Bonjour
Etre journaliste c’est aussi, c’est surtout, poser des questions à ceux qui peuvent nous éclairer. Le crash de l’A320 Germanwings s’oriente vers la psychiatrie ? Il faut donc s’orienter vers les psychiatres. Du moins vers ceux qui peuvent ne pas enfiler des lieux communs, un exercice auquel le jargon de la discipline se prête à merveille. Depuis quelques heures les psychiatres sont sur les ondes. Ils font la pédagogie de la dépression, de ses signes, de ses traitements, de ses risques. On évoque les pistes de la bouffée délirante, de la mélancolie profonde, de la schizophrénie masquée et/ou tardive. Il faut compter avec les médicaments psychotropes. On entend même des urologues évoquer la perversité.
Val-de-Grâce
« S’agirait-il d’un acte criminel ? D’un comportement démentiel ? Ou d’un suicide dit altruiste, qui a entraîné dans la mort des dizaines de victimes ? » s’interroge Le Quotidien du Médecin (Christian Delahaye). Aucune de ces hypothèses ne semble résister à l’analyse des experts que ce quotidien a interrogé. Et parmi eux une voix porte nettement plus que les autres : celle du Pr Patrick Clervoy, chef du service de psychiatrie de l’hôpital militaire du Val-de-Grâce, spécialiste du stress et psychiatre référent du Centre d’expertise médicale des personnels navigants de Toulon.
« Un épisode de mélancolie délirante, avec accès de démence, ne correspond pas au tableau du silence total observé chez Andreas Lubitz, au long des huit très longues minutes de descente de l’appareil », explique le Pr Clervoy. Les déments ne sont pas mutiques mais ils tiennent des propos délirants. De même, les actes criminels, perpétrés en lien avec telle idéologie, religion, ou emprise psychologique s’accompagnent de revendications. L’abstention de tout propos pour justifier l’acte d’un forcené n’a pas non plus été repérée dans aucun épisode identifié dans l’histoire, récente ou plus ancienne. Quant à un suicide « altruiste », les cas de figure classiques correspondent à des crimes commis sur l’entourage et la famille, des proches parfaitement identifiés, et non pas sur des tiers inconnus et en très grand nombre. »
Neuropsychiatrie
Pour le Pr Clervoy une seule hypothèse s’impose. Elle n’est ni psychiatrique ni psychologique. Elle est neurologique. Ou neuropsychiatrique, si cette entité existait encore. Où l’on voit que les spécialistes peuvent corriger les procureurs de la République :
« Contrairement à l’interprétation du procureur de la République, l’enregistrement de sa respiration régulière jusqu’au crash ne prouve pas que le copilote est dans une démarche volontaire et par conséquent qu’il est en état de conscience, mais il atteste qu’il est en vie, simplement en fonction végétative et inconsciente. Il semble dans un état dit de coma vigile, communément appelé état de rêve éveillé, ou encore état crépusculaire ; dans ces épisodes de para-sommeil, ou para-vigile, le sujet est en capacité d’effectuer des gestes automatiques, comme le déclenchement d’une procédure de descente à bord d’un avion, ou le verrouillage d’une porte blindée. En revanche, il n’est pas en mesure de réagir aux signaux que constituent les alarmes et les cris. Que sa respiration soit restée régulière pendant tout ce temps, alors qu’il a sous les yeux les éléments d’une catastrophe imminente, dans un contexte ultra-stressant, cela corrobore aussi l’hypothèse somnambulique ».
Rêve éveillé
Quid, dans ce cas, de l’épisode de dépression sévère dont aurait souffert le copilote il y a six ans ? Quid de la prise en charge spécialisée et du suivi médical qui s’est poursuivi ? Quid de ses arrêts de travail et du dernier, déchiré, qui lui interdisait de voler le 24 mars ? L’hypothèse se tient : la prescription d’inducteurs de sommeil, des molécules dont les effets confusionnels sont connus, et qui peuvent favoriser les états de rêve éveillé. L’identification du corps d’Andreas Lubitz et la toxicologie qui suivra permettra-t-elle de confirmer l’hypothèse, séduisante, du Pr Patrick Clervoy ?
« Pour l’Airbus de Germanwings, si l’hypothèse somnambulique n’est pas vérifiable, elle semble aujourd’hui la seule qui soit confirmée par toutes les informations connues, aussi bien dans l’histoire du copilote que dans le scénario du vol, conclut Le Quotidien du Médecin. Elle pourrait aussi fournir une explication à d’autres catastrophes restées mystérieuses, comme la disparition, en mars 2014, du vol de la Malaysia Airlines, avec 239 personnes à bord. Les systèmes avaient été délibérément désactivés et l’appareil avait sans raison connue à ce jour, changé de cap. »
A demain
Perfide Alcyon!