Bonjour
En français d’aujourd’hui cela s’appelle « médiatiser un conflit ». On pourrait dire aussi se jouer des médias pour des raisons économiques. Hier, 16 juin 2015, c’est Le Figaro (Anne Prigent) qui médiatisait. Où l’on retrouve le Sativex®, formulation industrielle du cannabis thérapeutique commercialisé par le laboratoire Almirall.
Plus d’un an, déjà, que le Sativex® avait quitté la scène médiatique française. En janvier 2014 Marisol Touraine, ministre de la Santé se félicitait publiquement (1) de l’autorisation donnée à son distributeur de « mettre sur le marché » (indication : sclérose en plaques) une substance qui bénéficie d’une aura hautement positive dans les médias. Commençait alors ainsi au grand jour un parcours généralement souterrain : celui qui mène de l’AMM à la possibilité de la prescription médicale via le remboursement de la substance (« Cannabis : le très cher Sativex® sera-t-il remboursé par notre collectivité ? »)
Entre 700 et 800 euros par mois
« Le prix public devrait être de 700 à 800 euros pour un mois de traitement. Un prix élevé mais que le fabricant justifiera sans doute par le fait que le patient retrouve une certaine autonomie, évitant ainsi la présence d’une assistance souvent coûteuse en auxiliaires de vie » écrivait alors sur son blog notre confrère Jean-Daniel Flaysakier. Le même jour dans Le Monde, Christophe Vandeputte, le patron pour la France de la firme Almirall fondée en 1943 et basée à Barcelone: « En moyenne en Europe, le traitement coûte entre 400 et 440 euros par an ». Il ajoutait que le médicament est remboursé dans la quasi-totalité des pays où il est autorisé.
Toujours en janvier 2014 l’Agence nationale de la sécurité du médicament estimait autour de 2 000 le nombre de personnes potentiellement concernées par les futures prescriptions. Almirall en percevait quant à elle déjà 5 000. Puis viendront les extensions des indications. Du point de vue strictement thérapeutique, outre la sclérose en plques, le Dr William Lowenstein, président de SOS Addictions, en percevait plusieurs, à commencer par d’autres maladies neurodégéneratives, le syndrome extrapyramidal résistant aux autres traitements, les nausées-vomissements et anorexie des chimiothérapies ou d’autres traitements lourds (comme ceux des traitements contre l’hépatite virale de type C, le glaucome (s’il existait une forme collyre) ou d’autres syndromes douloureux complexes dès lors qu’un avantage thérapeutique était démontré. Le feuilleton Sativex® ne faisait que commencer.
Commission de transparence
On le retrouvait en octobre 2014, devant la Commission de transparence de la Haute Autorité de Santé. Le laboratoire Almirall contestait alors les conclusions d’un avis du 25 juin 2014 ; une contestation assez pointilleuse sur le libellé de l’indication qui n’était pas sans conséquences sur les profits espérés.
Nous le retrouvons en juin 2015. « Laboratoire et autorités n’arrivent pas à se mettre d’accord sur le prix de ce médicament à base de cannabis » nous révèle Le Figaro. Pourtant, en janvier 2014, le ministère de la Santé s’empressait d’annoncer par communiqué que ce médicament pourrait être délivré aux patients atteints de sclérose en plaques, pour atténuer certaines raideurs musculaires. Depuis, le laboratoire Almirall, qui commercialise le Sativex, est entré en négociation avec le comité économique du médicament (CEPS) pour obtenir son prix. »
Confidences et inquiétude
Le laboratoire a confié au Figaro « son inquiétude » devant l’évolution du dossier. Extrait :
«Sans arbitrage politique, les patients français souffrant de sclérose en plaques ne bénéficieront pas de Sativex», met en garde Christophe Vandeputte, directeur général du laboratoire Almirall qui voit dans ce blocage l’action des lobbies contre le cannabis thérapeutique. Selon lui, le laboratoire demande un prix déjà inférieur de 20 % au prix pratiqué dans les autres pays européens (440 euros), mais la proposition faite par les autorités représente seulement 17 % du prix demandé.
«Or les mesures de sécurité sanitaire, de traçabilité et de bon usage représentent déjà 70 % du prix que l’entreprise propose aux autorités françaises», explique Christophe Vandeputte. Face à ce qu’il appelle une situation de blocage, le laboratoire a fait le choix, plutôt rare dans le domaine du médicament, de médiatiser le dossier.
Du côté du CEPS, les négociations en cours n’ont rien d’exceptionnel. «C’est une négociation comme nous en menons des dizaines chaque année. Le premier prix proposé n’est pas toujours à la hauteur des attentes des laboratoires. Nous avons des critères pour évaluer le médicament qui sont ceux de la commission de transparence. Et l’intérêt pour la santé publique de Sativex ne nécessite pas une arrivée sur le marché urgente», déclare au Figaro le Pr Jean-Yves Fagon, vice-président de l’instance. La commission de transparence a en effet estimé en janvier 2015 que le Sativex n’apportait pas d’amélioration du service médical rendu par rapport aux traitements existants. »
Lobbies en action
Christophe Vandeputte a fait une autre confidence au Figaro : « Au prix demandé par le laboratoire, cela représente pour l’assurance-maladie une dépense de 10 millions d’euros par an. Ce qui n’a rien à voir avec nombre de médicaments». M. Vandeputte n’a pas tort. Il n’est pas certain que cela soit un argument suffisant. Parviendra-t-il à démontrer qu’il est victime de l’action des lobbies contre le cannabis thérapeutique ? Y aura-t-il, ici, un « arbitrage politique » ? Et, si oui, sera-t-il rendu en toute transparence ?
A demain
(1) Le 9 janvier 2014 Marisol Touraine avait fait diffuser le communiqué de presse suivant :
« L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) vient d’accorder au SATIVEX®, par décision de ce 8 janvier 2014, une autorisation de mise sur le marché (AMM). Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la santé, avait ouvert la possibilité, par un décret du 5 juin dernier, que des médicaments dérivés du cannabis sollicitent une AMM en France.
Le SATIVEX®, commercialisé dans plusieurs pays européens, notamment en Allemagne et au Royaume-Uni, est un médicament utilisé chez certains patients atteints de sclérose en plaques, pour soulager les contractures sévères (spasticité), résistantes aux autres traitements.
Le traitement devra être initié par un neurologue et un réeducateur hospitalier. L’AMM est une étape préalable à la commercialisation du produit, qui interviendra à l’initiative du laboratoire. »
Une réflexion sur “Prix du «cannabis thérapeutique»: le distributeur du Sativex® réclame un «arbitrage politique»”