Les députés créent le délit d’incitation à l’anorexie. Rien n’est prévu pour l’hystérie

Bonjour

Projets de loi « santé », projet de loi « voiture-balai ». On ne sait pas au départ qui sera à l’arrivée. Qui roule à  gauche et n’y roule pas. L ‘Assemblée nationale a créé dans la nuit du 1er eu 2 avril  un nouveau délit. Il est puni d’un an d’emprisonnement et de 10.000 euros d’amende. Nouveau délit qui vise à réprimer l’incitation à la maigreur excessive. Et notamment les incitations émanant de la Toile. Aujourd’hui l’anorexie. A quand la criminalisation express de l’incitation à l’hystérie ?

«La loi s’emmêle »

C’était peu après le 1er avril. Aujourd’hui c’est Vendredi saint et les spécialistes sont vent debout.  Libération tonne en Une : « Anorexie ; la loi s’emmêle ».

C’est un amendement socialiste qui est à l’origine de l’affaire. Au final un nouveau délit. Il punira le fait de  « provoquer une personne à rechercher une maigreur excessive en encourageant des restrictions alimentaires prolongées ayant pour effet de l’exposer à un danger de mort ou de compromettre directement sa santé ». Marisol Touraine, ministre de la Santé, y était favorable, de même que le rapporteur (socialiste) du projet de loi, Olivier Véran, 34 ans, par ailleurs spécialiste de neurologie au CHU de Grenoble.

Bons sentiments

Comme souvent, le diable est né d’un bon sentiment. On verra ici le texte de l’amendement, ses motifs et les noms des députés qui le soutenaient. Dans Libération les praticiens et chercheurs spécialisés d’ « Anamia » (1) et (2) accusent:

« Ils ont osé, à nouveau. Malgré nos réserves et les recommandations contenues dans le rapport « les jeunes et le Web des troubles alimentaires  »  publié l’année dernière , les élus PS ont insisté pour créer un nouveau délit dans le code pénal, celui de l’incitation à la maigreur excessive sur Internet. Cet amendement ambitionne de combattre les troubles alimentaires. Mais en fait, il finit par mettre en danger des milliers de malades et par empêcher le travail de professionnels de la santé et d’associations de lutte contre les troubles des comportements alimentaires (TCA). »

Aucun monopole

Encore une affaire socialiste dira-t-on. Nullement, cette famille n’ayant pas le monopole des bons sentiments. Cette mesure  avait  initialement été proposée en 2008 par la députée (UMP, Bouches-du-Rhône) Valérie Boyer, en 2008. Elle n’avait toutefois jamais dépassé le stade de proposition de loi. On la retrouva le 16 mars dernier sous la forme d’un amendement à la loi santé portée par Marisol Touraine. Cet amendement avait alors été retiré en urgence devant un flot de critiques. Quinze jours plus tard, revoici le furet de la bonne conscience et du gendarme réunis.

« Cette sorte de zombie législatif propose un an de prison et 10 000 euros d’amende pour toute personne incitant à la maigreur excessive, peut-on lire dans Libération sous la plume d’ « Anamia » :

« Dans le climat actuel de diabolisation de l’information sur Internet, elle se concentre spécifiquement sur les auteurs de sites dits ‘’pro-anorexiques’’. Depuis plusieurs années, on connaît ces blogs, forums, groupes de discussion. Ils sont conçus et gérés par les internautes pour parler de leurs troubles alimentaires. Des femmes (et quelques jeunes hommes) apportent leurs témoignages, mais le font avec un ton souvent provocateur, signal de leur détresse. Leur obsession pour la perfection physique, leur aspiration à maigrir à tout prix sont des symptômes de leur condition. Sauf que pour les médias à sensation et pour les décideurs politiques, ils prônent l’anorexie (‘’pro-ana’’ dans le jargon d’Internet). »

Populiste et dangereux

« Ainsi présenté, l’amendement pourrait sembler tout à fait recevable. Mais, à le regarder de plus près, il s’avère être une mesure populiste et dangereuse. On lit dans la motivation de cet amendement qu’il y aurait entre 30 000 et 40 000 personnes souffrant d’anorexie en France, mais ce chiffrage n’est pas à jour. Il ignore les troubles autres que l’anorexie, de la boulimie et l’hyperphagie. En les prenant en compte, le nombre de personnes concernées s’avère bien plus important : presque 600 000 selon une récente étude de l’association de professionnels AFDAS-TCA.

