Bonjour
Il ne s’agit pas d’argent, ici. Plus précisément de temps, de mort et de vie. L’affaire Vincent Lambert rebondit avec l’émergence du concept, bigrement contemporain, du conflit d’intérêts ; quelque chose comme le soupçon revisité, réactualisé à l’heure de la transparence affichée.
Le cas avait été évoqué il y a quelques jours lorsque les parents de Vincent Lambert avaient, dans des propos recueillis par L’Union, annoncé leur intention d’attaquer le CHU au pénal (1). Aujourd’hui 17 juillet c’est Le Figaro (Delphine de Mallevoüe) qui apporte de nouvelles précisions. Le soupçon de « conflit d’intérêts » et/ou de « partialité » pèse désormais sur les Drs Ana Oportus et Daniela Simon qui vont conduire la nouvelle « procédure collégiale » visant à décider de l’arrêt (ou non) de la nutrition et de l’hydratation du malade handicapé. Les deux femmes sont présentées comme des soignantes « historiques » de Vincent Lambert. Il faut sans doute entendre par là qu’elles exercent de longue date dans le service du CHU de Reims que dirigeait le Dr Eric Kariger en mai 2013 – quand la première procédure d’arrêt de la nutrition-hydratation a été mise en œuvre pendant un mois.
Morale
Or les Drs Oportus et Simon sont aussi les « médecins conseils » de Rachel Lambert, l’épouse de Vincent qui, depuis mai 2013, demande l’arrêt de la nutrition-hydratation de son mari. « « L’arrêt de la CEDH du 5 juin dernier prend acte, page 3, de la présence à l’audience, des « conseillers » de Rachel Lambert : son avocat, Me Laurent Perreti, mais aussi les Drs Simon et Oportus, écrit Le Figaro. Ces soignants remplissent déjà cette fonction dans une lettre adressée à la CEDH par l’avocat de Rachel Lambert (…) ».
Il s’agit là d’une nouvelle donne qui modifie radicalement le caractère que l’on pouvait tenir pour impartial de la procédure collégiale. « Quel ne serait pas l’émoi si les Drs Jeanblanc et Ducrocq, « médecins conseils » des parents de Vincent Lambert, opposés à l’arrêt des soins, conduisaient aujourd’hui la « procédure collégiale » chargée de décider du maintien ou non des soins ? » demande Le Figaro. On imagine, de fait,l’intensité de cet émoi.
Dans Le Monde daté du 18 juillet (François Béguin) Me Laurent Pettiti, avocat de Rachel Lambert, juge cette l’accusation « totalement absurde». Pour lui, si la CEDH a « affublé les médecins du titre de conseiller », c’est parce qu’il a lui-même envoyé le courrier demandant à ce qu’elles puissent assister à l’audience publique de la grande chambre le 7 janvier à Strasbourg. A la CEDH, on explique que les demandes de rectification envoyées par l’avocat et les deux médecins ne pourront être examinées qu’en septembre.
Toujours dans Le Monde, le juriste Nicolas Hervieu juge que cette mention crée un « doute sérieux» quant à la légalité d’une future décision d’arrêt des traitement. « Une suspension de cette décision par le juge administratif des référés n’est plus si improbable» analyse-t-il. Si elle n’était aussi tragique la situation serait cocasse puisque le CHU de Reims avait, pour sa part, tout fait pour entourer, désormais, ses actions d’un maximum de précautions juridiques. Comment l’avocat et les deux médecins ont-ils pu commettre un tel impair? Certains pencheront-ils pour l’acte manqué?
Peut-on être à la fois le médecin traitant d’un malade et l’expert commis pour décider du sort de cette personne ? L’article R 4127-105 du code de la santé publique semble s’y opposer. La morale également. Nous saurons sous peu si la loi et la morale peuvent, dans cette affaire, être respectées. Selon les dernières informations disponibles cela devrait être le jeudi 23 juillet, peu avant l’heure du déjeuner.
A demain
(1) Les parents de Vincent Lambert ont, via Me Jean Paillot leur avocat, annoncé le 16 juillet qu’ils portaient plainte à l’encontre du CHU de Reims et de plusieurs médecins. Cette décision intervient au lendemain de l’annonce d’une nouvelle procédure collégiale en vue d’une éventuelle décision d’arrêt de la nutrition et de l’hydratation du malade. Le 15 juillet ils avaient « lancé un ultimatum » à l’équipe médicale du CHU pour se récuser et accepter le transfert de Vincent dans un autre établissement hospitalier où une telle procédure ne serait pas mise en œuvre.
« Nous portons plainte contre le CHU en tant que personne morale, contre le docteur Kariger [ancien chef du service de soins palliatifs où est hospitalisé Vincent], le docteur Simon [son successeur] et le docteur Oportus [autre médecin du CHU] pour tentative d’assassinat et pour maltraitance », a déclaré à l’AFP Me Jean Paillot.
Le CHU n’a pas commenté cette information ni, a fortiori, sa tutelle ministérielle. Depuis mai 2013 l’affaire Vincent Lambert n’avait concerné que la justice administrative (jusqu’au Conseil d’Etat) et la Cour européenne des droits de l’homme.