Bonjour
Comment s’y retrouver sans jamais hiérarchiser ? Une publication suit l’autre… et une autre… et une autre encore … sans jamais recontextualiser. Tout dans l’analytique et peu dans la synthèse. Le règne du parcellaire, le triomphe du confetti.
Dans d’autres espaces ce serait parler de Musigny ou du Clos des Corvées (monopole) en faisant une croix sur Chambolle, sur la Côte-de-Nuits, sur la Bourgogne, sur la Lotharingie et sur l’empire du pinot noir. Comment, dès lors, ne pas se perdre dans les obscurités des temps et des caveaux ?
Exercice
31/10/14. Exercice concret. Il est tiré d’un communiqué du service de presse de l’Inserm. Il nous apprend qu’une équipe de chercheurs de cet Institut « vient d’effectuer une avancée significative dans le domaine du diagnostic précoce des cancers invasifs ». Un travail qui, à l’instant même où ce texte est bouclé, paraît dans la revue Plos One (1). Travail dirigé par Marius Ilie et Paul Hofman.
Cette équipe montre « qu’il est possible de détecter, chez des patients à risque de développer un cancer du poumon, des signes précoces ». Signes précoces « sous forme de cellules cancéreuses circulantes ». Et ce « plusieurs mois et dans certains cas plusieurs années avant que le cancer ne devienne détectable par scanner ». Cette alerte « pourrait jouer un rôle clé dans la précocité de l’intervention chirurgicale, permettant ainsi de viser l’éradication précoce de la localisation primitive du cancer ». Un vrai, grand et beau sujet de santé publique compte tenu de l’extrême fréquence du cancer pulmonaire et des multiples obstacles que rencontre son dépistage par voie radiographique et scannographique, hélicoïdale ou pas.
Via le sang
On nous rappelle le contexte : des études menées chez l’animal ont clairement montré que les tumeurs invasives diffusent dans le sang des cellules cancéreuses. Et ce « depuis les toutes premières étapes de leur formation », « avant même que les tumeurs ne soient détectables par un examen d’imagerie ». On rappelle aussi à la presse que la possibilité d’identifier ces cellules-sentinelles est considérée comme un atout majeur dans « la course contre la montre » visant à détecter, et donc à traiter, précocement « le cancer ».
Précision : « les cellules cancéreuses circulantes sont extrêmement rares dans le sang, très hétérogènes et fragiles, et difficiles à extraire sans biais ni perte ».
Avant le nodule
Les auteurs ont ici utilisé un test sanguin « issu de la recherche française » qui isole du sang « tous les types de cellules tumorales, sans perte et en les laissant intactes ». Mais encore ? Concrètement ? L’équipe a étudié un groupe de 245 personnes « sans cancer ». Et parmi elles 168 patients à risque de développer ultérieurement un cancer du poumon : des personnes souffrant de ce handicap majeur qu’est la Bronchopathie Chronique Obstructive (BPCO).
Les participants ont systématiquement subi le test sanguin et les examens classiques d’imagerie. Via le test sanguin, des cellules cancéreuses circulantes ont été identifiées chez cinq personnes (3%), alors que l’imagerie ne révélait, chez eux, aucun nodule pulmonaire.
Attente
Puis les chercheurs ont attendu. Et, chez ces cinq personnes, un nodule est devenu détectable entre un et quatre ans après la détection des cellules cancéreuses circulantes par le test sanguins. Ces malades ont été immédiatement opérées et l’analyse effectuée sur le nodule a confirmé le diagnostic de cancer du poumon. Mais encore ? Le suivi d’un an minimum après chirurgie n’a montré aucun signe de récidive laissant espérer que le cancer pulmonaire avait, dans les cinq cas, été éradiqué.
Aucun nodule n’a d’autre part été détecté chez les volontaires sans cellules cancéreuses circulantes et aucune cellule cancéreuse n’a été détectée dans le sang des sujets « contrôle » sans BPCO.
Eradiquer
Pour l’Inserm il ne fait aucun doute que la détection de ces cellules circulantes via ce test sanguin pourrait jouer un rôle clé dans la précocité de l’intervention chirurgicale, permettant ainsi de viser l’éradication précoce de la localisation primitive du cancer.
L’Inserm termine ainsi son adresse à la presse – sans évoquer la dimension commerciale du sujet (2) :
« Le cancer du poumon est parmi les plus meurtriers. Selon l’American Cancer Society (ACS), la survie de ces patients à un an est de 44% et à 5 ans elle est de seulement 16%. Seulement 15% de ces cancers sont actuellement diagnostiqués à un stade de maladie localisée. Sa détection précoce pourrait à la fois améliorer la survie des patients et permettre des économies de santé. La BPCO est la 3ème cause de décès aux US et sa cause principale est le tabagisme [plus de 80% des cas].»
Tabagisme.
C’est là une précision à la fois ultime et utile. On pourrait même, à cette occasion, rappeler que sans le tabac (et tout ce qui pousse ses esclaves à continuer à le consommer) ce dépistage sanguin ultra-précoce perdrait, non pas tout, mais beaucoup de son utilité. Il est vrai que l’on peut aussi voir dans le tabagisme comme une forme de fatalité fiscalisée. Contextualiser, hiérarchiser, pour ne pas se perdre en chemin.
