Pour ou contre la greffe éphémère d’utérus ? C’est la dernière polémique éthique

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XXIème siècle ou pas, on ne touche pas sans mal à l’utérus. La vieille Académie nationale de médecine en fait aujourd’hui l’amère expérience. A l’heure des mornes célébrations de Waterloo, l’institution de la rue Bonaparte peine à parler à l’unisson de la « transplantation utérine », chirurgie encore au stade expérimental dont nul ne connaît le futur. Une certitude toutefois : seul le recueil exhaustif de toutes les données la concernant permettra de s’assurer de son bien fondé.

Possible et/ou souhaitable

Il y a quelques jours l’Académie nationale de médecine annonçait être « la première institution de santé en France » à soulever les questions que soulève la greffe d’utérus. On sait que cette thérapeutique hypothétique de l’infertilité est devenue crédible depuis l’annonce, en Suède, de la naissance d’un enfant vivant.  « Si elle est possible et si elle soulève légitimement un immense espoir, est-elle pour autant souhaitable ? Et si oui, dans quelles conditions ? » demandait l’Académie. Elle annonçait encore qu’un groupe de travail ouvert à tous les spécialistes du sujet, dirigé par les Prs Roger Henrion et Jacques Milliez avait réalisé pendant plus d’un an une analyse critique des données actuelles et allait proposer des recommandations (état des lieux, législation actuelle en France, aspects cliniques et thérapeutiques ; quel avenir pour l’enfant ?; choix médicaux et chirurgicaux ; questions éthiques…)

Limoges et Suresnes

On sait que deux équipes françaises, à Limoges et à l’hôpital Foch sont prêtes à passer à l’acte – après celle,  suédoise, du Pr Mats Brännström, la première au monde à avoir obtenu une naissance vivante après greffe d’utérus en 2014. La greffe d’utérus est entrée dans le champ du possible. Est-elle pour autant souhaitable ? « La greffe d’utérus est une greffe particulière, explique le Pr Roger Henrion, dans les colonnes du Quotidien du Médecin (Dr Irène Drogou). Elle est différente des autres car elle n’est pas vitale mais permet de donner la vie. C’est une greffe éphémère, le temps pour une femme de mener une ou deux grossesses ».

On compte à ce jour trois naissances vivantes, neuf transplantations dont sept réussies. En France deux équipes sont partantes. A  Limoges, Tristan Gauthier et Pascal Pivert travaillent sur la greffe à partir de prélèvements sur cadavres. A l’hôpital Foch de Suresnes, Jean-Marc Ayoubi et René Frydman, ont fait le choix des donneuses vivantes, comme les Suédois. « Il y a des avantages et des inconvénients pour les deux façons de faire, résume le Pr Henrion. Les équipes sont face à un dilemme. Mais à ce jour, aucune grossesse n’a été menée à terme avec une donneuse décédée ».

Donneuses vivantes ou pas

« Si les greffes avec donneuses en état de mort cérébrale ou décédées sont sans risque et simple sur le plan technique (durée de 19 minutes), les greffes avec donneuses vivantes ‘’d’une grande complexité ‘’ avec dix heures d’intervention comportent des risques opératoires importants (lésions des uretères, hémorragies, thromboses), qui peuvent engager le risque vital, résume Le Quotidien.  Mais les greffes avec donneuses vivantes ont l’avantage incomparable de pouvoir sélectionner la patiente, de programmer la chirurgie et de limiter le temps d’ischémie froide. »

Pour le Pr Henrion « l’information à la donneuse est capitale. Elle doit bien mesurer les risques et les conséquences du prélèvement ». Il faut ajouter que la législation est évolutive. Pour les prélèvements sur donneur vivant, le don, qui était limité aux parents (ici  la mère de la receveuse) a été élargi à la famille et aux proches « témoignant d’un lien affectif étroit égal ou supérieur à deux ans ». Pour les donneurs mort on sait qu’un projet de modernisation controversé (voté en première lecture à l’Assemblée nationale en avril 2015) prévoit de substituer au consentement une simple information de la famille ou des proches, dès lors que la personne n’a pas fait connaître de son vivant son refus.

Questions multiples

Pour le traitement immunosuppresseur, « l’utérus greffé ne semble pas se comporter différemment des autres organes greffés et le rejet aigu cellulaire semble pouvoir être contrôlé par un traitement classique bien conduit ». En cours de grossesse, le traitement immunosuppresseur n’entraîne pas davantage de malformations et de morts-nés. Les grossesses sont néanmoins à risque avec une forte augmentation de l’hypertension artérielle (30 %), de la prématurité (50 %) et du retard de croissance intra-utérin. La surveillance de la mère se fait en alternance tous les 5 jours par les obstétriciens et les équipes de transplantation.

Sans être spécialiste on mesure aisément que la greffe d’utérus soulève de multiples questions éthiques. « La mère peut se sentir coupable de l’anomalie de sa fille et se croire obligée de donner son utérus. Il peut aussi s’agir aussi d’un utérus retiré lors d’un prolapsus par exemple, ou encore  d’hystérectomies pratiquées chez des transsexuels féminins voulant devenir des hommes – ils seraient disposés à le faire à 70 % selon les psychiatres de l’hôpital Foch. Avec le grand avantage que ce sont des femmes jeunes », fait valoir  le Pr Henrion dans Le Quotidien du Médecin.

Utérus greffés ou loués ?

Impossible, d’autre part, de traiter de la question de cette nouvelle greffe en faisant l’économie des polémiques concernant la gestation pour autrui. Cette option diminuerait « le commerce éhonté de « ventres à louer », l’asservissement des femmes, l’achat d’enfants », souligne le rapport qui n’a pas encore été adopté par l’Académie.

« Il semble que le développement somatique, psychomoteur et immunitaire soit normal à court et moyen terme. Mais des interrogations subsistent à long terme, pour l’avenir des enfants au-delà de 40 ans, notamment pour le développement de maladies auto-immunes et de cancers, conclut Le Quotidien du Médecin. La Fédération Internationale de Gynécologie et d’Obstétrique (FIGO) reste toujours réservée après un avis négatif en 2008. L’Académie nationale de médecine doit se prononcer sur les recommandations à donner lors de sa session hebdomadaire la semaine prochaine. »

Simple « information » ou véritables « recommandations » ? Ce sera, pour l’institution de la rue Bonaparte, une étape non négligeable de sa longue histoire. Dans le premier cas on l’oublierait. Dans le second elle continuerait à remplir sa mission – comme elle a su le faire, parfois courageusement, dans un passé assez récent.

A demain

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