Bonjour
30/11/2014. A ce jour près de 7 000 personnes sont mortes d’Ebola en Afrique de l’Ouest. C’est ce que nous dit l’OMS. Elle nous dit aussi, depuis Genève, qu’elle a décompté « plus de 1 200 morts supplémentaires » ces trois derniers jours. « Plus de 1200 morts » sur un « total de 6928 ». Si la chose est vraie l’OMS devrait s’affoler. C’est trop lui demander. Demain 1er décembre 2014 l’OMS demandera à la terre entière de penser à l’épidémie de sida, elle qui ne la voyait toujours pas venir il y a trente ans.
Sans commentaire
Plus de 1200 morts en trois jours. Les médias reproduisent les chiffres sans commentaire. C’est proprement incompréhensible comme en témoigne le laconisme de la BBC. Ou celui de The Guardian qui poursuit sa remarquable couverture du sujet Ebola. Idem pour CBC News. Ou encore The Daily Mail. Sans oublier Associated Press
Vielle dame l’OMS sent bien que quelque chose ne va pas dans ses comptes. Le précédent bilan publié le 26 novembre faisait état de 5 674 morts. Selon Tarik Jasarevic, l’un des porte-parole le « bond du chiffre des morts » semble être dû à « une mise à jour des données passées » et non pas à une hausse spectaculaire des décès ces jours derniers. Où l’on retrouve ce vieil abcès onusien, cette incapacité à décrire la réalité épidémiologique en temps presque réel.
Sous-estimés
« L’organisation avait indiqué à plusieurs reprises que les chiffres publiés de morts étaient peut-être sous-estimés étant donné les difficultés rencontrées dans la collecte de données globales, nous rappelle l’Agence France Presse. De plus, le taux de mortalité pour les malades atteints du virus se situerait actuellement aux environs de 70 %. L’épidémie la plus mortelle depuis l’apparition du virus de la fièvre hémorragique Ebola a frappé le plus durement le Liberia, même si les observateurs indiquent que la progression du virus semble s’être considérablement ralentie ces dernières semaines. »
« Quoi qu’il en soit », le Liberia décompte, sur les tables onusiennes 4 181 morts sur 7 244 cas enregistrés. Hier encore ce pays « ne comptait que 3 016 morts sur 7 168 cas ». En Sierra Leone l’épidémie progresserait toujours dans de nombreuses régions t. Actuellement 1 461 morts sur 6 802 cas, contre 1 398 morts sur 6 599 cas au 26 novembre. On se souvient que c’est en Guinée (pays francophone) que l’épidémie a émergé (il y aura bientôt près d’un an) 1 284 cas mortels ont été enregistrés sur 2 123 cas signalés (contre 1 260 cas mortels et 2 134 cas signalés deux jours plus tôt). L’OMS n’a pas fourni, dans son nouveau bilan, une mise à jour des chiffres pour les autres pays touchés. A commencer par le Mali, nouvelle source d’inquiétude épidémique. (1)
Soignants plus ou moins sauvés
Les soignants figurent parmi les personnes les plus menacées : 340 morts sur 592 cas recensés en Afrique de l’Ouest. La quasi-totalité des soignants contaminés ayant pu être rapatriés aux Etats-Unis ou en Europe ont pu être sauvés. On ne s’est encore guère penché sur cette réalité qui pose quelques questions de thérapeutique comparée et, incidemment, d’éthique. Après plusieurs semaines d’atermoiements le secteur du rapatriement sanitaire spécialisé commence à se structurer. Le gouvernement allemand annonce la mise à disposition prochaine d’un Airbus dédié comme l’indique cette récente dépêche AP :
“ The German government has unveiled what it says is the world’s first dedicated medevac plane for Ebola patients. The Airbus A340-300 has been equipped with an isolation unit, two airlocks, an air filtration system and a separate cabin where doctors can decontaminate their protective suits. The 14-year-old aircraft was refitted in cooperation with German airline Lufthansa and the country’s Robert Koch Institute for infectious diseases. Health Minister Hermann Groehe said Thursday the plane should reassure German volunteers helping fight the Ebola outbreak in West Africa that « if they get infected we will do everything humanly possible to bring them quickly to the best possible medical care. » The plane can only transport one patient at a time. Germany has said other nations will be able to use the plane, too.”
