Cigarette électronique : les treize sénateurs (Républicains et Socialistes) qui veulent en donner le monopole aux buralistes

Bonjour

Affûté sur le tabagisme, un lecteur de ce blog nous demande:

« Avez vous vu cet événement, concernant les amendements déposés par les sénateurs, dans le cadre des discussions sur le projet de loi de santé, et sur le sujet de la cigarette électronique ? »

De fait il n’y a pas que Marisol Touraine à avoir déposé un amendement – rétablissant le paquet neutre – dans le cadre de son projet de loi Santé qui va être examiné, en séance publique, à partir de ce 14 septembre.

L’événement dont parle notre lecteur est un  événement politique doublé d’un symptôme éclairant quant aux relations pouvant exister entre les députés et les buralistes. Il s’agit ici de deux amendements rédigés de manière strictement identiques – deux amendements destinés à modifier le code des impôts pour confier un monopole de plus aux buralistes : la vente de cigarettes électroniques ainsi que de leurs recharges.

Marché à maturité

Voici leur texte (nous avons insérés les liens) :

 Après l’article 568 du code général des impôts, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. … – La commercialisation de dispositifs électroniques de vapotage et des flacons de recharge qui leur sont associés s’exerce dans le cadre des dispositions prévues à l’article 568 relatives au tabac manufacturé. »

Le marché de la cigarette électronique, après un développement fulgurant et désorganisé, se stabilise et arrive à maturité. Ses contours sont définis et la nécessité de le commercialiser dans des conditions réglementées s’impose. Par ailleurs, l’État est en quête d’activités de diversification pour les buralistes, préposés de l’administration.

L’article 564 decies du Code général des impôts dispose que « sont assimilés aux tabacs manufacturés…les cigarettes et produits à fumer, même s’ils ne contiennent pas de tabac, à la seule exclusion des produits qui sont destinés à un usage médicamenteux. »

L’article 568 du Code général des impôts dispose, quant à lui, que « le monopole de vente au détail est confié à l’administration qui l’exerce, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret, par l’intermédiaire de débitants désignés comme ses préposés et tenus à droit de licence. « 

L’article L. 3511-1 du Code de la santé publique dispose pour sa part que « sont considérés comme produits du tabac les produits destinés à être fumés, prisés, mâchés ou sucés, dès lors qu’ils sont, même partiellement, constitués de tabac, ainsi que les produits destinés à être fumés, même s’ils ne contiennent pas de tabac, à la seule exclusion des produits qui sont destinés à un usage médicamenteux. »

La combinaison de ces articles permet de soutenir que la cigarette électronique entre bien dans la catégorie des produits assimilés au tabac, au sens de ces définitions légales actuelles. Il est, dès lors, logique de considérer qu’elle relève ipso facto du monopole de vente au détail défini à l’article 568 du Code général des Impôts et que sa commercialisation doit être confiée au réseau des buralistes. »

Judas

Qui est à l’origine de cet amendement et de son objet ? Voici la réponse :

Le 9 septembre 2015, le sénateur François Commeinhes (Les Républicains, Hérault) déposait l’amendement n°448 . Gynécologue de profession et PDG de la polyclinique Sainte-Thérèse située, il est le maire « Les Républicains » de la Ville de Sète depuis mars 2001 et sénateur depuis 2014.

Le 10 septembre 2015, douze sénateurs PS ont déposé l’amendement n°616 . Parmi eux deux médecins et Mme Dominique Gillot, ancienne secrétaire d’Etat à la Santé (gouvernement Jospin). Il s’agit de :

Yves Daudigny (Aisne), Delphine Bataille (Nord), Dr Bernard Cazeau (Dordogne), Anne Emery-Dumas (Nièvre), Dr Catherine Génisson (Pas-de-Calais), Dominique Gillot (Val-d’Oise) ancienne secrétaire d’Etat à la Santé, Christian Manable (Somme), Jean-Pierre Masseret (Moselle),  Franck Montaugé (Gers), Patricia Schillinger (Haut-Rhin), Yannick Vaugrenard (Loire-Atlantique) et Evelyne Yonnet (Seine-Saint-Denis).

 « Inspiration buraliste »

Curieux, notre lecteur pose la question de savoir qui est à l’origine de la rédaction de ce texte unique qui réunit dans un bel œcuménisme buralistique « Les Républicains » et le « Parti Socialiste ». Une autre question est de savoir dans quelle stratégie de santé publique s’inscrit cet amendement et en quoi il correspond à la logique défendue, au nom du chef de l’Etat par Marisol Touraine (pour qui la cigarette électronique doit être considérée comme un produit du tabac ce qu’à l’évidence elle n’est pas).