Et d’où vient cette idée que la répression de ces sites serait efficace ? Les promoteurs de l’amendement citent, en reproduisant presque mot à mot la page «pro-ana» du Wikipédia anglophone, une étude menée à l’université Stanford il y a presque dix ans. Il est dommage qu’ils n’aient pas pris la peine de se documenter sur des recherches plus récentes. Entre-temps, la connaissance a progressé, d’ailleurs avec des études réalisées en France. En particulier, l’étude Anamia, que notre équipe interdisciplinaire a menée entre 2010 et 2014, a enquêté sur les réseaux sociaux des personnes vivant avec des troubles alimentaires. Avec des questionnaires en ligne, des entretiens, et une cartographie des sites web existants, elle a pu étudier de près les comportements, les motivations et les attitudes de ses membres. Entre janvier et mars 2013, elle a fait l’objet de quatre questions adressées au ministre de la Santé, qui a préféré en ignorer les résultats. La conclusion principale de l’étude est que toute tentative de censure et de répression est non seulement inefficace (car elle n’arrive pas à freiner la prolifération de contenus controversés) mais aussi nuisible (car les auteurs et utilisateurs de ces contenus tendent de plus en plus à se cacher – échappant à tout effort des professionnels de santé de les joindre, de faire passer des campagnes d’information, de leur offrir du soutien . »

Illogisme

On en vient ainsi non pas à « lutter contre l’anorexie » mais à pénaliser celles et ceux qui en souffrent. Loin de prévenir et d’aider (on ne parle pas de soigner) la logique répressive prend le risque  de faire disparaître des espaces d’entraide. Comme souvent la répression peut engager des réactions défensives, et rendre impossible le dialogue et la modération. C’est précisément en prenant en compte les dégâts d’une répression aveugle (et en poursuivant la politique de la réduction des risques) que le même projet de loi entrouvre  la possibilité de créer des salles de shoot. Un poids pour la toxicomanie, un autre pour l’anorexie ?

Illogisme (bis)

« Criminaliser ces sites, qui constituent des lieux de parole tout à fait inédits et complexes, revient en fait à lutter contre les malades, non pas contre la maladie. Cela signifie faire risquer des poursuites judiciaires à des filles et des garçons qui se servent de ces sites pour trouver ce que notre système de santé en mal de moyens ne peut leur assurer. »

Le malade mental a-t-il peur du gendarme ? La Toile et la prise en charge des maladies mentales ont des finesses qui semblent échapper au législateur. Attendons le train les sénateurs.

Mannequins et IMC

On ajoutera que les députés ont d’autre part voté, vendredi 3 avril, l’interdiction du recours à des femmes mannequins « trop maigres et dénutries ». Toujours afin de lutter contre l’anorexie. Toujours sur un amendement du député Olivier Véran avec avis favorable de Marisol Touraine. La ministre des Droits des femmes juge « préoccupante » les présentations des mannequins « excessivement maigres ».

« L’exercice d’une activité de mannequin est interdit à toute personne dont l’indice de masse corporelle […] est inférieur à des niveaux définis, sur proposition de la Haute Autorité de santé, par arrêté des ministres chargés de la santé et du travail » précise le texte voté par les députés.

Sanctionner, réguler

Le fait, pour toute personne qui exploite une agence de mannequins ou qui s’assure moyennant rémunération le concours d’un mannequin, de ne pas « veiller au respect de l’interdiction »  sera puni d’un emprisonnement de six mois et d’une amende de 75 000 euros ». Pour Olivier Véran « la perspective de cette sanction aura un effet régulateur sur l’ensemble du secteur ».

A demain

(1) Anamia  www.anamia.fr est un projet de recherche financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR). Il a été réalisé par une équipe de chercheurs : EHESS, CNRS, Institut Mines-Télécom, université de Bretagne occidentale, Aix-Marseille Université.

(2) Sur ce thème on peut également lire la tribune publiée par Slate.fr « Criminaliser les sites pro-anorexiques revient à lutter contre les malades, pas contre la maladie »

 

Une réflexion sur “Les députés créent le délit d’incitation à l’anorexie. Rien n’est prévu pour l’hystérie

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