Bonjour
Comme un parfum d’épidémie. Avant-hier Slate.fr. Hier la BBC. Aujourd’hui Le Figaro. Et puis à nouveau Slate.fr. En moins d’un an trois articles scientifiques concluent à la nécessité d’abandonner la poignée de main. L’individualisme de notre société croise ici son angoisse montante de la saleté.
Paumes humaines
Plus de contact entre paumes humaines mais le choc des poings fermés. Choc amical mais choc quand même. Comme en témoigne l’onomatopée anglo-américaine qui désigne cette néo-poignée : fist bump (“a gesture of greeting or affirmation in which two people lightly tap each other’s clenched fist”). Certains parlent de check.
Publié le 28 juillet le dernier article scientifique en date n’est pas le moins impressionnant. Il est britannique ( David E. Whitworth, Sara Mela – université Aberystwyth) et il a les honneurs de l’American Journal of Infection Control. On le trouvera (gratuitement) ici. Il sonne tout bonnement la fin du handshake. Et les médias de rappeler que « Barack Obama a fait du fist bump sa marque de fabrique ». Bientôt on aura oublié que le high five a existé.
Basketballeur
Juillet 2014. Il n’est pas trop tard pour faire un peu d’histoire. Sur Slate.fr Mathieu Dejean nous explique que selon David Givens, anthropologue au « Centre des études non-verbales » de Spokane (Washington) le fist bump est très probablement un dérivé du high five qui, comme on sait, a connu son heure de gloire dans le monde du sport. Selon le magazine Time, c’est basketballeur Fred Carter qui en aurait été un précurseur dans les années 1970.
Mais encore ? David Givens : « Si le fist bump s’est imposé c’est que c’est un des rares gestes égalitaires. Vous pourriez le faire avec le président Obama, et vous seriez tous les deux égaux à ce moment-là». A la différence de la poignée de main, qui peut vite tourner au défi. Quant à la révérence japonaise, pleine de nuances, elle varie en fonction de la hiérarchie.
Anneau papal
C’est être bien naïf que de croire en l’unicité égalitaire du fist bump. Testez-le et vous verrez ce qu’il en est. A commencer par l’échange entre deux personnes qui ne sont pas du même genre. Quand à l’effacement des différences… Songez à ce que pourrait-être un fist avec François (sans même évoquer la question de l’anneau papal).
La nouveauté, aujourd’hui, c’est le renfort apporté par les hygiénistes. David E. Whitworth et son étudiante Sara Mela cherchaient-ils à se distraire dans la sombre université Aberystwyth perdue dans le comté gallois de Ceredigion ?
Escherichia coli
« Ils se sont salués à de multiples reprises à l’abri de leur laboratoire, équipés de gants stériles, rapporte Le Figaro (Pauline Fréour).Le Dr Whitworth avait, au préalable, trempé sa main dans un bain de bactéries Escherichia coli, qui comptent parmi les principales sources d’infections nosocomiales. Il en ressort que le facteur principal de contamination est la surface de peau en contact. Le fist bump divise par dix la transmission bactérienne par rapport à une poignée de mains. Le high five comporte un risque intermédiaire. La durée de contact joue aussi, de même que l’intensité: une poignée de main ferme double ainsi la quantité de germes transmis par rapport à un geste plus modéré. »
Le Figaro ne nous dit pas ce qu’il en était de l’étreinte soviétique entre camarades. Songer, demain, à jeter un œil à L’Humanité.
Et à l’hôpital ?
« La question se pose surtout à l’hôpital, car on y a davantage de risque de porter sur les mains des bactéries résistantes , plus dangereuses pour les patients affaiblis car difficiles à éliminer» explique le Pr Jean-Christophe Lucet, responsable de l’équipe d’hygiène de l’hôpital Bichat (Paris). Les médecins en viendront-ils à ne plus serrer la main de leurs patients ? « Cela serait, estime le Pr Lucet, mettre une distance regrettable. Ce contact est important pour la relation patient-médecin. »
A dire vrai l’important, ici, est ailleurs. Il est dans le respect d’autrui qui passe par le lavage soigneux et récurrent des mains des mains par l’ensemble du personnel soignant. C’est une affaire déjà ancienne qui coûta la vie à Ignace Philippe Semmelweis (1818-1865). Et c’est une affaire entièrement revisitée, depuis les Hôpitaux Universitaires de Genève, par l’étonnant Pr Didier Pittet.
Semmelweis
Avant de relire la thèse de médecine du Dr Destouches sur la vie et l’œuvre de Semmelweis (1) on peut dévorer l’ouvrage qui vient d’être consacré à la formidable aventure du Dr Pittet (2). Où il est heureusement démontré que fist bump ou pas, une autre humanité est possible. Et qu’il sera toujours possible à l’homme, avec un peu d’alcool et d’eau, de toucher son prochain.
A demain
(1) « Semmelweis ». Louis-Ferdinand Céline. Préface de Philippe Sollers. Editions Gallimard
(2) « Le Geste qui sauve » Crouzet T. Editions L’Age d’homme. (En achetant ce livre vous offrez à un médecin, une infirmière, un agent de santé ou un secouriste des ays défavorisés un flacon de solution pour friction hydro-alcoolique des mains et sauvez des vies. http://www.cleanhandssavelives.org/