A demain
Marius Ilie, Véronique Hofman, Elodie Long-Mira, Eric Selva, Jean-Michel Vignaud, Bernard Padovani, Jérôme Mouroux, Charles-Hugo Marquette, and Paul Hofman
(2) Ce travail a été mené à partir du test ISET (« Isolation by Size of Tumor Cells ») de Rarecells Diagnostic fondée par Patrizia Paterlini-Bréchot, professeur de biologie moléculaire et cellulaire à l’université Paris-Descartes. Cette dernière donne un long entretien au Point (Sophie Pujas) qui annonce que ce test « sera commercialisé en France en novembre à destination des patients malades du cancer ».
Extraits :
« Ce qui a été démontré, c’est la possibilité de faire un diagnostic avant que le cancer ne soit diagnosticable par imagerie, sur simple prise de sang ! On sait très bien qu’un diagnostic précoce donne une chance beaucoup plus importante de sauver le patient. Nous avons l’exemple du frottis, le « pap-test », qui permet un diagnostic précoce. On sait maintenant qu’il permet de prédire 90 % des cancers du col de l’utérus. C’est le test, en médecine, qui a sauvé le plus de vie ! Le test ISET qui a été mis au point est une sorte de pap-test du sang. C’est un vrai espoir de modifier l’espérance de vie des patients atteints de cancer. (…)
Sensibilité
Notre test possède cette sensibilité confirmée par d’autres chercheurs, et validée comme reproductible. Il a la capacité de détecter une cellule tumorale dans dix millilitres de sang, c’est-à-dire mélangée en moyenne à cent millions de globules blancs et cinquante milliards de globules rouges. Pourquoi s’est-on acharné à faire un test aussi sensible ? Parce que plus il est sensible, plus on peut arriver précocement dans le cours de la maladie. (…)
Nous travaillons sur le sujet depuis vingt ans. Notre premier article date de 1997, deux ans après que nous ayons commencé (…) Nous avons fondé Rarecells en 2009 pour avoir la possibilité de le commercialiser et de le faire étudier par d’autres. Il existe aujourd’hui plus de trente-cinq publications scientifiques de haut niveau utilisant le test ISET. C’est l’équipe du professeur Hofman qui a réussi le défi. Ils ont réalisé cette étude. Ils sont devenus les spécialistes mondiaux de la cytopathologie pour détection des cancers solides sur le sang.
Trisomie 21
(…) le test arrive à isoler du sang des femmes enceintes des cellules trophoblastiques. Notre équipe, qui travaille aussi dans ce domaine, a réalisé une validation clinique et a publié plusieurs articles. La détection de la trisomie 21 par ce système est actuellement à l’étude. L’avantage de la technique, c’est la possibilité d’isoler du sang des cellules foetales, où se trouve l’ADN foetal pur, donc non mélangé à l’ADN maternel. Par rapport aux méthodes sur l’ADN plasmatique, notre méthode peut potentiellement faire le diagnostic de toute maladie génétique, alors que l’ADN plasmatique ne permet de détecter que la trisomie et d’autres aneuploïdies.
(…) [La commercialisation] se fera au rythme des aspects réglementaires et des validations scientifiques. Le test devrait être commercialisé avant la fin de l’année pour tous les patients avec un cancer déjà diagnostiqué. Car il permet de détecter précocement l’invasion tumorale, mais aussi de suivre les patients traités pour savoir plus rapidement quel traitement est efficace ou pas. Si le traitement est efficace, les cellules tumorales disparaissent du sang. Les patients opérés sont suivis actuellement par des méthodes d’imagerie. Mais quand les métastases apparaissent, c’est déjà souvent trop tard.
Biopsie liquide
Concernant l’application du test ISET en diagnostic précoce des cancers, donc chez des sujets apparemment sans cancer, nous voulons développer des tests plus complets permettant de déterminer l’origine du cancer par analyse des cellules tumorales circulantes. Ces nouveaux tests pourront également déterminer si ces cellules tumorales circulantes portent des mutations qui aident à choisir les nouveaux traitements ciblés sur simple prise de sang, sans besoin de biopsie, application appelée « biopsie liquide ». »
(…) C’est l’aboutissement de mon rêve le plus précieux ! Je considère avoir eu la chance d’arriver dans le domaine des CTC (Circulating Tumor Cells, les cellules tumorales circulantes, NDLR), de travailler en France entourée de groupes excellents. Au départ, je suis clinicienne oncologue. J’ai été très marquée par les patients que je n’ai pas pu sauver. C’était un but de vie, et voir que ce but commence à trouver sa voie, c’est extraordinaire ! Il reste à suivre cette voie, à la développer et à l’exploiter, mais toujours avec la rigueur scientifique et le souci du patient. On sait que le marché des CTC est énorme, il ne faut pas perdre de vue le but principal qui est de sauver des vies. Et cela sera strictement lié à la qualité scientifique des tests qui sont développés. »
Ben, oui, on va comme même pas permettre aux fumeurs d’arrêter de fumer avec le vaporisateur personnel de nicotine avant qu’on ait fait le test à prix d’or ! Ça serait jeter l’argent par les fenêtres !
Bonjour
Je sais cela n’a rien avec votre blog mais trop souvent on ne déclare pas aux gens le bien que l’on pense d’eux et c’est dommage. Aussi, je souhaitais vous dire avec un petit peu de retard certes mais combien j’avais aimé – plus que cela encore puisque ce papier a certainement participé à m’amener au métier que j’exerce aujourd’hui- votre article dans Le Monde sur le match France Irlande en 1986 et l’essai de Sella au terme de 23 passes. Bien à vous. Jean Christophe Collin