Bonjour
Double cauchemar, comme on dit double peine. C’est l’histoire d’un malade schizophrène. Echappé d’un hôpital psychiatrique, dans l’Isère, il avait tué un étudiant. C’était en 2008. Les magistrats de la cour d’appel de Grenoble poursuivent aujourd’hui le médecin (et l’établissement) pour homicide involontaire. « Une décision rare » dit l’Agence France Presse. (1)
Les faits
Le 12 novembre 2008, Jean-Pierre Guillaud, déjà auteur de plusieurs agressions à l’arme blanche, avait mortellement poignardé Luc Meunier, 26 ans, à Grenoble après s’être échappé de l’hôpital de Saint-Egrève. M. Guillaud avait été déclaré pénalement irresponsable de cet acte, en septembre 2011, et hospitalisé en unité pour malades difficiles.
Une information judiciaire avait cependant été ouverte. Son objet : déterminer les éventuelles responsabilités des médecins – et ce à la suite d’une plainte contre X de la famille Meunier. Le 9 avril 2013, le juge d’instruction avait rendu une ordonnance de non-lieu. La famille Meunier avait fait appel et obtenu gain de cause, en novembre 2013, devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel, qui avait ordonné la mise en examen de l’hôpital et de trois médecins.
Correctionnelle
Dans un arrêt rendu mercredi 19 novembre (à huis clos), la cour a décidé de renvoyer en correctionnelle un seul médecin, le Dr Lekhraj Gujadhur, responsable du pavillon où était hospitalisé Jean-Pierre Guillaud, ainsi que l’hôpital. La responsabilité des deux autres médecins mis en examen (un médecin superviseur et un autre qui remplaçait le Dr Gujadhur en son absence), a été écartée.
« C’est un soulagement » s’est aussitôt réjoui Me Hervé Gerbi, avocat de la famille de l’étudiant. Cette famille a selon lui « eu raison de s’accrocher et de croire en la justice ». « On ne comprend pas pourquoi un seul médecin serait poursuivi et pas les deux autres », a pour sa part déclaré Me Jean-Yves Balestas, avocat du Dr Gujadhur. Il assure que le diagnostic était partagé par l’ensemble de l’équipe médicale.
Apprécier la dangerosité
Comment comprendre ? Dans son arrêt de novembre 2013, la cour d’appel avait pointé « un défaut d’appréciation de la dangerosité » de Jean-Pierre Guillaud, auteur de plusieurs agressions, dont certaines au couteau. Citant de « multiples alertes » comme « l’épisode délirant » de juillet 2008 ( M. Guillaud disait entendre des voix lui commandant « de trancher la gorge d’un autre patient ») la cour avait estimé que ses médecins auraient dû « mieux encadrer ses permissions de sortie ».
« Malgré ses fugues passées, des épisodes hallucinatoires et des pulsions morbides, Jean-Pierre Guillaud avait en effet été autorisé à sortir sans accompagnement dans le parc non surveillé et non clôturé de l’hôpital, rappelle l’Agence France Presse. C’est lors d’une de ces sorties, après avoir retiré de l’argent à la trésorerie de l’hôpital, que M. Guillaud avait franchi la porte de l’établissement, sans difficulté. Il s’était rendu en car à Grenoble, avait acheté un couteau dans une quincaillerie et tué Luc Meunier en sortant de la boutique. »
Les clôtures de Saint-Egrève
La justice reproche par ailleurs à l’hôpital de ne pas avoir réévalué « un dispositif de sécurité (…) manifestement défectueux ». Depuis les faits, des clôtures ont été érigées autour des pavillons de l’hôpital. Il est utile de donner des « éléments de contexte ». Cet hôpital a été créé en 1812. Situé à l’origine dans la campagne environnante de Grenoble il « a été rejoint par l’urbanisation de l’agglomération ». Le centre hospitalier dessert une partie de l’agglomération grenobloise, le voironnais, ainsi qu’une partie du Sud de l’Isère. Il comprend un site d’hospitalisation à Saint-Egrève et des structures de soins insérées dans la communauté. Il assure le service public de santé mentale pour une population de 650 000 habitants (adultes et enfants). Son personnel est composé d’une centaine de médecins et d’environ 1500 agents.
Chaque année, près de vingt-mille personnes bénéficient de soins et prestations dispensés par ces professionnels. Désormais il dispose de clôtures. Sont-elles assez hautes ? Rassurent-elles les juges de Grenoble ?
A demain
(1) Une mémoire récente conserve les traces de l’affaire Danièle Caranelli , du nom d’une psychiatre également poursuivie, à Marseille, pour homicide involontaire. Cette psychiatre avait été condamnée fin 2012 à un an de prison avec sursis, avant que la cour d’appel d’Aix-en-Provence ne mette fin aux poursuites, en mars 2014, en invoquant la prescription des faits.