Bonjour
Nous évoquions il y a peu la mort, à Montpellier, de deux jeunes filles, 18 et 19 ans, fauchées par une voiture conduite par un homme, 24 ans mis en examen pour « homicides volontaires ». (« Les deux jeunes filles n’avaient pas bu. Le chauffard était un alcoolique. Où sont les complices ? »). Cet homme encourt une peine de dix ans de prison.
Poursuites « pour complicité »
Son addiction à l’alcool était connue. Identifié rapidement mais d’abord introuvable, il avait finalement été arrêté le lendemain de l’accident Il était ivre au moment de son interpellation. Parmi les points à éclaircir, les heures qui précèdent le drame intéressent particulièrement les enquêteurs. « S’il a bu en compagnie d’autres personnes, des poursuites pour complicité pourraient être engagées. Des précédents existent », souligne-t-on au parquet de Montpellier. »
De fait le 4 mars dernier le tribunal correctionnel de Montpellier condamnait à un an de prison, dont six mois ferme, un homme qui avait laissé conduire un ami ivre, auteur d’un accident mortel. « Il laisse son ami ivre prendre le volant. Il en prend pour un an. Où est la justice ? »).
« Homicide par imprudence »
Les faits dataient de décembre 2012 : un homme, 34 ans, fauchait et tuait une étudiante, 18 ans. Il prenait aussitôt la fuite avant d’être interpellé quelques heures plus tard. Le 2 janvier l’homme était condamné à six ans de prison pour « homicide involontaire aggravé » (alcool, vitesse, conduite sans permis sous l’emprise de stupéfiants). Deux mois plus tard son compagnon de libation était condamné pour « homicide par imprudence ».
Claudine Laporte, la présidente du tribunal de Montpellier déclarait alors « nous ne pouvons plus, de nos jours, rester indifférents face aux ivresses et à leurs conséquences en cascade ». « La justice doit responsabiliser les hommes » avait plaidé l’un des avocats de la partie civile. Pour lui c’était écrit : la faute est caractérisée car le prévenu savait qu’il créait un danger. L’avocat de la famille de la victime avait rappelé que la Cour de cassation avait engagé un mouvement jurisprudentiel qui vise à impliquer les personnes qui ont laissé conduire des personnes ivres.
Précisions et explications
Peut-on (et faut-il) condamner les « complices » des chauffeurs alcooliques ? Nous avons interrogé à ce sujet Evelyne Sire-Marin, vice-présidente du Tribunal de grande instance de Paris. Ses précisions :
« Dans de tels cas seules quelques juridictions de première instance ont, jusqu’ici, condamné pour complicité d’homicide involontaire. Les cours d’appel n’ont pas suivi.
La complicité suppose un élément intentionnel : il faut connaître le résultat de l’acte involontaire par exemple être sûr qu’un accident aura lieu , – et pas uniquement envisager cette possibilité. Dans de telles affaires il est très difficile de prouver que les compagnons d’ivrognerie (ou le tavernier) avaient non seulement conscience, mais aussi l’intention commettre l’homicide involontaire. Ainsi une personne qui en voit une autre mettre le feu a une maison qu’elle sait habitée, et qui ne fait rien, sera plutôt condamnée pour omission de porter secours.
Au plan moral faut-il souhaiter une société dans laquelle chacun serait sommé d’être un policier sans uniforme et de contrôler les actes des autres sous peine d’être poursuivi en correctionnelle ? Pour ma part je ne le souhaite nullement.
L’efficacité du système pénal doit être questionnée dans ces affaires de violences commises avec circonstances aggravantes d’alcool, mais aussi celles de stupéfiants ou pour les infractions commises par des personnes souffrant de troubles psychiatriques. Comment le droit pénal peut il à la fois soigner ET punir ?
Pour les infractions liées à l’alcool il existe des stages routiers à titre de peine principale (parfois prononcés en cas de conduite en état alcoolique (CEA) sans accident. Les « sursis avec mise à l’épreuve » avec obligation de soins (très souvent prononcés) ou la prison ferme. (1)
A la première récidive de CEA, la loi impose l’annulation du permis de conduire. Pour ma part j’observe que de nombreux condamnés continuent néanmoins à conduire, ne serait-ce que pour pouvoir travailler.
La nouvelle peine de contrainte pénale sera applicable à partir du 1er janvier 2015 aux homicides involontaires sans circonstance aggravante – ce n’est pas notre cas ici. C’est à dire à de nombreux accidents de la circulation et accidents du travail. Mais les juges pourront aussi continuer à prononcer les peines actuellement prévues : cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. La contrainte pénale est en effet une simple possibilité pour les délits punis de cinq ans au plus d’emprisonnement . »
A demain
(1) Voir ici une analyse de la pratique des « sursis avec mise à l’épreuve »
Je suis bien surpris par la position du parquet de MONTPELLIER.
Si des poursuites sont engagées pour complicité, elles aboutiront à un non lieu ou une relaxe.
Je serai bien curieux de lire la motivation d’une décision d’un tribunal condamnant dans ce cas d’espèce pour complicité… Impossible de tenir juridiquement. A l’extrême, il est effectivement certain que les cours d’appel ou cour de cassation infirmeraient de tels jugements.
Je sais que mon restaurateur ne va pas déclarer le montant de l’addition que je lui règle, je serai complice de fraude fiscale, ou d’abus de biens sociaux ? Impossible juridiquement. En plus j’ai faim et sa carte est délicieuse…
Moralement ? Certainement pas… Je peux tout faire pour qu’il ne prenne pas le volant, à l’extrême l’en empêcher physiquement…mais de là à être considéré complice d’une infraction que je ne commets pas, non intentionnelle, et pour laquelle je ne bénéficie d’aucun intérêt, sinon de la tristesse et de la culpabilité…non… Juridiquement les éléments de l’infraction pénale sont absents.
Le droit ne peut pas tout…même pas condamner des irresponsables… quoi que…
Il faut garder à l’esprit que l’infraction pénale suppose 2 éléments : l’un matériel, l’autre intentionnel, les deux étant cumulatifs : A défaut, pas d’infraction, pas de condamnation possible.
Ici aucun des deux éléments, matériel ou intentionnel, imputable au prétendu « complice », ne sont présents.
Déjà qu’à mon sens, je regrette que dans aucun cas, non aucun, le prévenu de l’homicide involontaire ne soit déclaré irresponsable, alors même qu’au moment des faits son discernement a pu être aboli.
Encore faut-il s’entendre sur les faits : lesquels ? ceux de consommer ou ceux de commettre l’acte ?
Prenons l’hypothèse que l’homicide soit non intentionnel, c’est le cas ici, et que la consommation d’alcool soit également non intentionnelle, l’addiction… Pourquoi, pénalement, serait-il responsable ? Aucune explication juridique…Simplement la morale, qui ne peut fonder une décision de culpabilité, et ne permettra pas aux victimes de ne pas en être.
Me Cyril Roux
Avocat au barreau de Paris