 Lemondedutabac.com (le site des buralistes) ne cache rien qui parle ici d’amendements « d’inspiration nettement ‘’buralistes’’ » Et ce « suite aux contacts entre ceux-ci et un certain nombre de parlementaires ». Voici ce que nous dit ce site :

« En fait, il s’agit, dans l’esprit de la Confédération des buralistes, de contrer les dispositions votées lors du passage du texte en première lecture à l’Assemblée – « à la sauvette » (voir Lemondedutabac.com des 3 et 7 avril).

Fin de la pièce d’identité !

Parmi ces amendements « buralistes », sachant qu’ils mobilisent nettement plus de co-signatures que les autres amendements du projet de loi Santé (signe que leur mouvement a sensibilisé du monde) :

•  l’assouplissement de la mesure contraignant le buraliste à exiger systématiquement, de tout acheteur de tabac, la preuve de sa majorité (pièce d’identité) ;
• le maintien de la publicité sur le lieu de vente pour la cigarette électronique, sans possibilité de la voir de l’extérieur et dans des conditions réglementées ;
• le maintien de la publicité sur le lieu de vente pour les produits du tabac, dans des conditions réglementées : et dans l’esprit d’équilibre voulu par le Conseil constitutionnel lors de la loi Evin ;
• l’attribution du monopole de la vente de la cigarette électronique au réseau des buralistes ;
• diverses dispositions de lutte contre le marché parallèle du tabac avec la possibilité de les évaluer.

Ces amendements ont été présentés par de nombreux sénateurs « Les Républicains », emmenés notamment par Jean-Baptiste Lemoyne (Yonne) [voir ici sa biographie] et François Commeinhes (Hérault) : plus d’une vingtaine de co-signataires. »

A la virgule près

Pour sa part notre lecteur affûté a de la mémoire. « Fin 2014, une vingtaine d’amendements identiques à la virgule près étaient déposés à l’Assemblée Nationale par des députés de tous bords, écrit-il. Il était alors question de limiter l’impact d’une modification de la fiscalité sur les bénéfices des cigarettiers. On pouvait légitimement se poser la question de « qui » avait rédigé cet amendement commun. » La même légitimité fait, aujourd’hui, que l’on peut se poser la même question.

A demain

6 réflexions sur “Cigarette électronique : les treize sénateurs (Républicains et Socialistes) qui veulent en donner le monopole aux buralistes

  1. Vapoter ce n’est pas fumer, pas de combustion donc aucun rapport avec « sont assimilés aux tabacs manufacturés…les cigarettes et produits à fumer, même s’ils ne contiennent pas de tabac, à la seule exclusion des produits qui sont destinés à un usage médicamenteux. »
    Les vapoteurs ne fume pas ils inhalent de la vapeur.

  2. Bonjour
    L’amendement 448 a subi une « légère » modification depuis sa parution. Il fait maintenant état de 6 cosignataires au total, ce qui porte à 18 le nombre de sénateurs concernés.
    PS : j’aime beaucoup la conclusion de votre article 😉

    • confier la ecig aux buralistes était bien sûr la meilleure solution:elle permettait aux buralistes de gagner encore plus,elle permettait à l’ETAT de taxer la ecig et donc de gagner elle permettait enfin de lutter contre le tabagisme et de le diminuer en douceur ,mais nous sommes dirigés par des responsables qui n’ontb qu’une idéé :s’en mettre plein les fouilles le plus vite possible avant d’être virés par les prochaines élections

      • Bonjour
        La stratégie développée par l’industrie du tabac pour s’accaparer puis détruire la vape est complexe mais claire. Passer par l’adoption d’éventuels amendements pour en récupérer le monopole est un raccourci qu’il leur fallait tenter. Les dispositions de l’article 20 de la directive tabac sont, de toutes façons, prévues pour que le réseau des buralistes soit le seul à pouvoir distribuer les futurs produits. Les boutiques d’e-cig actuelles n’ont aucun intérêt à distribuer des cigalikes inefficaces qui seront exhibées près des paquets de cigarettes chez leur voisin semeurs de carottes. Ils en vendront pendant quelques temps, le temps que les fumeurs testent et retournent au tabac, puis les produits seront petit à petit retirés des rayons.
        Pour ce qui est de la taxation, je ne pense pas qu’elle interviendra dans un avenir proche. Les produits de la vape sont encore des produits de consommation courante. Le fait que la directive les considère comme produits connexes du tabac n’a pour seul impact que d’en freiner le développement. Fiscalement, il est heureusement impossible à ce jour de taxer un yaourt à 80% simplement parce qu’on en a envie. Enfin il me semble.
        Evidemment, tant que nos décideurs ne verront pas plus loin qu’un quinquennat, il ne prendront pas le risque de se mettre à dos 27000 buralistes et surtout 13 millions de fumeurs.

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