Bonjour
L’heure n’est plus aux lamentations : il doit être possible, assez simplement, de réduire les taux actuels de mortalité des malades africains infectés par le virus Ebola. C’est la thèse que développent aujourd’hui dans The Lancet Ian Roberts, (Unité des essais cliniques, London School of Hygiene & Tropical Medicine, Londres) et Anders Perner (Département des soins intensifs, Rigshospitalet, Université of Copenhague).
Fin septembre le Pr Jean-François Delfraissy, directeur de l’Agence nationae française de recherches sur le sida et les hépatites virales avait évoqué cette question (Le Monde daté 21-22 septembre). Une véritable question éthique.
Perfusion et hydratation
« Au-delà des traitements expérimentaux, ce sont surtout les meilleurs systèmes de soins occidentaux qui peuvent permettre de sauver les soignants expatriés et justifier qu’on les rapatrie, déclarait le Pr Delfraissy. Dans les pays d’Afrique de l’Ouest touchés par Ebola, les systèmes sanitaires sont tellement précaires que la moindre opération de réanimation, de pose de perfusion ou d’hydratation des patients – essentielle pour lutter contre le virus – est difficile à mener. »
Il ajoutait: « En France, les mêmes cas d’Ebola, bénéficiant de mesures de réanimation standard, enregistreraient une mortalité très réduite : elle serait de l’ordre de 15 % au lieu de plus de 50 %. Si vous faites un choc septique au fond de la brousse africaine ou à Paris, votre chance de survie n’est pas la même. »
Non à la fatalité
Les Drs Roberts et Perner ne le pensent pas, dont les propos sont repris aujourd’hui par The Guardian. Ils dénoncent, en substance le « nihilisme thérapeutique » qui prévaut (trop souvent selon eux) dans la prise en charge sur le sol africain des personnes contaminées. Reprenant les données physiopathologiques et la bibliographie spécialisées ils soulignent l’importance qu’il faut accorder au traitement standard des perturbations électrolytiques massives causées par les vomissements et les diarrhées. Point n’est besoin d’attendre les hypothétiques progrès des médications expérimentales -et leurs difficultés méthodologiques et éthiques (1)– pour traiter les conséquences de ces symptômes majeurs, comme on le ferait pour le choléra et les perturbations en potassium et en sodium.
Ces deux spécialistes n’ignorent pas les contraintes matérielles imposées aux soignants par les risques très élevés de contamination auxquels ils sont exposés (équipement de protection, chaleur, humidité, pénurie de matériels etc.). Il n’en reste pas moins que cette prise en charge adaptée constitue selon eux une priorité thérapeutique qui n’a pas été assez affichée. Et il en va de même pour le recours aux antalgiques, le traitement de l’agitation et des infections bactériennes secondaires ou du paludisme associé.
Immobilisme de l’OMS
Bref, en finir avec le nihilisme thérapeutique trop souvent rencontré une fois le diagnostic d’Ebola posé. Et ces deux experts de dénoncer une nouvelle fois l’immobilisme de l’OMS quant à l’élaboration d’un code de bonne pratiques médicales assurant notamment une administration parentérale des fluides et des électrolytes. Eux-mêmes font, dans The Lancet, des propositions pratiques en ce sens. Ils plaident aussi pour que des essais pragmatiques soient menés avec pour but affiché une réduction des taux de mortalité.
Il n’y a là aucun obstacle de nature éthique. Bien au contraire. C’est, tout simplement, au-delà même de l’impératif humanitaire, une priorité de santé publique, une autre possibilité offerte de mieux combattre l’épidémie. Démontrer que l’on peut guérir d’Ebola après avoir été pris en charge dans un centre de traitement permettrait de réduire la méfiance des populations concernées vis-à-vis de ces centres trop souvent associés à la mort programmée de ceux qui y entrent.
Neiges de Genève
Incidemment ce serait un message d’espoir pour les soignants de première ligne (comme ceux de MSF) dont tout le monde, à l’arrière, se plait à vanter le courage et qui, absorbés par l’urgence et la masse de travail, ont toutes les raisons du monde de céder, parfois, au nihilisme thérapeutique. Faut-il encore attendre, sur ce point, la réponse du QG de l’OMS, à Genève ? Un QG en verre dont on aperçoit sans doute, en cette saison, les premières neiges.
A demain
(1) On lira sur ce sujet cette « Perspective » du New England Journal of Medicine