Monopole attaqué
La société française Medic’Air International (qui vient d’assurer en un temps record le rapatriement d’une soignante de MSF depuis Bamako jusqu’à Madrid) finalise des accords avec la cellule de crise de l’Union européenne. Celle société sera également en première ligne pour assurer les éventuels rapatriements à partir du nouveau centre de traitement de Macenta, en Guinée forestière. La Suisse et le Danemark annoncent leur intérêt pour le sujet. Autant d’éléments qui devraient rééquilibrer ce marché naissant où, jusqu’à présent la société américaine Phoenix Air occupait une position étrangement monopolistique, y compris pour les transports d’Afrique vers le Vieux Continent. A des tarifs témoignant de l’absence de réelle concurrence.
Francophonie inaudible
C’est dans ce contexte que se tient le sommet de l’Organisation de la Francophonie à Dakar (Sénégal). Une Francophonie (77 pays membres) comme aux abonnées absentes pour ce qui est de la lutte contre Ebola.
« Jusqu’ici, l’Organisation de la Francophonie n’a pas été très entendue sur cette crise sanitaire et humanitaire qui affecte la deuxième région où la langue française est la plus parlée dans le monde », déplorent une vingtaine d’artistes d’Afrique de l’Ouest dans une lettre adressée cette semaine aux dirigeants francophones et citée par l’AFP. Parmi les signataires, les chanteurs maliens Amadou et Mariam, sénégalais Ismaël Lô, le rappeur burkinabé Smockey, le musicien camerounais Richard Bona, ou le cinéaste sénégalais Alain Gomis.
« N’oubliez pas qu’au-delà des mots, seules des mesures concrètes soutenues par une volonté politique de premier ordre permettront de stopper la progression de l’épidémie et d’alléger les souffrances de nos compatriotes » écrivent-ils. « Jusqu’à aujourd’hui, la Francophonie a été peu audible sur cette crise » souligne Eric Hazard, directeur régional de Save The Children. De retour d’une tournée dans les trois pays les plus touchés fin octobre, l’ambassadrice américaine à l’ONU Samantha Power a estimé que la France, la Belgique et le Canada pouvaient améliorer significativement la coordination contre Ebola en Guinée francophone – à l’image des Etats-Unis au Liberia et de la Grande-Bretagne en Sierra Leone, deux pays anglophones.
Critiques américaines
Mme Power regrette tout particulièrement l’absence d’une structure intégrée de commandement et de contrôle en Guinée. « Je pense que les Français peuvent aider sur ce point, ainsi que les Canadiens et les Belges » a indique l’ambassadrice américaine. A Dakar , François Hollande, président de la République française « a appelé à mettre en place toutes les structures sanitaires, toutes les vigilances indispensables, tous les vaccins pour qu’il n’y ait plus d’Ebola en Afrique, pour qu’il n’y ait plus d’Ebola nulle part au monde ». A Conakry M. Hollande avait souligné la fonction « essentielle » de la langue dans la communication entre soignants et patients.
« Mais les acteurs de la lutte contre Ebola insistent sur l’importance du monde (anglophone ou francophone) pour fournir renforts médicaux et matériel à des pays qui en manquent cruellement, plutôt que sur la dimension linguistique, compte tenu du rôle des parlers locaux pour sensibiliser les populations » peut-on lire dans la dépêche mandée de Dakar – Par Selim SAHEB ETTABA – © 2014 AFP
A demain
(1) « Le Mali est à un moment charnière, vient de déclarer au Quotidien du Médecin le Pr Pr Jean-François Delfraissy, coordonnateur en chef des opérations françaises, de retour de Bamak., Il peut devenir le troisième bon élève, parmi les pays africains, à avoir stoppé l’épidémie d’Ebola dans sa première phase, après le Sénégal et le Nigeria. Mais il y a un gros déficit de capacité de diagnostic. Il est préoccupant de voir que l’Imam [le second cas d’infection par le virus Ebola dans le pays] et un des malades qu’il a contaminé, aujourd’hui tous les deux décédés, n’ont pas été diagnostiqués. »
Le Pr Delfraissy note cependant que le « tracking » des plus de 400 contacts recensés au Mali a été « très bien fait », mais qu’il subsiste un « flou côté guinéen de la frontière où l’Imam a été en contact avec 250 personnes ». Cet exemple illustre le besoin de collaboration de part et d’autre des 700 km de frontière très poreuse qui sépare les deux pays. « La collaboration est possible car il s’agit des mêmes populations parlant la même langue », ajoute le Pr Delfraissy.
Après avoir dramatiquement tardé en Guinée, que fera Paris au Mali ?