GPA : rebondissement de la polémique sur les «petits fantômes de la République » (sic)

Bonjour

On connaît la violence des oppositions sur la pratique des mères porteuses. Notamment au sein de la grande famille socialiste. La violence des déchirures entre Elisabeth Badinter et Sylviane Agacinski. Le droit à l’enfant quoi qu’il en coûte versus un nouvel esclavage de la femme au corps marchandisée.

On assiste depuis peu à l’émergence d’une sous-polémique. Elle ne traite pas du caractère éthique de cette pratique mais de l’acceptation de sa principale conséquence : l’enfant né d’une GPA. GPA pratiquée à l’étranger puisque la pratique est prohibée en France (au nom de l’éthique). GPA ayant donné matière à rémunération suivie d’un retour de l’enfant ainsi conçu et porté.

François Hollande opposé

Le président de la République et le Premier ministre (dans La Croix) ont dit clairement leur opposition radicale, morale, à la GPA et à sa dépénalisation. Dans le même temps la ministre de la Justice a fait en sorte (« circulaire Taubira ») que les enfants ainsi conçus à l’étranger puissent disposer de la nationalité française peu après leur arrivée en France. Une initiative  avalisée de fait par une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (condamnation que la France a étrangement choisi de ne pas contester).

Puis le Conseil d’Etat a, il y a quelques jours, rejeté les demandes d’annulation de la circulaire Taubira. Pourquoi ? « Le refus de reconnaître la nationalité française porterait  une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée de l’enfant, garantie par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). » Qui tient, ici, le trébuchet du disproportionné ? Le Conseil d’Etat ne nous le dit malheureusement pas.

L’appel de Libération

Ces fractures idéologiques, ces incohérences politiques ont laissé le champ libre à une résurgence des combats. Dans son édition du 17 décembre Libération donne largement la parole à un camp, le sien. Où l’on retrouve « 170 personnalités qui « appellent à dépasser le climat de haine et de passions qui sévit depuis deux ans sur ce sujet ». (1)  « Le Conseil d’Etat vient de reconnaître le droit des enfants nés de GPA à la nationalité française, mais la question de la reconnaissance de leur filiation reste entière écrivent-elles. Rassemblés pour la première fois par-delà leurs divergences, les signataires appellent à respecter l’essentiel : l’intérêt supérieur de l’enfant. »

On trouvera ici les noms de ces 170 personnalités et l’exposé de leurs motifs. Extraits : « (…)en France, toute reconnaissance de la filiation [des enfants nés à l’étranger par GPA]a été refusée, au motif de l’interdiction de la GPA sur le territoire national. Ce refus pose d’immenses problèmes dans toutes les démarches administratives (carte d’identité, école, prestations sociales) et si rien n’est fait, cette situation risque d’empirer, par exemple si leurs parents se séparent ou s’ils décèdent. (…) Deux mois après l’entrée en vigueur des décisions de la CEDH et cinq mois après leur publication, la violation des droits fondamentaux des enfants persiste et s’amplifie : ces derniers n’arrivent toujours pas à obtenir la transcription de leur acte de naissance, ni le droit de figurer sur le livret de famille de leurs parents. Selon les associations, 2 000 enfants seraient dans le même cas en France.

Insupportable

Cette situation est insupportable, elle doit cesser (…) Le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant ne doit pas être subordonné aux postures politiciennes ou idéologiques (…) Voulons-nous continuer à faire de ces enfants des «sous-enfants» sans droits ? Voulons-nous accorder aux enfants des droits qui varient selon leur mode de conception ? Voulons-nous les rendre coupables en les distinguant à vie des autres enfants parce qu’ils sont simplement nés autrement ? Cette situation nous replonge immanquablement dans une autre époque : celle des enfants naturels ou des enfants de divorcés. Ces discriminations d’un autre temps doivent cesser et nous demandons au président de la République et au gouvernement de s’engager à faire respecter le droit en ce moment symbolique du 25e anniversaire de la convention de New York relative aux droits de l’enfant. 

