Ebola : Marisol Touraine ne devrait plus communiquer sur le sujet. Voici pourquoi

Bonjour

Patrick Zylberman n’est pas journaliste mais universitaire. C’est dire s’il peut parler librement. Historien, il est notamment titulaire de la chaire d’histoire de la santé à l’École des hautes études en santé publique (Ehesp). Spécialiste de l’histoire des épidémies (1) il est aujourd’hui de plus en plus fréquemment sollicité par les médias du fait de la progression de l’épidémie africaine d’Ebola. Il s’exprimait notamment longuement dans la dernière livraison du Journal du Dimanche (propos recueillis par Juliette Demey) : « Ebola, une leçon tragique ». 

Rien de plus politique

A cette occasion cet universitaire y démontre qu’un historien spécialiste des épidémies peut être amené à tenir des propos éminemment politiques. Rien de plus politique que les phénomènes épidémiques, la lutte contre la contagion, la peur de l’autre.

Depuis trente ans (et celle du VIH) les épidémies se sont installées dans le paysage planétaire et médiatique. A sa manière le sida a redonné une nouvelle actualité aux deux grands fléaux séculaires que sont, après la peste, la tuberculose et le paludisme. Un virus, une bactérie, un parasite. En trois décennies sont apparus d’autres virus, aéroportés : des déclinaisons des grippaux saisonniers (H5N1 et H1N1), des nouveaux (Sras, Mers), des envahissants usant des moustiques piqueurs (chikungunya), d’autres encore. Et un agent pathogène transmissible non conventionnel (le protéine prion pathologique de la maladie de la « vache folle »).

Aveuglement

Qu’avons-nous appris de toutes ces confrontations médiatisées ? La gestion politique actuelle de la crise due au virus Ebola bénéficie-t-elle des expériences passées ? Que nous dit l’historien des épidémies ?

« Non, la gestion actuelle d’Ebola ne bénéficie pas  de nos expériences passées.  Cette épidémie nous donne une leçon tragique. Depuis deux ou trois ans, on clame qu’on est prêts, qu’on organise des exercices et des protocoles  pour habituer les médecins, les administrations en cas de crise. Nous sommes si satisfaits de nous-mêmes, y compris l’OMS, que lorsque la crise est là, on ne la voit pas! En dehors de MSF, personne ne s’en est alerté jusqu’en juin. Dès fin février des cas sont diagnostiqués en Guinée, mais il faut attendre le 8 août pour que l’OMS ne décrète l’état d’urgence sanitaire mondiale. Soit deux jours après que la présidente du Liberia ait fait part de sa crainte que son pays ne soit purement rayé de la carte à cause de l’épidémie. »

Gravités

Pour Patrick Zylberman l’épidémie d’Ebola qui progresse dans trois pays d’Afrique de l’Ouest est moins grave en termes de nombre de morts que celles de tuberculose ou de paludisme. Elle est en revanche désastreuse par sa focalisation même :

« Sa gravité peut se mesurer au risque stratégique, avec le Liberia au bord de l’implosion. Au risque économique si en Afrique de l’Ouest la croissance est stoppée. Au risque politique avec le spectre des guerres civiles. Enfin au risque médiatique avec l’aggravation du fossé entre dirigeants, experts et populations. Si on peut la comparer à la peste, Ebola est aussi totalement moderne car globale. Dans les épidémies anciennes, l’agent infectieux pouvait circuler de Chine jusqu’en Grande-Bretagne mais cela restait un phénomène local. »

Indécisions

Le regard de l’historien des temps longs peut recouper celui du journaliste, historien de l’instant. Ils se complèteront quand il s’agira de revenir, en amont des procès, sur la question des responsabilités. De ce point de vue Ebola n’est pas, déjà, sans faire songer à quelques lambeaux de l’histoire fragmentée du sida.

« Pour Ebola, la préparation n’a pas suffi car la décision ne suit pas. Ni les gouvernements occidentaux ni l’OMS, étranglée financièrement, n’ont réagi quand il le fallait. Ils portent une partie de la responsabilité des cas d’Ebola en Afrique de l’Ouest. Ils se basaient sur des modèles et s’attendaient à une épidémie circonscrite, « forestière », à l’image des flambées d’Ebola depuis 1976. Le recours à la fiction a donc pu engendrer ce retard à l’allumage. Quand seul le « scénario du pire » déclenche l’action réelle des pouvoirs publics, cela devient néfaste. Voire tragique. »

Mal viral

De fait il y a quelque chose de proprement tragique à observer que la mise en scène d’Ebola a précédé l’incarnation en vraie grandeur du mal viral. Le spectacle n’a pas enjolivé la réalité terrible. Il a précédé la terrible réalité. Rien n’interdit, aujourd’hui, de revoir dans son canapé Alerte, de Wolfgang Petersen (1995- Dustin Hoffman en scaphandre et un général Folamour à faire rire) ou de lire, au même endroit ou pas,  The Hot Zone, de Richard Preston.

Nullités

L’historien se fait critique politique sur la communication publique autour des crises sanitaires.

« En France, nous sommes nuls en la matière. Cette communication ne devrait pas être prise en charge par le ministre de la Santé mais par ceux qui assurent l’aspect opérationnel, les médecins » dit-il au Journal du Dimanche.

«Oui, je suis persuadé que la communication sur Ebola telle qu’elle est faite par Marisol Touraine, ministre de la Santé n’est pas à la hauteur du sujet, nous a-t-il déclaré. Par certains aspects c’est une catastrophe. Nous ne sommes plus dans le schéma qui avait été élaboré avec la création d’agences sanitaires indépendantes et  l’expression d’un discours d’experts scientifiques. Ces agences sont redevenues sous la coupe du ministère de la Santé. Cette situation est malsaine.»

Il poursuit: « La décomposition du système politique induit à la fois une déligitimation des dirigeants politiques et des experts scientifiques. On ne croit plus en leur honnêteté ou leur efficacité. De ce point de vue les choses sont plus claires aux Etats-Unis avec la séparation nette entre le discours du président et celui du directeur des Centers for Diseases Control and Prevention (CDC). Or tout se passe, en France, comme si nous n’avions pas de CDC alors même que nous avons un Institut national de Veille Sanitaire (InVS). »

Mais force est de constater que l’InVS est aujourd’hui inaudible, de même que la « task force interministérielle » créée contre Ebola où le « coordonateur » chargé, entre mille et une autres missions, de mettre beaucoup d’énergie et de rationnel dans le soutien concret que la France devrait apporter au combat sur le sol guinéen.

Le Journal du Dimanche interroge l’historien sur la dernière expérience de bouffées épidémiques observée  en France, en dehors du VIH.

« La variole, en 1955 à Vannes (Morbihan). La préfecture a décrété la vaccination obligatoire de plusieurs cantons. En six jours, 70.000 personnes ont été vaccinées! Dans ce monde de 1955, on obtempère à la parole du médecin. Une épidémie de variole s’abat alors tous les deux ou trois ans en France, on a cette expérience, on a vu des gens en mourir. Puis, grâce aux vaccins, les épidémies ont disparu du monde développé. Dans les années 1970, on a déjà oublié. On s’intéresse alors aux effets secondaires des vaccins. Et on s’en méfie. »

On verra, dans quelque temps, ce qu’il en sera des vaccins anti-Ebola.

A demain

1. Zylberman P. Tempêtes microbiennes. Essai sur la politique de sécurité sanitaire dans le monde transatlantique. Paris : Editions Gallimard, Collection NRF Essais, 2013.

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