Politique et tabagisme : pourquoi opposer «paquet neutre» et cigarette électronique ?

Bonjour

Le célèbre projet de loi Santé arrive enfin à l’Assemblée. Avec, dans la foulée addictive, les salles de shoot et le paquet neutre. Dans une confidence faite à Libération (daté du 31 mars qui brosse un long portrait d’elle) Marisol Touraine se montre sûre d’elle, voire un  brin péremptoire«Qui peut dire que c’est une mauvaise idée, le paquet neutre pour lutter contre le tabagisme, à l’exception des lobbys?».

Balle dans le pied

La ministre arrive ici en terrain miné. De quels lobbies parle-t-elle ? Et combien de troupes a-t-elle derrière elle ? Car la question n’est pas tant de désigner l’ennemi (Big Tobacco se pose là, et bien là) que d’aider ceux qui en sont prisonniers : les fumeurs, qu’ils songent ou non à se libérer des chaînes qui à court terme rapportent à la collectivité – avant de beaucoup lui coûter. Sur ce thème la puissance publique se tire (si l’on ose écrire) une balle dans le pied en faisant fi de la cigarette électronique – et en oubliant, volontairement, le puissant levier de l’augmentation des prix.

Dramatique rengaine : en  France, 34  % de la population fume et 73  000 personnes en meurent prématurément chaque année. Contrairement à d’autres pays la France ne parvient pas à enrayer cette spirale mortifère.

Mesurettes

Il y a un an le président de la République annonçait, solennellement, le lancement d’un Programme national de réduction du tabagisme (PNRT). Après bien des atermoiements ce programme était lancé en septembre dernier par Marisol Touraine, ministre de la Santé. Entre autres mesurettes, ce PNRT propose aujourd’hui l’adoption du paquet neutre de cigarettes. Ce dernier ne comporterait plus de signes publicitaires, le nom de la marque serait écrit de manière standardisée et sa couleur serait la moins attractive possible. Cette mesure a été adoptée par l’Australie en décembre  2012. L’Irlande et la Grande-Bretagne ont adopté sa mise en place, il y a quelques semaines, et la Nouvelle-Zélande, la Norvège, la Finlande, la Suède y réfléchissent.

« Si le paquet neutre fait de plus en plus d’émules, il est très critiqué par les industriels du tabac qui scandent, à travers des campagnes de communication et un lobbying massifs, son inefficacité » écrit aujourd’hui, dans Le Monde, Karine Gallopel-Morvan (Ecole des hautes études en santé publique).Ne serait-ce pas là la preuve la plus évidente de l’utilité de ce dispositif ? » C’est bien possible, mais ce n’est nullement certain.

«Pas envie d’être acheté…»

L’auteure évoque de nombreuses études tendant selon elle à conclure à l’efficacité anti-tabac d’une telle mesure. « Ces recherches montrent que le paquet neutre influence les comportements et les perceptions des fumeurs. Depuis son introduction en Australie, ils sont plus nombreux à avoir arrêté de fumer. Ils ont également plus souvent appelé les lignes téléphoniques d’aide à l’arrêt pour demander des informations sur le sevrage tabagique. De plus, le nombre moyen de cigarettes fumées a diminué. » En vérité tout ceci est amplement discuté et le lien de corrélation bien loin d’être établi.

« Le paquet neutre ne donne pas envie d’être acheté par les adolescents et ne leur donne pas envie de commencer à fumer, écrit encore l’auteure. Il annihile la fonction marketing de l’emballage, fonction essentielle pour attirer les jeunes vers la tabagie. ». C’est là une vision assez réductrice de la réalité de l’addiction, de ses racines, de son enfer.

« Le paquet neutre évite également de tromper les consommateurs sur la dangerosité réelle du produit qu’il contient : un produit qui tue un consommateur régulier sur deux. L’insertion sur les paquets de cigarettes des mentions écrites  »  Tabac 100  % naturel  « ,  »  sans additif  « ,  »  0  % d’agent de saveur et de texture  « ,  »  bio  « , etc., ou l’utilisation de couleurs claires suggérant des cigarettes  »  légères  « , naturelles et moins dangereuses ne seront plus possibles » ajoute-t-elle. Même remarque sur la perception réductrice.

Vision claire

La quasi-totalité des fumeurs ont, aujourd’hui, une vision assez claire de la toxicité du tabac et des risques auxquels sa consommation expose ; c’est dire précisément la puissance et l’emprise de l’addiction tabagique. Et la perversité de Big Tobacco. Tout ceci relativise de beaucoup les  espoirs que l’on pourrait raisonnablement placer dans les avertissements sanitaires des paquets neutralisés.