Quelles que soient nos opinions envers la GPA, que nous soyons favorables à sa légalisation ou non, nous voulons que ces enfants obtiennent enfin la transcription de leur acte de naissance sur les registres de l’état civil en France et cessent ainsi d’être discriminés et traités en petits fantômes de la République. »

Outrancier

On pourra trouver assez excessive (ou franchement déplacée) l’expression « fantômes de la République ». Face à ces arguments on trouve l’association Juristes pour l’Enfance (une des associations à l’origine des recours contre la circulaire Taubira), analyse la décision du Conseil d’Etat comme une « avancée vers la légalisation de la GPA ». Ses responsables rappellent que les enfants nés par GPA à l’étranger ne sont pas des apatrides. Ils ont bel et bien  la nationalité de leur pays d’origine, et reçoivent  automatiquement la nationalité française après cinq ans de résidence sur le territoire français (article 21-12 1° du code civil).

Ainsi il ne s’agirait pas ici de « promouvoir l’intérêt de l’enfant » comme il est annoncé mais bien d’ « installer » la GPA en France, « sans débat démocratique ». Y compris en usant de la terrible image qu’est celle des « fantômes de la République ».

A demain

(1) On trouve notamment parmi les signataires : Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste ; Corinne Ehrenberg, psychanalyste ; Caroline Eliacheff, pédopsychiatre ; Serge Héfez, psychanalyste ; Elisabeth Roudinesco, psychanalyste ; Serge Tisseron, psychanalyste ; Véronique Fournier, directrice du Centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin ; Daniel Guerrier, endocrinologue ;  Claire Fekete, gynécologue-obstétricienne ; Juliette Guibert, gynécologue ; Bernard Hédon, président du Collège national des gynécologues obstétriciens de France ; Brigitte Letombe, présidente d’honneur de la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale ; Israël Nisand, gynécologue obstétricien et François Olivennes, gynécologue obstétricien.

5 réflexions sur “GPA : rebondissement de la polémique sur les «petits fantômes de la République » (sic)

  1. Voilà un article bien orienté, qui, sous couvert de présenter les choses de façon équilibrée, en donnant la parole à chacun, énonce un point de vue plutôt tranché. Ce qui n’est pas un reproche: j’ai le point de vue inverse, on peut le dire sans louvoyer et avec mesure.
    Je me permets donc quelques précisions, essentiellement juridiques.
    – Qui tient le trébuchet ?
    N’Est-ce pas le rôle d’une Cour de Justice (plus haute de sa juridiction, qui plus est), précisément, de procéder à l’interprétation et la hiérarchisation des normes ? C’est disproportionné parce que la plus haute juridiction administrative en a décidé ainsi (ie: l’intérêt de l’enfant à avoir la nationalité du pays où il habite, nationalité de l’un de ses deux parents, est jugé supérieur dans le cas d’espèce cf. aussi l’avis de la Cour de Cassation qui indiquait que l’enfant ne devait pas être privé d’une branche de sa filiation en raison de sa naissance par GPA à l’étranger)
    – L’Association juristes pour l’enfance…
    Est partenaire de la manif pour tous. Pourquoi ne pas le dire ? Ca les situe. Vous dites que Libé donne la parole à un camp, le sien, c’est factuellement tout à fait exact. Alors autant apporter une utile précision sur ‘d’où’ parle cette association.
    – Les enfants nés par GPA ne sont pas des apatrides
    C’est exact, et c’est la raison pour laquelle ce n’est pas autour de ce principe (la France ne se donne pas le droit de « faire » des apatrides) que les débats ont lieu, mais autour d’autres questions de droit: trouble à l’ordre public des GPA réalisées par des couples français à l’étranger, intérêt de l’enfant, vie privée de l’enfant, droit à une filiation de l’enfant…

    • Merci pour votre commentaire et votre point de vue tranché – démonstration (somme toute assez rare) que l’on peut « dire sans louvoyer et avec mesure ».
      Nous n’avons donc pas le même point ce vue sur la question de la tenue du trébuchet. Je penche plus ici pour les faits(évalués) que pour le droit (interprété et asséné).
      Pour ce qui est de l’association Juristes pour l’Enfance il est vrai que j’ai omis son partenariat. Mais j’ai mis le lien avec leur site, qui ne laisse place, vous en conviendrez, à aucune ambiguïté. J’observe que vous ne contestez pas leur argumentation juridique fondée sur un article du Code civil. De la même manière vous ne vous prononcez pas sur la principale question, éthique, de cette sous-affaire: cette reconnaissance officielle constitue-t-elle une étape favorisant la dépénalisation de la GPA en France ?
      Pourquoi ce silence, cette prudence ?
      Bien cordialement
      J.-Y. N.

