Alcool et publicité : la loi Evin est «détricotée». Que va bien pouvoir dire Marisol Touraine ?

Bonjour

11 juin 2015. C’est la nouvelle de la nuit : le gouvernement est désavoué – les députés ont modifié la loi Evin. Lors de l’examen en commission en seconde lecture du projet de loi Macron, les députés n’ont pas suivi le gouvernement qui avait demandé la suppression de l’amendement du sénateur Gérard César (Les Républicains, Gironde) adopté début mai par la Haute Assemblée.

Intérêts dilués

L’affaire est d’importance qui témoigne du poids de certains lobbies face à l’intérêt bien compris de la santé publique. C’est aussi un sujet assez compliqué où les intérêts des vignerons stricto sensu se diluent dans ceux des publicitaires et des producteurs de boissons industrielles souvent fortement titrées en alcool. Bref c’est un assez joli cas d’école, une belle problématique de santé publique souvent présentée de manière caricaturale.

Ce dernier rebondissement en date était prévisible («Alcoolisme et loi Macron : un amendement girondin embarrasse le gouvernement socialiste »)   Par un étrange retournement de flottaison le projet de loi porté par Emmanuel Macron, ministre de l’Economie du gouvernement socialiste était devenu le vecteur d’un missile anti-loi Evin. Le 8 juin trois poids lourds montaient en première ligne : Marisol Touraine, ministre de la Santé, Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture et porte-parole du gouvernement et Claude Evin ancien ministre de la Santé.

Incompréhension et préoccupation

Marisol Touraine en appelait alors à « ne pas changer la loi » Evin encadrant la publicité pour l’alcool alors que l’amendement sénatorial entendait la simplifier, l’alléger, en assouplir quelques contraintes.

Mme Touraine : « Je veux dire mon incompréhension et ma préoccupation face à l’amendement qui remet en cause la loi Evin (…)  chacun à prendre ses responsabilités, c’est-à-dire à ne pas changer la loi (…)  la loi Macron ne peut pas servir à détricoter les politiques de santé publique ».

Stéphane Le Foll : « Il faut faire très attention aux équilibres de la loi Evin. Dès qu’on rouvre ce débat, quelles sont les limites qu’on met ? Dès qu’on touche à ces  équilibres, on peut avoir des débats qui risquent d’aller beaucoup plus loin que ce qu’on souhaite ».

Publicités déguisées

Pourquoi tant d’inquiétudes ? L’amendement voté par le Sénat proposait de différencier information et publicité sur l’alcool. Aujourd’hui la publicité sur l’alcool est possible mais encadrée. « La loi de 1991 encadrait les ‘’pubs’’ en précisant ce qui pouvait être dit: on ne pouvait alors que nommer le vin, dire le degré d’alcool, le nom et l’adresse de l’exploitation, etc.  réexplique Claude Évin. Les visuels acceptés étaient très précis. »

Le girondin Gérard César propose désormais de différencier information et publicité sur l’alcool. « Je ne fais que préciser certaines choses, pour qu’à l’avenir on puisse bien faire la différence entre communication et publicité sur l’alcool» dit-il.

Promotion et communication

Avec cette nouvelle mesure, deux critères seraient rendus nécessaires pour attaquer en justice une publicité incitant à la consommation d’une boisson alcoolique.  Il faudra prouver que la personne fait la promotion de l’alcool, mais également que cette communication est « susceptible d’être perçue comme un acte de promotion par un consommateur d’attention moyenne ».