Comprenons-nous : on peut évoquer l’inefficacité de la mesure «paquet neutre » et le risque d’augmentation de la contrebande sans être vendu à la puissante industrie du tabac. On peut, en revanche, s’étonner que faire la promotion de ce paquet conduise à faire l’impasse sur la cigarette électronique – exclue du Programme national gouvernemental de réduction du tabagisme. Pourquoi ? Et pourquoi en faire un produite du tabac – ce qu’elle n’est pas.

Compléter son opinion

On peut ici compléter son opinion par la lecture d’une autre tribune, signée de Frédéric Sautet, chercheur associé à l’Institut économique Molinari . Elle vient d’être publiée dans Les Echos. L’auteury  soutient que la cigarette électronique est plus efficace que le paquet neutre. Il est selon lui beaucoup trop tôt pour conclure quant à l’expérience australienne. Extraits :

« Les ventes légales de cigarettes ont très légèrement augmenté en Australie en 2013, les consommateurs se rabattant sur des marques moins chères. Et la firme KPMG estime que la contrebande de cigarettes a augmenté de 11,8 % à 13,3 % sur la même période. Elle représenterait plus de 14,2 % du marché en 2014. On pourra s’attendre à des réactions similaires en France et en Europe, où la contrebande de produits du tabac est en très forte hausse depuis dix ans. Les cigarettiers s’opposeront aussi à cette nouvelle réglementation, entre autre en imprimant leur logo à l’envers afin de permettre aux buralistes d’exposer les paquets la tête en bas (et ainsi de minimiser l’impact des avertissements qui seront positionnés, pour raisons légales, près de l’ouverture du paquet).

Innovation perturbatrice de ce siècle

Face à un échec potentiel de ces mesures, la question du vapotage est importante. Plébiscitée par ses utilisateurs, l’e-cigarette, l’une des huit innovations perturbatrices de ce siècle selon Goldman Sachs, constitue probablement la seule solution au tabagisme que le monde ait à sa disposition. Solution imparfaite, car il existe des risques liés à son utilisation. L’e-cigarette peut être addictive, car la nicotine, quel que soit le mode d’administration, est addictive. Mais l’e-cigarette fonctionne mieux que les méthodes classiques de prise en charge du tabagisme : elle provoque un soulagement rapide du manque. Ainsi, un nombre croissant d’études montrent son efficacité relative dans la réduction du tabagisme.

Bertrand Dautzenberg, tabacologue, affirme même que l’e-cigarette contribuer au déclin du tabac, surtout chez les jeunes, dont le nombre de fumeurs a fortement chuté : en 2014, ils représentaient 33,5 % des lycéens contre 42,9 % en 2011 et 11,2 % des collégiens contre 20 %. Et il semblerait que l’e-cigarette ne soit pas une passerelle vers le tabac. D’ailleurs, selon 43 % des Français, l’e-cigarette serait un moyen de sevrage efficace (…)

Tournant dans la lutte

Malgré cela, le gouvernement voudrait restreindre le vapotage dans les lieux publics et sur les lieux de travail et, à terme, contingenter la publicité pour les e-cigarettes contenant de la nicotine en inscrivant son interdiction dans la loi. Même s’il est encore tôt pour juger de ses effets complets, on sait que le risque de l’e-cigarette est faible, relativement à celui de la cigarette traditionnelle. Nous sommes à un tournant en matière de lutte contre le tabagisme. Alors plutôt que de rendre les cigarettes illégales plus attrayantes et le vapotage plus difficile, saisissons la chance qui nous est donnée d’encourager la sortie du tabagisme grâce à l’e-cigarette. »

Faute politique

Au final il reste à comprendre pourquoi les deux mesures (« paquet neutre » et arrêt de la stigmatisation-condamnation officielle de la cigarette électronique) ne pourraient pas être mises en œuvre dans le même mouvement de salubrité collective contre Big Tobacco. Pourquoi cacher les vertus de la e-cig derrière le voile de la neutralité de l’enveloppe ?

Pourquoi prendre le double risque de la faute politique et sanitaire : être, demain, accusée de ne pas avoir tout fait pour, avec les outils disponibles, réduire à terme le nombre des morts-tabac prématurées (73 000 par an). Et réduire au plus vite la consommation tabagique et l’entrée dans l’enfer du tabac.

A demain

3 réflexions sur “Politique et tabagisme : pourquoi opposer «paquet neutre» et cigarette électronique ?

  1. Une petite précision que vous n’ignorez sans doute pas: l’Institut Molinari est ultra-libéral, ce qui explique un certain nombre des arguments présentés dans leur tribune.
    Cordialement,

    • Bonjour
      C’est bien pourquoi, pour celles et ceux qui ne le connaissent pas, j’ai mis un lien. Cette dimension « libérale » élargit le champ de la réflexion collective.
      Cordialement,

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