      • Il est incontestable qu’un rapide tour sur le blog de l’association en question ne laisse pas de doute sur leurs orientations politiques (au sens noble). Mais ce qui va sans dire va parfois encore mieux en le disant !
        Je ne conteste pas leur argumentation, j’estime juste qu’elle est sans objet: ce n’est pas sur cet argument que se fondent aujourd’hui les défenseurs du « droit de l’enfant » d’avoir la nationalité française (celle de son père biologique et légal) sans délai, mais sur les autres points que j’évoquais.
        Je ne me suis pas prononcée très ouvertement, j’en conviens, peut-être votre prudence est-elle remontée jusqu’à moi par capillarité.
        Je suis favorable à la dépénalisation de la GPA, pour tout un tas de raisons que je ne vais pas développer ici, leur fondement principal étant que j’ai la conviction que la gestation pour autrui n’est pas nécessairement une marchandisation du corps (de même que le don d’organe entre vivants est concevable -et même légal en France, sous conditions) même s’il passe, de fait, par une marchandisation dans de nombreux pays actuellement.
        Je suis favorable à cette dépénalisation sous des conditions drastiques. La non-rémunération en est évidemment une, parmi de nombreuses, je ne les énumère pas toutes: encadrement médical et psycholog/psychiatr-ique -cf. ce qui peut se faire pour les transitions sexuelles, par exemple- encadrement juridique -passage devant un juge cf. ce qui se fait pour le don de gamètes, en plus complexe pour la GPA- restrictions quant aux personnes pouvant réaliser une GPA (pas la mère pour la fille, par exemple). Ces points n’étant pas exhaustifs.
        Bref, moralement, je ne suis pas contre la GPA, par principe. Je ne suis cependant pas pour une légalisation hic et nunc, je pense que dans un pays largement latin comme le nôtre, cela demande un travail au long cours d’élaboration, de débats… pouvant déboucher sur un compromis social dans le futur à ce sujet.

        Reconnaître les droits des enfants nés de parents français à l’étranger via une GPA est-elle une étape vers la légalisation, en France ?
        Je ne le pense pas et je ne pense pas être de mauvaise foi (qui tient le trébuchet en matière de bonne foi ?). Peut-être ai-je l’esprit trop « juridiste » -quoique n’étant pas juriste- mais je vois vraiment le problème sous l’angle du (non) trouble à l’ordre public. Et, accessoirement, je considère qu’on a cessé, depuis l’Abolition des privilèges, de faire payer aux descendants les errements des ascendants et que c’est une bonne chose (cf l’argument Bachelot, auquel je souscris). Au plan logique, je ne vois pas comment on pourrait légaliser la GPA par glissements successifs: un jour, un gouvernement décidera de mettre cette loi à l’agenda de l’Assemblée nationale. Ou aucun ne le fera… Bien que les opposants en soient convaincus, je ne crois pas du tout, pour raisonner par analogie, que le PACS ait permis de « faire passer » le mariage entre personnes de même sexe. Ce sont des étapes historiques, pas forcément logiques: l’opposition au « mariage pour tous » ne m’a pas parue tellement mois virulente que celle au Pacs, avec 10 ans de décalage. Ce ne sont pas des évolutions juridiques que l’on glisse en douce dans une loi de financement de la sécu, me semble-t-il. Et, pour raisonner en termes de personnes, je pense sincèrement qu’un homme comme François Hollande (par son histoire familiale, son parcours, sa formation intellectuelle) est effectivement tout à fait opposé à la légalisation de la GPA, mais peut tolérer que les -très rares, faut-il le rappeler- enfants nés par ce biais ne soient pas « pénalisés » pour le délit de leurs parents…
        Je m’excuse pour ce pavé, voulant argumenter, je me suis étalée.
        Bien à vous.

  2. Il y a des pavés moins intéressants que le vôtre. Nous nous séparons de manière radicale sur la marchandisation du corps de la femme et sur le rêve d’une France île d’éthique dans un océan de commerce de fragments (organes, tissus, cellules et gamètes) des corps humains.
    Nous en reparlerons.
    Bien à vous
    J.-Y. N.

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