Grève : « réelle mais modérée » ose la Sécu. Jean de Kervasdoué avec les grévistes

Bonjour

On ne connaît pas les chiffres certifiés des organisateurs, mais on connaît ceux de la police modératrice. Depuis le 5 janvier la baisse des télétransmissions a été «réelle mais modérée». On parle ici de la grève administrative lancée par des syndicats de médecins et des premières données récoltées par l’Assurance maladie et qui viennent d’être communiquées à la presse ce jeudi 15 janvier.

Etouffer ou engorger

Point n’est besoin de rappeler que, pour protester contre le projet de loi Santé du gouvernement plusieurs  syndicats de médecins libéraux  appelent les praticiens à remplacer une partie des transmissions électroniques, réalisées via la carte Vitale, par l’envoi de feuilles papier pour « engorger » (ou « étouffer »)  l’Assurance maladie. Un mouvement dénommé  «guérilla» administrative.

Le premier jour, le nombre de feuilles télétransmises à l’Assurance maladie à l’issue des consultations a diminué de 17,21%. Le lendemain, journée «sans cabinet» pour les généralistes et les spécialistes, la baisse a été plus significative (-28,45%), selon la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnamts). Puis, toujours selon cette source, le phénomène se serait tassé les jours suivants: du mercredi 7 janvier au mardi 13 janvier, la baisse n’est plus que de 8,7% par rapport à la même période en 2014.

Extrême prudence

Mais la Cnamts est prudente. «Compte tenu des délais de transmission des feuilles de soins papier», variables d’un patient à l’autre, l’Assurance maladie indique dans un communiqué ne pas être «en mesure aujourd’hui d’évaluer les causes de cette baisse» ni «l’impact potentiel sur les délais de traitement au détriment des assurés».

Du 5 au 13 janvier inclus, la baisse du nombre de feuilles de soins électroniques émises est de l’ordre de -11,8% par rapport à la même période en 2014. Pendant cette semaine, près de 10.250.000 feuilles de soin électroniques ont été envoyées, contre un peu plus de 11.623.000 sur cette même période en 2014 (soit un chiffre équivalent à celui enregistré en 2013).

Gastro-entérite et grippe

Cette diminution des télétransmissions doit aussi être mise en perspective avec la progression continue, la semaine dernière, en France métropolitaine de la gastro-entérite et de la grippe, si l’on en croit, cette fois, le réseau de surveillance Sentinelles-Inserm.

« Ces nouvelles données de l’Assurance maladie sur la mobilisation des médecins prennent une nouvelle fois le contre-pied des syndicats selon qui la grève administrative est très suivie, note l’Agence France Presse. Déjà, alors que les syndicats avaient qualifié d’«historique» le mouvement de Noël, l’Assurance maladie avait au contraire indiqué que les consultations n’avaient pas fléchi. L’activité des médecins libéraux, mesurée d’après la transmission des feuilles de soins électroniques, avait même été en légère progression pendant la période des fêtes, selon l’administration. »

Conflit d’intérêt

A ce stade on ne peut pas ne pas poser la question, sinon de la pleine indépendance de la Cnamts, du moins de ses intérêts dans la loi Santé que contestent les médecins grévistes. La question vient naturellement à l’esprit quand on lit une tribune publiée cet après-midi dans Le Monde – une tribune signée de Jean de Kervasdoué qui apporte clairement son soutien aux grévistes opposés au tiers payant généralisé (1).

Un soutien qui, quand on connaît le parcours de M. de Kervasdoué, ancien directeur des hôpitaux (nommé par François Mitterrand en 1983), ne manquera pas de faire jaser dans les milieux situés aux confluences de la politique et de la santé.

A demain

(1) Extraits :

« Pour comprendre les projets du gouvernement et la grève des médecins, il est nécessaire de rappeler quelques principes fondateurs de notre système de financement des soins médicaux et la nature des réformes en cours ou projetées.

L’Assurance-maladie, créée en  1930 pour les travailleurs salariés de l’industrie, s’est progressivement étendue à partir de 1946, mais n’a été généralisée que le 1er  janvier  2000 (avec la couverture maladie universelle, CMU) à tous les résidents légaux sur le territoire national. A l’origine, elle était vraiment une assurance : les cotisations n’étaient pas proportionnelles au revenu (elles étaient plafonnées et donc les mêmes pour tous les revenus au-dessus du plafond) et une partie des soins n’était pas remboursée. Il y avait – il y a toujours – une franchise que l’on appelle le  » ticket modérateur « , car l’on pensait que si les assurés payaient une partie des frais de leur poche, ils modéreraient leurs dépenses de soins.

