Bonjour
C’est non. Non à la majorité des sages. Saisi par Marisol Touraine, ministre de la Santé le Comité national d’éthique vient de faire connaître sa position sur la question des contre-indications du don de sang en rapport avec l’homosexualité masculine. Et la réponse est, pour une fois, sans nuance. On voit mal, désormais, Marisol Touraine (depuis trois ans grandement hésitante sur la question) ne pas suivre les recommandations de l’institution présidée par Jean-Claude Ameisen. Voici le texte de la saisine de la ministre de la Santé :
Exclusion permanente
« Monsieur le président,
Actuellement un certain nombre de restrictions sont émises à l’occasion du don du sang. En particulier un homme ayant déclaré avoir eu une relation sexuelle avec un autre homme est écarté de manière permanente. Cette restriction est motivée par une incidence élevée, dans cette population, de contamination à certains agents, notamment le VIH [le virus de l’immunodéficience humaine, cause du Sida], avec des taux deux cent fois plus importants que dans la population hétérosexuelle.
Si plusieurs associations demandent une levée de cette interdiction qu’elles estiment assimilable à une forme de discrimination sur l’orientation sexuelle, d’autres y sont fortement opposées, arguant du risque potentiel sur la sécurité des produits sanguins.
Ce sujet d’ouverture du don du sang aux hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes est l’objet d’évolutions dans plusieurs pays européens et d’une réflexion spécifique au sein du Conseil de l’Europe. Je souhaite pouvoir disposer d’un avis de votre comité sur la pertinence, d’un point de vue éthique, de faire évoluer cette pratique en vous appuyant sur les données scientifiques disponibles auprès des agences spécialisées (Etablissement Français du Sang et Institut de veille Sanitaire), mais aussi sur une appréciation des termes du débat sociétal ouvert dans un contexte où risque sanitaire, responsabilité individuelle et sociale des donneurs et pratiques discriminatoires sont interpellés. »
Aucun cas depuis 13 ans
Rappel du contexte : La sécurité de la transfusion sanguine est aujourd’hui, en France, considérée comme excellente. Aucun cas de transmission de l’infection par le VIH par transfusion sanguine n’y a été constaté en France depuis 13 ans. Le don du sang a pour but la possibilité d’un traitement médical nécessite le prélèvement d’une quantité significative de sang. Il fait l’objet d’un grand nombre d’examens biologiques et de contre-indications strictes. Certaines de ces contre-indications au don du sang ont pour but la préservation de l’état de santé du donneur. Les autres ont pour but la préservation de l’état de santé du receveur. Parmi les contre-indications réglementaires au don du sang visant à préserver l’état de santé du receveur, il y a celles qui concernent le risque de transmission d’une infection par le VIH.
Risques médicaux
L’avis n° 123 est intitulé « Questionnement éthique et observations concernant la contre-indication permanente du don de sang pour tout homme déclarant avoir eu une ou des relation(s) sexuelle(s) avec un ou plusieurs homme(s) ». Cet avis est disponible ici. Voici l’essentiel des conclusions (nous soulignons) :
« Au stade actuel des connaissances (…) toute modification des contre-indications exposerait à des risques médicaux qui doivent être pris en considération d’un point de vue éthique. Ces risques seraient liés non seulement aux incertitudes scientifiques actuelles, mais aussi à une absence d’évolution des campagnes d’information qui permette une véritable responsabilisation des personnes qui ont eu des comportements à risque récents ; et à une absence de temps suffisant consacré à l’entretien de la personne avec le professionnel de santé chargé de la sécurité du don.
(…) seul un temps suffisant consacré à l’entretien de la personne avec le médecin chargé de la sécurité du don pourrait permettre de s’éloigner de la notion statistique de groupe à risque, d’établir une véritable relation avec le donneur, et de pouvoir, lors de l’entretien, discerner au mieux ses comportements à risque, y compris ses incertitudes concernant ses comportements. Ces réflexions et recommandations font l’objet d’un accord quasi-unanime de la part des membres du CCNE.
Divergences
En revanche, une différence d’appréciation est apparue en ce qui concerne la nécessité d’envisager ou non, dès maintenant, une levée du caractère permanent de la contre-indication du don du sang pour les hommes déclarant avoir eu des relations sexuelles avec un ou plusieurs homme(s).
Certains membres du Comité (1) tout en reconnaissant qu’il se peut qu’aujourd’hui, les données scientifiques disponibles, d’une part, l’imperfection d’un système de déclaration d’autre part, imposent le maintien à titre provisoire de la contre-indication du don du sang pour les hommes déclarant avoir eu des relations sexuelles avec un ou plusieurs hommes, considèrent que cette contre-indication ne saurait être regardée ni comme définitive ni comme seule de nature à éviter les risques. Ils demandent donc que les recherches et les évolutions évoquées dans l’avis, permettant d’arriver à une meilleure adaptation des contre-indications, soient mises en œuvre dès que possible.
Majorité des membres
Tout en partageant le même souhait d’une mise en œuvre rapide, une majorité de membres du Comité considèrent qu’il n’est pas dans la mission du CCNE de se prononcer à l’avance sur ce qu’il conviendrait de faire en préjugeant du résultat des recherches scientifiques et médicales, comme des évolutions qu’il propose. Pour ces raisons, le CCNE dans sa majorité recommande que – dans l’attente des résultats des recherches et des évolutions demandées – les contre-indications actuelles soient maintenues. »
Cet avis éthique a été rendu public aujourd’hui 31 mars. Il avait préalablement été transmis à Marisol Touraine. On attend désormais les conclusions politiques qu’en tirera la ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes.
A demain
1Une « position minoritaire » signée de Marie-Angèle Hermitte figure en annexe de l’avis. Le groupe de travail était composée de Mme et Mrs Claire Legras, Claude Matuchansky, Didier Truchet, Jean-Louis Vildé (rapporteur) et Bertrand Weil. La relecture a été effectuée par par Jean Claude Ameisen, Alain Cordier et Patrick Gaudray. Voici la liste des personnalités auditionnées par le CCNE : Dominique Costagliola, Directrice de l¹Institut Pierre Louis d¹Epidémiologie et de Santé Publique, Inserm, Université Pierre et Marie Curie ; Dr Bruno Danic, Établissement français du sang ; Véronique Doré, Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales ; Tim Greacen, Établissement public de santé Maison Blanche, Paris ; Georges Kutukdjian, Commission nationale consultative des droits de l’homme. ; Pr Jean-Jacques Lefrère, Directeur Général, Institut national de la transfusion sanguine ; Jean-Marie Legall, Directeur de l’association Aides ; Dr. Stéphane Le Vu, Département des maladies infectieuses, Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice ; Michel Monsellier, 1er Vice-président de la Fédération française pour le don de sang bénévole. Président de l’union nationale des associations de donneurs de sang bénévoles de la Poste et de France télécom ; Jean-Marc Ouazan, Établissement français du sang ; Dr. Josiane Pillonel, Département des maladies infectieuses, Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice ; Dr. Christine Saura, Département des maladies infectieuses, Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice ; Bruno Spire, Président de l’association Aides ; Samuel Valcke, Établissement français du sang.
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