Bonjour
L’affaire, désormais planétaire, du crash de l’Airbus 320 de Germanwings vient rebattre les cartes médico-légales. D’une par le post-mortem (l’identification des corps) de l’autre l’ante-mortem : le cerveau d’Andreas Lubitz. Le cerveau psychique et le neurologique. Où l’on retrouve soudain la schizophrénie d’une discipline écartelée entre les molécules et la psyché, les neurotransmetteurs et la parole.
Qui était-il, ce jeune homme souffrant ? Quels médicaments lui a-t-on prescrit ? L’a-t-on écouté ? La tragédie aurait-elle été prévenue s’il s’était allongé pour parler ? Personne ne le saura jamais, ce qui autorise toutes les prises de paroles des spécialistes. Le Journal du Dimanche de ce 29 mars (Juliette Demey) nous donne à entendre ce coryphée.
Mélancolie
On retrouve le Pr Michel Debout, psychiatre et professeur de médecine légale. Andreas Lubitz avait, pense-t-il, « construit une relation pathologique, idéalisée, au travail ». Dès lors un arrêt de travail pouvait, chez lui, « provoquer un anéantissement ». En déchirant son arrêt de travail il déchire sa maladie. Que ne l’a-t-il brûlé ?
On retrouve le Pr Jean-Pierre Soubrier, expert de l’OMS, fondateur du « Centre de ressources en suicidologie ». Il redéfinit le suicide altruiste : suicide qui implique l’autre. Il parle de dynamique symbolique qui évoque la psychose. Il parle de rêve effondré. De mélancolie, de mourir avec l’objet de son plaisir, de dimension psychotique et d’agressivité vis-à-vis de son employeur.
Projecteurs
On retrouve le Dr Matthieu Lustman, membre de l’Union nationale pour la prévention du suicide. « Le suicide est un comportement qui nous interroge sur la complexité de la prévention et sur la difficulté à repérer les profils suicidaires autant que sur notre besoin de réponses » nous dit-il. Ce n’est pas faux.
On retrouve, bien sûr, le psychiatre Patrick Légeron, attaché à Sainte-Anne et fondateur du cabinet « Stimulus ». Lui voit plutôt, chez Andreas Lubitz, une personnalité névrotique. Aux antipodes, donc, du psychotique de ses confrères. Un homme qui a conscience de son état, même s’il en souffre. « C’est un suicide individualiste sur une personnalité narcissique » nous dit-il. L’ombre inversée de la quasi-totalité des suicidés. Une mort sous les projecteurs.
Plus loin le Dr Samy Mekhloufi, médecin du travail à l’aéroport Lyon- Saint Exupéry, nous parle du burn-out (1). Il en voit une dizaine par an. Burn-out, suicide, pour expliquer la disparition de Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944) ?
Crépusculaire
Il faut aussi compter, sur les ondes, avec les prises de paroles éclairantes d’Hélène Romano, psychologue clinicienne et psychothérapeute spécialisée dans le psychotraumatisme qui souligne l’importance qu’il y a à ne pas tout psychiatriser. Et avec l’hypothèse de l’état crépusculaire avancée par le Pr Patrick Clervoy, chef du service de psychiatrie de l’hôpital militaire du Val-de-Grâce. Toutes ces paroles sont essentielles. On peut y entendre un moderne coryphée.
Plus loin encore, dans ce beau numéro du quotidien dominical, deux pages sur une gigantesque entreprise : cartographier le cerveau humain. (Juliette Demey). Après le grand Charcot, après Jung, après Laborit et Oury. Ce sera une cartographie comme on n’en a jamais vue. L’ultime frontière. Plus d’un milliard d’euros, Vingt-quatre pays. Après Copernic, Freud et Robespierre, ce sera la dernière. Bientôt sonnera la révolution des révolutions. C’est promis : on saura bientôt, depuis les tours de contrôle, observer l’intimité de la psyché des pilotes d’avion.
A demain
(1) Sur ce thème on se reportera à l’excellent Que sais-je ? des PUF: « Le burn-out » de Philippe Zawieja, (Centre de recherche sur les risques et les crises –Mines Tech). Sous-titre : « De la baisse de régime à la surchauffe »
Bonjour Jean Nau,
Merci de vos réflexions que je lis avec délectation.
Le temps ne serait-il pas venu de nous poser un peu devant le drame du crash de l’Airbus A320 et de repousser les interprétations contradictoires et bien trop rapides sur les ressorts qui ont conduit le copilote au drame que l’on sait. Nous savons trop peu de choses encore sur son parcours de vie. Des bribes seulement. Nous n’avons pas entendu ses médecins, son entourage (hormis une éphémère ex-petite amie ), ses parents, sa famille…Nous ne savons rien de ce que contient la seconde boite noire (DFDR) qui n’a pas été retrouvée ce dimanche 29 mars et sensée nous renseigner sur tous les paramètres de vol. Avons-nous exploiter tous les renseignements contenu dans la boite CVR ? Pourquoi faut-il se soumettre une fois de plus à cet impératif absolu et insensé de vouloir tout compendre, tout de suite, et sans disposer de tous les éléments qui pourraient nous conduire à y voir vraiment plus clair et da manière objective, si cela a un sens s’agissant d’une conduite humaine et du fonctionnement psychique. Et de façon contradictoire, c’est indispensable, car il s’agit bien d’interprêter, n’est-ce pas, avec la marge d’erreur inévitable. Après seulement, il sera possible de parler. De s’adresser aux familles des victimes et à la famille de A. Lubitz.
Mais assurément, nous avons besoin de comprendre.
En attendant, laissons dire les coryphées : ça les occupe et surtout ça occupe les temps d’antenne.
Docteur Claude MAGNIN