L’impossible ivresse des aiguilleurs du rail ou comment ne pas boire sur son lieu de travail

Bonjour

Jours tranquilles à Paris Saint-Lazare. Communiqué SNCF : « En raison d’un mouvement social le mercredi 24 septembre 2014, des perturbations sont à prévoir sur le réseau de Paris St Lazare. Sud Rail, l’UNSA et la CGT organisent une grève suite à une procédure disciplinaire envers deux agents. Vous trouverez, ci-dessous, les prévisions de trafic (…)»

Vigilance

L’affaire avait commencé mi-juin avec la diffusion, sur le site du Point d’une vidéo peu banale. Deux minutes évocatrices d’une alcoolémie de groupe. Une vidéo filmée, nous assurait-on, dans l’un des postes d’aiguillage de Paris-Ouest, parmi les plus importants d’Ile-de-France. Les employés de la SNCF qui y sont affectés y gèrent une centaine d’itinéraires qui rayonne jusqu’à Rouen (Seine-Maritime). Comment leur collègues du ciel les aiguilleurs doivent y être vigilant en permanence.

Une vidéo filmée en février par un agent SNCF qui se défend d’être un délateur. Mais un professionnel qui avait eu peur, après l’accident de Brétigny-sur-Orge (sept morts, trente blessés), d’être un jour accusé de ne pas avoir tout fait pour prévenir un accident ferroviaire.  « Il s’était d’abord tourné vers sa hiérarchie pour témoigner de la série de dysfonctionnements dont il était témoin : l’introduction d’alcool – comme on le voit sur la vidéo – n’est pas le moindre, rapporte Le Point (Aziz Zemouri) Une série de négligences qui pourraient être fatales, surtout aux heures de pointe. Mais ses supérieurs sont restés dubitatifs. »

 Antilles

D’où ces images d’une salle de travail, d’une association exotique mal maîtrisée de rhum de piments et de citrons des Antilles. Un ponch déguisé en eau minérale. Alcoolémies montantes. Ivresses contagieuses. Inhibitions levées. Fuites des capacités d’attention.  « Dans la séquence, un aiguilleur manque de faire rater un embranchement à un train alors que celui qui l’a précédé est toujours à quai, décrypte Le Point. « Rien de grave », commente le fautif, reprenant une gorgée de punch pour se rassurer. »

Le Point : « Finalement, le vidéaste-lanceur d’alerte a été licencié par la SNCF après un examen au grade supérieur raté ! Un prétexte ? Il est vrai que ses supérieurs directs mais également la direction des infrastructures ont pu être agacés qu’il tire trop souvent le signal d’alarme. Contactée par Le Point.fr, la SNCF affirme condamner la présence d’alcool sur un lieu de travail si ces faits sont avérés. »

Sursis

La suite sera racontée par Le Parisien « Après une enquête interne, huit agents ont été sanctionnés. ‘’Ils ont été reçus à plusieurs reprises, explique-t-on à la direction générale de Paris-Saint-Lazare. Deux d’entre eux, qui avaient consommé de l’alcool, ont été mis à pied deux jours et quatre sanctionnés par une mise à pied d’un jour avec sursis (sic) pour ne pas avoir alerté leur hiérarchie. Le conseil de discipline se prononcera demain sur les cas d’un cadre opérationnel et d’un agent de maîtrise.’’

Des sanctions que la CGT du secteur Saint-Lazare juge disproportionnées. Sollicité, le syndicat renvoie sur un communiqué publié sur Internet dans lequel il dénonce la ‘’répression patronale ‘’ et critique vertement « la posture dogmatique de la direction dictée par Pepy [ PDG de la SNCF ]. Le communiqué rappelle aussi que la vidéo tremblotante, qualifiée de ‘’bidonnée’’, a été tournée par un agent qui a ensuite été congédié par la SNCF et donne sa version des faits.

Soirée crêpes

En fait de beuverie, tout aurait commencé par une soirée crêpes. ‘’Et, pour la pâte, ils ont emmené du rhum, breuvage qui, une fois passé à la poêle, aura perdu sa capacité enivrante’’, raconte le syndicat. Là-dessus, un agent aurait voulu préparer un cocktail avec du piment. Une boisson tellement épicée ‘’que personne n’a fini son verre’’. Preuve, selon la CGT, que les agents n’étaient pas ivres, ils auraient ‘’parfaitement géré’’, trente minutes après que les images eurent été filmées, une situation dangereuse où des voyageurs se sont retrouvés sur les voies. « Mais la direction refuse d’en tenir compte », regrette le syndicat qui évoque ‘’un sentiment d’injustice et d’irrationalité’’.

Pour sa part la direction régionale de Paris-Saint-Lazare,  ne souhaite pas entrer dans les détails d’une procédure confidentielle. ‘’ On prend cette affaire très au sérieux, souligne un de ses responsables. L’alcool est prohibé sur tous les lieux de travail et a fortiori dans un poste de sécurité. Mais il faut rappeler que ce cas est marginal. Les agents SNCF ont la sécurité toujours présente à l’esprit.’’ »

Escarbilles

On connaît la suite : la procédure a disciplinaire a conduit à la grève. Solidarité cheminote, comme on bon vieux temps des escarbilles. On sait aussi que la problématique alcoolique est une vieille et méchante histoire au sein de la Société Nationale des Chemins de fers Français. Un phénomène que tente, Gamma G-T aidant, de soigner et prévenir la médecine du rail

Boire sur le lieu de travail ? Cela ne concerne pas, fantasme ou pas, que les aiguilleurs du rail. C’est interdit pour tous. Il existe même depuis peu une nouvelle réglementation spécifique (« Pouvoir s’enivrer au bureau ? C’était trop beau : ce sera 3750 euros ») Précision : l’employeur est passible d’une amende de 3 750 euros s’il laisser entrer ou séjourner un salarié en état d’ivresse. Il encourt, en cas de récidive, une peine d’emprisonnement d’un an et d’une amende de 9 000 euros — et autant de fois qu’il y a de salariés concernés par l’infraction.

 Atmosphère détendue

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la maladie alcoolique  ne peut constituer un motif de licenciement. Certains syndicats pourraient soutenir que les conditions de travail pourraient même être parfois considérées comme une circonstance favorisant l’apparition et le développement de la maladie alcoolique. Et que les « pots » sont des instants de convivialité visant à « détendre l’atmosphère ».

L’affaire est de taille. L’Institut de Recherches Scientifiques sur les Boissons (IREB) vient de nous donner les derniers chiffres disponibles sur ce sujet. « Très peu de Français (7 %) consomment habituellement de l’alcool pendant le  déjeuner les jours où ils travaillent, nous dit cet Institut. En revanche, un quart des actifs déclare qu’il lui arrive de consommer, hors repas, des boissons alcoolisées sur le lieu de travail. La pratique des pots (avec ou sans alcool) avec les collègues est largement répandue : près de 75 % des actifs sont concernés et participent à 3 pots par an en moyenne. »

Bacardi & C°

Douter des chiffres de l’IREB ? Il n’y a aucune raison : les travaux de cette institution sont financés par les grands alcooliers. A commencer par mes Brasseries Kronenbourg, Heineken France, Pernod, Rémy Cointreau et Ricard. Sans oublier Bacardi Martini France. « Bacardi, le rhum inspirateur de coktails depuis 1862 ».

1862 ? Tout simplement soixante-cinq ans avant la naissance de la SNCF.

A demain

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