ministre de la Santé comme on peut le lire ici. Rien ne se passa.
Le faux du Parisien
Puis le Pr. François Chast chef du service de pharmacie clinique (groupe hospitalier hôpitaux universitaires Paris Centre / Cochin – Hôtel-Dieu – Broca) revint à la charge sur la Toile. Il citait le Washington Post indiquant qu’aux Etats-Unis 55% des malades sont traités par Avastin®, 34% par Lucentis®. Rien. En mars dernier Le Parisien révélait que l’anticancéreux Avastin® pourrait bientôt être autorisé comme traitement alternatif en remplacement du Lucentis®. Un projet de décret du ministère de la Santé était en cours d’élaboration. Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, venait de transmettre au Conseil d’Etat un texte qui permettrait, à terme, aux ophtalmologistes d’utiliser Avastin® dans le traitement de la DMLA.
C’était un faux. Ou presque. Le projet de décret en lui-même « n’autorise pas l’utilisation Avastin® ni d’aucun autre médicament en particulier » avait aussitôt précisé le ministère de la Santé à l’AFP. Ce décret d’application de la LFSS (loi de financement de la sécurité sociale) viendrait peut-être « préciser les conditions dans lesquelles l’Agence nationale de sécurité du médicament et la Haute autorité de santé pourront autoriser l’utilisation de certains médicaments dans le cadre de RTU (recommandations temporaires d’utilisation) pour motif économique. »
Rebondissement
On allait se lasser. L’affaire rebondit aujourd’hui avec un communiqué de presse de l’association Retina France (reconnue d’utilité publique depuis 1998). Bien que directement concernée Retina France n’avait jusqu’à présent jamais pris position dans l’affaire Avastin®-Lucentis®. Nous l’avions interrogée sur ce thème lors de son congrès international organisé fin juin Paris. Confirmation de la ligne : « nous n’intervenons pas dans ce débat ». Ce n’est manifestement plus le cas un mois plus tard.
« Un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité Sociale a été voté jeudi 24 juillet 2014 après un aller-retour entre l’Assemblée Nationale et le Sénat. Celui-ci permet dès aujourd’hui l’emploi d’un médicament n’ayant pas l’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) qui garantit la sécurité des patients, observe Retina France. Cet amendement concerne plus spécifiquement l’Avastin® qui pourrait donc être prescrit en France dans le cadre d’une autorisation temporaire à visée économique (…). Son fabricant [Roche] s’oppose pourtant toujours à l’utilisation de son produit dans le cadre de cette indication ophtalmologique en raison de l’absence d’études permettant de vérifier l’innocuité de sa molécule et d’une formulation non adaptée selon lui. »
Santé à deux vitesses
Retina France poursuit : « C’est donc par mesure d’économie que la décision a été prise malgré cette incertitude en termes de sécurité. Pouvons-nous accepter une santé à deux vitesses malgré ces temps de crise économique et de réduction des budgets de santé? Nous rappelons qu’en juillet 2012, la Direction générale de la santé (DGS) avait interdit cette utilisation hors AMM dans le but de ‘’préserver les impératifs de sécurité sanitaire’’. » Par ailleurs plusieurs grands pays n’ont pas suivi la logique économique française sur ce sujet car des experts ont constaté des effets secondaires ou contaminations graves. »
Et l’association conclut : « Des pertes partielles ou totales de la vue chez plusieurs patients traités par le passé en dehors du critère AMM ont défrayé la chronique ( seize patients aux USA notamment, article du New York Times par Andrew Polack du 30/08/2011 ou plus récemment quatre patients au CHU de Moka). »
Utilité publique
On comprend sans mal que cette association a ses priorités : la sécurité optimale pour l’ensemble des patients malvoyants, l’accès équitable pour tous aux traitements existants, le soutien à la recherche médicale et l’aide aux familles touchées par les maladies de la rétine. Ce sont de nobles causes. Mais pourquoi ne pas rappeler que la multinationale suisse Novartis, productrice du Lucentis®, fait partie de ses soutiens, de ses « partenaires »? Des partenaires qui, comme le précise son site, « lui font confiance ». A quel prix ?
A demain
Laissez nous rire !
Que dire alors d’autres associations dont les fonds proviennent uniquement ou presque de l’industrie pharmaceutique ?
Que dire de celle qui est devenue « association de patients » pour éviter les blocages de la Loi Bertrand ?
Il vaut taper sur les provinciaux que s’attirer les foudres de Créteil ou de Nanterre.