Le girondin César n’était pas seul : Gilles Savary, également député de ce département (mais député socialiste) bataillait avec lui et dénonçait  la « surréaction du lobby hygiéniste » à l’amendement voté au Sénat :

« Cet amendement ne remet nullement en cause ni l’esprit ni la lettre de la loi Évin, mais vise à éviter que, dans notre pays, dont la tradition viticole ancestrale s’est fortement imprimée dans la culture, et désormais dans notre économie et dans les rares succès de notre commerce extérieur, il devienne risqué pour un journaliste, un cinéaste ou un romancier d’évoquer nos produits vinicoles ou d’y faire référence. Alors que des jugements récents invitent à l’autocensure, ce n’est pas faire offense à la loi Évin ni à la lutte contre les ravages sanitaires de l’abus d’alcool que la représentation nationale prenne ses responsabilités et fasse son devoir élémentaire en précisant la loi sur ce point précis. »

Lobby vainqueur

 Le vote des députés constitue donc un désaveu du gouvernement. On lira ici l’analyse qu’en fait le lobby vainqueur réuni au sein de l’association Vin & Société (1) :

« Ce matin, jeudi 11 juin, les parlementaires se sont prononcés en faveur de la clarification du cadre réglementaire de la Loi Evin. Si le vin est un atout économique et une richesse culturelle incontestables pour la France, il est essentiel d’en encadrer la publicité, notamment pour protéger les jeunes et les populations à risque. Or, la jurisprudence développée depuis 25 ans avait entraîné une confusion entre information et publicité comme en témoigne les condamnations de journaux, dont les articles de presse avaient été requalifiés en publicité.  Ces condamnations avaient créé une insécurité juridique forte et de l’autocensure préjudiciables à un secteur économique majeur pour notre pays.

 En distinguant la publicité de l’information, les parlementaires reviennent à l’esprit initial de la loi Evin : encadrer la publicité mais ne pas interdire toute forme de communication sur le vin. Contrairement aux contre-vérités entendues ces derniers jours, cette clarification ne donnera pas plus de droits aux producteurs de vins.

Cette situation est un juste retour à l’esprit initial de la Loi Evin. Les parlementaires réaffirment le fondement même de leur mission -légiférer- et définissent un cadre légal clair pour les journalistes, les acteurs de l’œnotourisme, les milliers d’artistes et d’écrivains, les agences de communication et de publicité, les avocats, tous concernés par les conditions d’application de la Loi Evin. Ils adressent également un signal fort à toutes les régions viticoles dans lesquelles émergent des projets emblématiques soutenus par des fonds régionaux ou départementaux comme la Cité des Civilisations et du Vin à Bordeaux, la Cité des Vins de Bourgogne à Beaune, la Cité de la Gastronomie à Dijon. Ce sont des projets ambitieux qui contribuent à l’attractivité de nos territoires déjà visités annuellement par quelque douze millions d’œnotouristes venus du monde entier »

Attention à la santé

Gouvernement désavoué ? Vraiment ? Le vin demeure, en France, un sujet hautement politique. François Hollande, président de la République et Manuel Valls, Premier ministre avaient déclaré au dernier Salon International de l’Agriculture que « le vin est une valeur de la France et un produit phare ». Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères : « qu’il faille faire attention en matière de santé, tout le monde est d’accord, les vignerons les premiers. Il faut quand même qu’ils puissent communiquer donc il faut trouver un juste équilibre ».

Dans quelques jours le président de la République inaugurera à Bordeaux (Gironde) le salon mondial Vinexpo. Pour le lobby viticole le vote nocturne des députés constitue « un message de raison qui est adressé à une filière économique porteuse d’un patrimoine vivant mais fragile, qui irrigue notre territoire à travers soixante six départements et qui contribue au maintien de cinq cent mille emplois non délocalisables. »

Que va bien pouvoir dire, désormais, la ministre de la Santé face à cette coupe réglée, à ce détricotage des députés ?

A demain

(1) Association de loi 1901, créée en 2004, Vin & Société « réunit et représente les 500 000 acteurs de la vigne et du vin en France : production, négoce et interprofessions (28 membres, 7 organisations nationales, 21 organisations professionnelles régionales) ». Vin & Société « a pour but de donner sa juste place à un savoir-faire traditionnel et à un secteur d’activité qui contribue à la fois à la vitalité économique et au rayonnement de la France. Transmettre les valeurs du vin, promouvoir une consommation qualitative et responsable, entretenir un dialogue permanent avec les institutions et les représentants de la société civile sont ses principales missions. »

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