Bonjour
L’heure est grave, les éléments convergents, les généticiens inquiets. L’urgence n’est plus aux inquiétudes concernant la sélection des humains à naître sur la base des critères génétiques. Elle est dans la découverte des premières preuves concrètes de la manipulation génétique du patrimoine héréditaire de l’espèce humaine. Il ne s’agit pas encore d’une tentative d’amélioration de l’humain. Il s’agit de prévenir le développement d’une pathologie à l’échelon génétique. Non pas une correction comme dans la thérapie génique, mais bien une action en amont, à l’échelon pré-embryonnaire des cellules sexuelles. Non plus un « diagnostic génétique pré-implantatoire » (pour effectuer un tri embryonnaire) mais une action loin en amont pour assurer l’éradication d’une pathologie dans une descendance. Gattaca au carré, en somme.
Toucher aux cellules germinales
« Cette expérience, qui touche au patrimoine héréditaire de l’espèce humaine, et contrevient à la convention d’Oviedo, ratifiée par la France et vingt-huit autres pays européens en 2011, vient d’être tentée par une équipe chinoise, alerte fort justement, dans Le Monde, le journaliste Hervé Morin. Décrite dans la revue Protein & Cell du 18 avril , elle concrétise les craintes exprimées ces dernières semaines par une partie de la communauté de la recherche en génie génétique. Après la publication par le journal du Massachusetts Institute of Technology (MIT) d’une enquête très fouillée montrant des débuts de manipulation génétique des cellules sexuelles (y compris aux Etats-Unis), des chercheurs américains avaient publié dans les revues Nature et Science les 12 et 19 mars des mises en garde envers les tentatives de modifier ces cellules germinales : elles auraient pour effet de modifier l’hérédité humaine, et non plus, comme les thérapies géniques classiques, une partie seulement des cellules défaillantes d’un individu. »
Simple, efficace, redoutable
Comme il y a quarante ans avec les débuts du « génie génétique » c’st une technique qui soulève toutes les craintes. Hier les « manipulations génétiques ». Aujourd’hui la technique d’ingénierie dite « CRISPR-Cas9 », efficace, simple, redoutable.
« Précisons-le d’emblée, l’expérience tentée par l’équipe de Junjiu Huang (Université Sun-Yat-sen, Canton) a échoué, souligne Hervé Morin. Les 85 embryons ayant fait par la suite l’objet de modification avaient été obtenus auprès de centres de fertilité réalisant des fécondations in vitro – ils étaient dotés de chromosomes surnuméraires et n’avaient donc pas été retenus dans des projets parentaux. Aucun n’aurait été viable. »
Ethique occidentale
De fait cette expérience ne visait pas à implanter ces embryons dans des utérus mais à tester l’efficacité de cette nouvelle méthode d’édition de l’ADN afin de corriger un gène responsable de bêta-thalassémie. Mais le simple fait que cette expérience a été réalisée démontre la voie sur laquelle s’engage des généticiens débarrassé du poids de l’éthique occidentale.
Aux Etats-Unis les Nobels de médecine, devenus vieux, tergiversent. Dans la communauté génétique des voix plus jeunes émergent pour réclamer l’organisation d’une nouvelle « Conférence d’Asilomar » (1975). En juin 2014, la Française Emmanuelle Charpentier, co-inventrice de l’outil CRISPR-Cas9, estimait que « cette technique fonctionne si bien et rencontre un tel succès qu’il serait important d’évaluer les aspects éthiques de son utilisation ».
Fin des atermoiements
« Si la technique devenait plus efficace, la question du principe même de son utilisation ferait débat, conclut Hervé Morin. Certains y voient une première étape vers une forme d’eugénisme et la quête du « bébé parfait ». D’autres soulignent l’intérêt de maîtriser une capacité nouvelle à soulager l’humanité de certaines maladies héréditaires. » On peut voir là le balancement traditionnel du Monde face aux questions essentielles.
Or l’heure n’est plus aux atermoiements. Il est dans le décompte de ceux qui s’engageront, ou pas, dans un combat éthique devenu crucial pour l’avenir et la notion même d’espèce humaine.
A demain
3 réflexions sur “Génétique et bioéthique : quarante ans plus tard, il faut réinventer la conférence d’Asilomar”