Comme le montant de cette  » modération  » pouvait être élevé, il a été couvert par des mutuelles, des assurances, des institutions de prévoyance (IP) puis, enfin, pour les bénéficiaires de la CMU, par une taxe sur les autres complémentaires ! Ce ticket modérateur est faible pour les soins hospitaliers (9  %), élevé pour l’ensemble des soins de ville (46  %) et très élevé pour les prothèses dentaires et les lunettes (95  %). Ne cherchez pas de logique autre qu’historique dans ce partage entre assurance complémentaire et Assurance-maladie, il n’y en a pas (…)

Or les réformes en cours ne touchent pas au partage, sans logique sanitaire ni économique, entre régimes obligatoires et complémentaires, elles essayent simplement d’en compenser les inconvénients. Si 22  % de nos concitoyens disent retarder leurs soins pour des raisons financières, il s’agit surtout d’optique et de soins dentaires, et rarement des consultations en médecine de ville (5  % des cas).

La deuxième réforme, applicable au 1er  janvier  2016, est celle de l’Accord national interprofessionnel (ANI) sur la sécurisation de l’emploi. Cette réforme inattendue a été arrachée à l’occasion d’un accord sur l’emploi. Elle contraint toutes les très petites entreprises (TPE) à offrir une assurance complémentaire santé. Elle ne couvrira que 400 000 personnes supplémentaires, coûtera 1  milliard d’euros à l’Etat, 1  milliard d’euros aux TPE et privera la Sécurité sociale d’environ 500  millions de recettes, soit un coût global de 2,5  milliards d’euros (6 250  euros par personne couverte) ! Les travailleurs précaires, les chômeurs et les retraités n’en bénéficieront pas.

Quant au projet de réforme du tiers payant généralisé, encore au stade de projet, il consisterait à transférer à l’Assurance-maladie la responsabilité du remboursement de sa part et de celle des complémentaires. Il est vraisemblable que cette disposition soit peu compatible avec le droit européen et français. En outre, et c’est pour cela que les médecins réagissent, cette réforme annonce paperasserie, impayés et relations difficiles avec les patients, car les médecins sont dans l’incapacité de savoir si leurs patients disposent ou non d’une  » complémentaire santé  » et si celle-ci est bien à jour.

Les risques d’impayés sont donc réels. De surcroît, ils se demandent comment un système informatique qui doit relier tous les régimes obligatoires et tous les assureurs complémentaires sera mis en place. Pourquoi, en outre, concentrer tous les pouvoirs entre les mains de la Caisse nationale de l’assurance-maladie des travailleurs salariés et se priver du rôle régulateur que peuvent avoir les complémentaires dans, par exemple, la gestion des dépassements d’honoraires et des parcours de soins ?

Par ailleurs, les complémentaires vont-elles longtemps accepter de collecter les cotisations de leurs adhérents tout en se dessaisissant de leur gestion ? Pourquoi, enfin et surtout, instituer une avance de frais de 48  heures (temps moyen de remboursement d’une feuille de soins) pour la très grande majorité des Français qui peuvent avancer 23  €, et ne pas avoir limité la réforme aux bénéficiaires de la CMU et de l’aide complémentaire santé (ACS) ?

La pérennité de la Sécurité sociale est menacée par la dette et n’a pas besoin de l’aide supplémentaire de ces réformes discutables. La plus grande inégalité du système de santé est-elle d’ailleurs aujourd’hui, en France, celle de l’accès financier aux soins ou plutôt, comme je le pense, l’inégalité des soins médicaux eux-mêmes, excellents ici, plus quelconques ailleurs ? Mais pour réduire cette inégalité-là, il faut le faire avec, et pas contre le corps médical.

Curieuses réformes donc, généreuses avec le temps des uns et l’argent des autres, et qui ne touchent en rien à l’absurdité d’un ticket modérateur qui n’a jamais rien modéré. »

 

3 réflexions sur “Grève : « réelle mais modérée » ose la Sécu. Jean de Kervasdoué avec les grévistes

  1. Vous pourriez expliquer le passage de Kervasdoué sur les nouvelles obligations en termes de mutuelles pour les salariés des TPE ? Pourquoi ça coûte à l’Etat et à la Sécu ?
    Merci.

  2. Discussion avec mon médecin généraliste cette semaine :
    – ah, tu ne fais plus de feuilles de soins papier ?
    – ben non, j’ai tout utilisé et la CPAM ne nous en livre plus…

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