Bonjour
Le Dr Gérald Kierzek n’est plus seulement médecin, anesthésiste, réanimateur et urgentiste à l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris. Il est par ailleurs expert auprès des tribunaux. « Passionné de communication et de vulgarisation médicale » il est aussi chroniqueur pour le « Magazine de la Santé » sur France 5 et dans « Le Grand 8 » sur D 8.
Coup de cœur
Il est encore « spécialiste santé pour Europe 1 » ; il est en outre l’auteur d’un livre préfacé par Michel Cymès, Un livre dont on peut ne pas goûter le titre aéronautique « 101 leçons pour ne pas atterrir aux urgences » . Il est ,enfin, critique cinématographique pour Paris Match. Pour les lecteurs de l’hebdomadaire du groupe Lagardère il a vu «Hippocrate» de Thomas Lilti (1) – un film qui est le « coup de cœur » de Paris Match. Et c’est peu dire que le réanimateur n’est pas tendre avec ce film : « il s’insurge contre le regard porté sur l’hôpital et son personnel par un réalisateur qui est, comme lui, docteur en médecine ».
Assis dans la salle, face à l’écran, le Dr Kierzek « n’a pas passé un bon moment ». « Cela m’a fait souffrir, cela m’a même fait de la peine, car cela met à mal l’hôpital public et la probité médicale. Sur un plan déontologique, cela m’a fait mal ». Et Dieu sait si les souffrances déontologiques peuvent être intenses.
Un « ancien médecin »
Même Paris Match a du mal à comprendre : le réalisateur connaît l’hôpital et s’est attaché à rendre la réalité du monde hospitalier : « Justement, rétorque l’expert auprès des tribunaux. Le décor, la vie à l’hôpital, la salle de garde, le quotidien, tout ça, c’est bien retranscrit, c’est crédible et réaliste. On voit qu’il connaît son sujet, qu’il a fait ses études à l’hôpital, mais, malheureusement, j’ai ressenti une certaine aigreur, peut-être une frustration. Quelque chose de négatif en ressort, en tout cas pour moi qui suis urgentiste – réanimateur, bref un praticien de l’hôpital. Autant le décor qui est planté est crédible, autant les relations entre les professionnels, et les relations entre les professionnels et les patients sont fausses. » Fausses ?
Ce que l’urgentiste ne goûte guère, c’est précisément que Thomas Lilti soit un « ancien médecin » (sic). Sa double casquette de docteur-réalisateur ? Elle fait, dit cet animateur-chroniqueur, que l’on « peut prendre pour argent comptant tous les messages qui sont véhiculés ». « Les dialogues, les ficelles scénaristiques sont fausses, accuse-t-il. Je suis sorti de ce film en me disant : ‘’les patients vont mettre ma parole en doute’’. Dès qu’il y aura une complication, ils vont penser que c’est une erreur médicale et qu’on va lui cacher des choses. » Cacher ?
Pompiers à intubation
Pire : ce film aborde la « douloureuse question de l’euthanasie » (sic). « Je suis médecin-réanimateur, dit ce passionné de vulgarisation-communication médicale. «Hippocrate» donne l’impression que l’on arrive avec la pompe à intubation, que l’on est des cowboys, que l’on ne regarde pas les dossiers et l’on intube tout le monde, même les personnes en fin de vie. Tout ça c’est faux. La loi est très claire : c’est notre métier d’urgentiste et de réanimateur de contextualiser, et de ne pas être dans l’acharnement thérapeutique. J’ai l’impression que pour les besoins du film, il a fallu ajouter des débats de société, on a coché la case erreur médicale, on a coché la case euthanasie/fin de vie. Le film met à mal la relation de confiance entre le patient et le médecin. » Confiance ?
Pire encore, le nœud central, la mortelle intrigue, la raison d’être du film : cet interne-fils protégé par son père-patron :
Véreux, branleuses et fils à papa
« Il y a beaucoup de ‘’fils de’’, aussi, à l’hôpital, c’est très vrai, mais ce n’est pas pour ça qu’ils seront couverts en cas de faute, assure le vulgarisateur. Pour moi, il y a là une faute morale de la part du réalisateur, une remise en cause de la probité. On a l’impression que c’est la concurrence entre tout le monde, entre les différents services, entre les internes. Mais que face aux familles, tout ce petit monde, presque mafieux, se met d’accord (…) On applique la loi Kouchner de 2002 sur l’information des malades. Là c’est traité comme s’il y avait encore une Omerta médicale, que l’on est resté au temps de la médecine de Papa, d’il y a 50 ans, ce qui est faux. Le père est un véreux, le chef du service réa est un véreux, les infirmières passent pour des branleuses quand elles regardent la télé la nuit, le seul qui est bien, tout le temps, c’est le médecin étranger. Je ne voudrais pas que le public, qui veut voir l’envers du décor, prenne «Hippocrate» pour un documentaire. Sur le plan déontologique, le film me pose un vrai problème, ce n’est pas le réel. L’hôpital de 2014 ce n’est pas ça. » Vraiment ?
Appel à l’Ordre
Rien à garder ? Tout à jeter ? « La salle de garde est vue de façon réaliste, on pratique beaucoup ce genre d’humour à l’hôpital. Mais moi je n’ai pas rigolé pendant le film, je suis plus ressorti avec un sentiment de colère. » Humour ?
Résumons : « mise à mal de la probité médicale », abcès au plan déontologique, mitage de la relation « médecin-malade », altération de l’image du corps médical … On en connaît qui attaquent pour moins que cela devant la juridiction ordinale. Qu’attend donc notre confrère Kierzek, expert auprès des tribunaux ? Un peu de logique ! Vite, qu’il traduise « Hippocrate » devant la juridiction des gardiens du temple et du serment qui porte son nom….
A demain
(1) Pour notre part nous avons dit ici (et sur Slate.fr) tout le bien que nous pensons de cette tranche de vie médicale et hospitalière.
Une réflexion sur “« Hippocrate » (le film) : la brutale allergie déontologique du Dr Kierzek”