Bioéthique : la première grève annoncée des donneurs de sang bénévoles français

Bonjour

6 janvier 2014. L’Union de la Drôme des Associations pour le don du sang bénévole vient d’annoncer qu’elle suspendait ses activités pour protester contre le fait que la vente de plasma thérapeutique ne relève plus désormais du monopole de l’Établissement français du sang (EFS). Elle dénonce une dérive commerciale. Une affaire éthique et économique. Un vrai sujet politique.

Tache d’huile

« L’initiative est unique en France, résume Le Dauphiné (Frédérique Fays). L’Union départementale de la Drôme, qui rassemble vingt-deux associations pour le don du sang bénévole, a décidé de suspendre son activité lors des collectes de sang. Ainsi, les bénévoles, qui assurent les annonces de collectes en apposant des affiches, en distribuant des flyers, ces mêmes bénévoles qui préparent la salle où a lieu la collecte, installent tables et chaises, préparent les collations, sandwiches, boissons, puis assurent le nettoyage après collecte, ont décidé de stopper leurs activités. Pour organiser les collectes de sang, seul le personnel de l’Établissement français du sang (EFS) devra tout installer et ne bénéficiera plus de l’aide précieuse des bénévoles (…) cette action pourrait faire tache d’huile dans d’autres départements. »

Privatisation

Ces bénévoles organisent quatre cents collectes de sang par an. L’Union départementale regroupe 1 700 adhérents, dont 350 sont actifs qui effectuent l’équivalent de plus de 4 000 heures de travail sur l’année pour l’organisation des collectes un peu partout en Drôme.

« Le gouvernement organise le commerce du sang et des médicaments dérivés. On parle de privatiser le Laboratoire du fractionnement et des biotechnologies (LFB), explique Séverine Raspail la présidente l’Union drômoise Séverine Raspail. Trois lois successives transforment notre système transfusionnel éthique en commerce, prélude à la marchandisation généralisée des éléments du corps humain. »

Ces militants du don, de l’anonymat et du bénévolat invitent à adresser des doléances à Marisol Touraine, ministre de la Santé.

Vente de plasma humain

Comment comprendre ? Il faut ici remonter à la fin juillet 2014. Le Conseil d’État mettait alors fin au monopole de l’Établissement français du sang (EFS) dans la vente de plasma sanguin. « Une société pourra désormais commercialiser en France un plasma « SD » (plasma frais congelé traité par solvant-détergent pour réduire le risque de transmission d’agents pathogènes), dans la production duquel intervient un processus industriel » expliquait alors Le Quotidien du Médecin (Coline Garré).

Le Conseil d’État était saisi par la société Octapharma France : elle demandait une autorisation de mise sur le marché pour « Octaplas », un plasma SD, déjà commercialisé en Europe. En 2010, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) le lui avait refusé, au motif que le plasma s’inscrivait dans la liste des produits sanguins labiles, soumis à un régime spécifique caractérisé par l’hémovigilance et le monopole de l’EFS. Octapharma France avait opposé à cette interdiction les directives européennes du 6 novembre 2001 et du 31 mars 2004. Elles prévoient une exception pour « le plasma dans la production duquel intervient un processus industriel ». Ce type de plasma peut être qualifié de médicament, tout en devant répondre aux exigences d’hémovigilance applicables aux produits sanguins.

But lucratif

« Le Conseil d’État n’a donc pu que constater l’illégalité de la décision litigieuse du directeur général de l’Afssaps, et l’a annulé », faisaient alors savoir les magistrats du Palais-Royal. « En pratique une société privée (à but commercial) pourra commercialiser en France un plasma SD, issu d’un processus industriel, à plusieurs conditions : obtenir une AMM, respecter les exigences liées au caractère volontaire, anonyme et gratuit des dons de sang, à la majorité du donneur, et au dépistage des maladies transmissibles, prévues par le code de la santé publique, résumait Le Quotidien du Médecin en juillet. Pour éviter toute rupture d’approvisionnement, l’EFS pourra, lui, continuer à fabriquer et à distribuer du plasma SD sous le régime des produits sanguins labiles jusqu’au 31 janvier 2015, en l’attente de nouveaux textes lui permettant de poursuivre cette fabrication sous le régime des médicaments, auquel il ne peut pour l’instant prétendre. »

Il y avait ensuite bien eu, fin décembre, une mobilisation parlementaire communiste sur le sujet lors du vote du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 (« Sang et commerce ;: l’éthique plasmatique française face à la concurrence internationale »). Mais dans la Drôme tout cela ne passe pas.

Production éthique

« La Cour de justice européenne, puis le Conseil d’État ont donné raison à Octapharma et depuis le 1er janvier,  le plasma médicament de Octapharma va être distribué par…. l’EFS et sera concurrent des deux autres formes de plasma thérapeutique que produit éthiquement l’EFS et qu’il distribue aussi aux hôpitaux », dénonce l’union départementale. Elle déplore en outre que le « décret d’application en cours de rédaction n’indique aucune disposition permettant de contrôler le caractère éthique du produit Octapharma, ni la traçabilité des poches de plasma utilisées ».

Curriculum vitae

 Voilà un bien beau sujet concret de bioéthique, le premier sur lequel pourrait utilement s’exprimer Anne Courrèges, la nouvelle directrice générale de l’Agence de la biomédecine. Mme Courrèges (1) remplace à ce poste Emmanuelle Prada Bordenave qui dirigeait l’agence depuis 2008. Enarque âgée de 38 ans, Mme Courrèges a exercé les fonctions de conseillère pour l’éducation auprès de François Hollande à l’Elysée de mai 2012 à avril 2014, puis de Manuel Valls à Matignon en 2014. « Ces quatre dernières années, mes activités m’ont plutôt porté vers les sujets éducatifs » avait-elle reconnu en décembre lors de son audition devant la commission parlementaire aux Affaires sociales.  Elle s’était aussi « spécialisée sur les questions sanitaires et sociales » lorsqu’elle travailla au Conseil d’Etat.

Où l’on en vient à se demander quel curriculum vitae il faut présenter pour être nommé à la tête de cette prestigieuse institution en charge de l’application de la loi de bioéthique.

A demain

(1) Biographie figurant sur le site de l’Agence :

« Anne Courrèges a été nommée, par décret du 22 décembre 2014 (publié au Journal Officiel du 26 décembre 2014), directrice générale de l’Agence de la biomédecine. Elle succède à Emmanuelle Prada Bordenave qui avait assumé cette responsabilité depuis 2008 pendant deux mandats successifs.

Diplômée de l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris et ancienne élève de l’ENA, Anne Courrèges, 38 ans, a commencé sa carrière comme auditrice de deuxième classe au Conseil d’Etat en 2002, avant de devenir maître de requêtes en 2005. Elle a été commissaire du gouvernement (2007-09) puis rapporteure publique près l’assemblée du contentieux et les autres formations de jugement du Conseil d’Etat (2009-10). En 2008, elle a été rapporteure auprès de la cour supérieure d’arbitrage.

En 2010, elle a été nommée directrice des affaires juridiques du ministère de l’Éducation nationale et du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, avant d’être nommée conseillère éducation à la Présidence de la République de mai 2012 à avril 2014.

Avant sa nomination à l’Agence de la biomédecine, elle exerçait depuis avril 2014 les fonctions de conseillère éducation au cabinet du Premier ministre, Manuel Valls. Anne Courrèges prend la direction de l’Agence de la biomédecine, établissement public national de l’État dépendant du ministère de la Santé et créé par la loi de bioéthique d’août 2004. »

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